Chère Madame,
Je m’adresse à vous en premier lieu en raison du carnage qu’est l’éducation nationale aujourd’hui. Oui. C’est un massacre car les décisions prises au fil des années n’ont pas amélioré la situation. Au contraire, nous faisons face à une catastrophe pédagogique.
D’une part, nous manquons de personnel en raison de votre fameux règlement où toute recrue (temporaire ou permanente) doit obligatoirement avoir un PGCE pour enseigner. Cela peut aider certes mais ce diplôme ne garantit aucunement que le détenteur sera un bon enseignant car l’enseignement va au-delà d’un bout de papier. Passer les connaissances et forger les esprits est une histoire de passion et, le métier de prof se bonifie avec le temps, l’expérience acquise.
Alors que les autres nations ont remarqué le rôle nocif des écrans sur les enfants au point de bannir les smartphones des établissements, vous avez imposé le « online learning » sur les enseignants et les élèves sans les munir de matériel approprié. Il ne suffit pas d’une plateforme digitale pour enseigner en ligne. Le matériel concret (ordinateur, connexion appropriée) est de mise… pour les enseignants et pour les étudiants surtout. Suivre une classe d’un téléphone n’est pas approprié et rien ne garantit que l’étudiant le fera en l’absence des parents. Il faut aussi compter avec ceux qui n’ont pas les moyens de se le procurer.
D’autre part, la réalité du terrain est loin de ce que les parents imaginent. Je les comprends aussi puisque les parents ont des horaires conséquents et cumulent par moments deux ou plus d’emplois pour joindre les deux bouts. Cela leur laisse peu ou pas de temps pour veiller à l’éducation de leurs enfants. Ce qui a fait que nous nous sommes retrouvés accablés de multiples responsabilités outre celle de passer les connaissances académiques, menant aussi à des critiques lors de certains évènements (les jours de congé impromptus dus à la pluie) indépendants de notre volonté. Nos écoles ne sont pas des garderies.
Quant au niveau académique, que dire de son état si ce n’est qu’il est en lambeaux. Plus les années passent, plus le niveau baisse. En primaire, un gosse de Grade 1 se retrouve avec un sac plus chargé que son dos ne peut soutenir. Des bouquins qui simplifient la tâche du professeur mais qui réduisent les efforts de l’apprenant : recopier et réécrire ont presque disparu alors qu’ils sont parmi les fondements de l’apprentissage. En secondaire, on se retrouve avec des enfants ne sachant presque pas écrire une phrase (anglaise ou française) sans laisser de faute. Dans les pires cas : la phrase n’a pas de cohérence.
Ce même enfant traverse les trois niveaux (Grades 7, 8 et 9) sans embûches en raison du « fail but promoted » imposé sur les écoles (et les manuels avec des lacunes). N’ayant pas le niveau, il se retrouve en Grade 10 avec des programmes plus corsés en raison des critères de correction du NCE. Vous avez créé l’illusion de la réussite. Avec ce dénivellement entre la Grade 9 et 10, vous découragez l’apprenant. Vous nous avez au final ôté la culture de l’effort. L’échec en soi signifie reculer pour mieux sauter et cela s’inculque depuis très tôt. Il n’y a pas de honte à ça et ça ne rabaisse pas l’estime de soi. La vie d’ailleurs est ainsi faite. Vous le vivez en ce moment.
Pour continuer dans le registre, les académies laissent un goût amer aux autres écoles. Nous sommes des laissés-pour-compte puisque nous nous retrouvons avec les plus faibles pour produire autant de résultats que ces académies. Quelle justice ! Le pire est que quand ces écoles ne sont pas « productives », on nous enlève les moyens pour réussir en nous coupant des fonds. Au contraire, nous devrions être mieux munis. Comme on le dit en créole, « nou bizin pers ros pou tir delo ». De ce « ros perse », vous imaginez le peu d’eau qui arrive en HSC. Quel beau palmarès !
En ce qu’il s’agit de la discipline… bullying, racket, drogues, bagarres, manque de respect envers le personnel. Nous avons été gâtés ! Lorsqu’arrive l’heure de la sanction (notez que le mot « sanction » vise à conscientiser et non pas à stigmatiser), nous sommes limités, handicapés parce que cela ne cadre pas avec la vision éducative que certains ont. Ne pas sanctionner ne crée-t-il pas des gens qui seront sans foi ni loi ? Il est clair que les enfants ont des droits mais n’oublions pas le sens des responsabilités, du devoir et de l’obligation.
À notre prochain ministre de l’Éducation, vous avez ici une vue globale (avec une tentative d’être le plus objectif possible). La tâche sera ardue et demandera la concertation avec tous les acteurs. Le chantier de l’éducation publique est désolant. Nous avons besoin de soutien, de moyens. Nous attendons beaucoup de vous car l’avenir de nos jeunes en dépend…
D’une enseignante qui y croit toujours,
VERONIQUE PAPILLON