50 ans d’Indépendance : pour un nouveau souffle

Parvèz Dookhy
Vice-Président du Ralliement Citoyen pour la Patrie

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Trois siècles que le Pays a pris naissance. Un demi-siècle que Maurice est devenue un État. Un quart de siècle pratiquement que nous sommes une République. Devenu Souverain, notre État est néanmoins resté rudimentaire ou faible et a échoué, hélas, dans ses missions les plus essentielles.

L’État avait pour finalité première de façonner une Nation qui n’avait pas encore vu le jour lors de son émergence en 1968. L’État a précédé la Nation. Notre hymne, proclamant l’attachement d’un Peuple uni, une Nation unie à notre Patrie n’est toujours pas réalisé concrètement. L’État n’a fait qu’administrer un vivre ensemble des peuples d’origines diverses sans pour autant permettre l’assimilation des différentes communautés au sein d’un collectif uni, la Nation. Cette absence de volontarisme nous a conduit aujourd’hui vers une véritable crise identitaire ou une montée des réflexes communautaristes.
Parallèlement, l’État faible a engendré un déséquilibre des pouvoirs et une crise morale.
Nous devons nous ressaisir et prendre à bras le corps notre chemin commun. pour réussir notre Souveraineté, l’État doit sérieusement être repensé.

Le communautarisme est à combattre farouchement car il ne cessera de se répandre à toutes les sphères de la vie telle une tumeur cancéreuse dans un corps.
La Constitution de 1968 comporte en soi les germes de l’échec du mauricianisme. Elle attribue impérativement à tout candidat aux élections législatives une étiquette communautaire/ethnique. Le mécanisme de repêchage sur un plan purement ethnique des candidats battus à ce scrutin, communément appelé système de meilleurs perdants, ne peut plus trouver sa raison d’être. Nul ne doit être « nommé » député parce qu’il appartient à une communauté particulière. Il s’agit d’une négation de la Démocratie, de la voix souveraine du Peuple. Ce rattrapage doit être purement et simplement aboli au sein d’une République.

La philosophie du « meilleur perdant », mécanisme de composition de l’Assemblée législative, s’est propagée parallèlement au sein des autres institutions. Il est plus ou moins évident que la présidente de la République ait été nommée en raison uniquement de son appartenance à une communauté. Des Attorney General ont été appelés au Gouvernement pour cette même raison. Des associations communautaires revendiquent leurs représentants au sein des grandes institutions de l’État.

L’absence de méritocratie, supposée ou réelle, dans le recrutement au sein de la fonction publique et en particulier dans des grands corps de l’Etat est un des maux auxquels notre pays est confronté. Le phénomène semble être devenu particulièrement palpable à partir de 1983. L’État n’a pas su assurer l’emploi de ses citoyens en raison de ses seuls mérites, aptitudes, expériences, efforts, compétences, intelligences, mais a semblé privilégier un mode de recrutement favorisant l’appartenance ethnique ou les relations individuelles avec le recruteur. Le communautarisme politique et constitutionnel aurait ainsi trouvé un prolongement au sein de l’Administration, du secteur public. L’absence de méritocratie pour des raisons communautaires ou liées au copinage a créé un exode intellectuel, une privation du pays d’une partie, peut-être importante, de son élite. Elle a été un frein, par là-même, à l’émergence de notre Nation, à la confiance des citoyens aux institutions et a favorisé l’affaiblissement de l’État.

En effet, l’État ne peut se permettre de perdre son élite. Il y a lieu de faire preuve d’inventivité et de mettre en place un mécanisme qui contraint les décideurs publics à ne plus procéder aux nominations communautaires. L’on pourrait imaginer l’instauration d’un véritable Tribunal auprès duquel celui ou celle qui s’estime lésé(e) dans le cadre d’un recrutement pourrait intenter une action aux fins d’être nommé en lieu et place de celui ou celle qui a été privilégié(e) par le Tribunal dans un délai très court.

Par ailleurs, notre système éducatif a poursuivi un objectif purement académique et ne participe nullement à la formation du citoyen. On s’est inspiré du système anglais dans lequel l’élève est, à priori, sujet de sa Majesté (de la Reine Elizabeth) et non citoyen. Or, dans une République, l’éducation civique, politique et morale doit être centrale dans la formation de l’élève-citoyen en devenir. Il y a lieu de proposer dans tout le cursus scolaire un enseignement portant sur l’attachement à la Patrie, le respect et les devoirs qui y sont attachés et présenter un éclairage sur les institutions et les véritables enjeux de la Nation. Ce manquement dans notre système éducatif a permis au communautarisme de prendre le dessus dans notre vie de citoyen.

Nous n’avons pas su résister au communautarisme en raison également de la faiblesse de nos institutions d’inspiration britannique. Les institutions britanniques sont des organes ancrés dans une longue Histoire et correspondent aux mœurs anglaises et le tout est chapeauté par le Monarque, en l’occurrence la Reine Elizabeth. Nous n’avons ni l’Histoire, ni les traditions, ni encore les mœurs britanniques et, en devenant une République, plus de Monarque. Pour bâtir notre Nation, nous avons besoin des institutions fortes, un État fort dans lequel le citoyen peut s’identifier et à qui il doit pouvoir faire confiance. Nous ne jouissons pas encore d’un État fort.

Notre système parlementaire emprunté, en partie, de Westminster, est une farce donnée en spectacle, une tragi-comédie diffusée à la télévision les mardis. L’Assemblée nationale n’a pas l’indépendance et l’autonomie nécessaires pour s’ériger en une véritable institution parlementaire. Elle n’est pour l’essentiel qu’une chambre d’enregistrement des décisions gouvernementales. Peu de débats ont lieu lors de l’élaboration de la Loi. Le Premier ministre tient encore discrétionnairement l’agenda et l’ordre du jour de l’Assemblée en sa qualité de Leader of the House. Le président (Speaker) de l’Assemblée n’est pas un réel arbitre et encore moins le chef de l’institution parlementaire. Le droit d’amendement et de proposition de loi est très limité venant de simples députés (non membres du Gouvernement). Il n’y a pas de commissions spécialisées pour le suivi de l’action du Gouvernement. Le pouvoir parlementaire est comme confisqué par la Primature. La faiblesse de notre Assemblée Nationale fait que nous sommes devenus une société sclérosée et nos lois bien archaïques, à tout le moins inadaptées, à une société se voulant moderne. La représentation du Peuple manque en effectivité.

Notre Parlement doit être réinventé. Les sessions parlementaires doivent être fixées constitutionnellement et non laissées à la discrétion du Premier ministre. L’agenda et l’ordre du jour de l’Assemblée doivent être fixés par un Bureau représentant équitablement tous les groupes parlementaires. Les décisions, notamment les sanctions disciplinaires, prononcées par le Speaker doivent pouvoir être revues judiciairement temps utile. Aussi peut-on légitimement s’interroger sur la mise en place d’une deuxième chambre parlementaire composée de personnalités d’expérience, élus éventuellement à la proportionnelle, pour l’amélioration de la qualité du travail législatif.

Au sommet de l’État, la présidence de la République n’a été qu’un successeur du Gouverneur général. Ce dernier représentait un Monarque avec tout son poids historique. Notre présidence montre actuellement ses limites et faiblesses. Il y a lieu d’accorder un statut consolidé au président, sans pour autant basculer dans un régime présidentiel, présidentialiste ou semi-présidentiel.

Actuellement, le président est choisi, en toute discrétion, par le Premier ministre seul et son choix est ratifié par l’Assemblée nationale au sein de laquelle il dispose d’une majorité. Nul ne peut faire acte de candidature à cette fonction. Il faudrait qu’il y ait une véritable élection, que des personnalités puissent faire acte de candidature librement et proposer, dans le cadre de leur présidence éventuelle, une orientation à leur action future. Dans une République moderne, le président doit être élu pour une raison tout simplement démocratique et lui conférer l’autorité de sa fonction. Dans notre cas, il pourrait l’être par un suffrage universel indirect, c’est-à-dire par un collège composé de députés, de chefs des administrations locales (maires, présidents des districts et assemblée de Rodrigues) pour éviter un conflit de légitimité entre lui et le Premier ministre.

D’autres organes de l’Etat doivent retrouver une forte indépendance et autonomie pour être efficaces. L’organe chargé de la lutte contre les crimes économiques a besoin d’être complètement indépendant du Premier ministre, actuellement l’autorité nommante de son directeur. La Primature ne doit plus être le centre de gravité des institutions, par essence, indépendante. L’équilibre des pouvoirs est nécessaire pour le bon fonctionnement des institutions et leur force. Il est tout aussi nécessaire, dans ce même ordre d’idées, à la police d’inspirer confiance grâce à une véritable professionnalisation et formation poussée de ses agents et séparation fonctionnelle de la Primature.

Notre Pays a besoin de réformes profondes et criantes. Des droits et libertés des nouvelles générations doivent être proclamés par notre Constitution. Nous avons proclamé la République sans fixer les valeurs auxquelles est rattachée notre Pays. Nous ne pouvons les ignorer. Les 50 années de notre Indépendance méritent, bien entendu, être fêtées mais le moment est propice pour un bilan ou un inventaire institutionnel afin de poser les nouveaux jalons pour une République moderne. Nous devons redémarrer notre État.

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