Informer, éduquer, divertir. Tels sont, en général, les grands objectifs des médias de masse. Mais, informer en demeure indéniablement le leitmotiv principal. Encore faut-il savoir de quelle information on parle !
Il y a 250 ans, Nicolas Lambert lançait Annonces, Affiches et Avis Divers pour les colonies des Isles de France et de Bourbon, le mercredi 13 janvier 1773. C’est la première publication de presse de Maurice, du continent africain et de l’hémisphère sud. Il s’agit d’abord d’une information relativement verrouillée puisque la première publication de presse est sous contrôle de l’administration coloniale. Cet hebdomadaire publie surtout des informations officielles et des annonces des commerçants et des particuliers, y compris pour la vente des esclaves fraîchement débarqués au port et autres biens meubles.
Six décennies plus tard, le maintenant controversé Adrien d’Épinay négocie avec l’administration britannique la levée de la censure de la presse ainsi que la compensation pour les propriétaires d’esclaves lors de l’abolition de l’esclavage. Il crée le premier journal ‘indépendant’ de l’île, Le Cernéen, qui défend farouchement les intérêts de l’oligarchie sucrière. Jules Eugène Leclézio lui emboîte le pas avec son journal Le Mauricien. Les gens de couleur seront, eux, défendus par des publications moins pérennes, notamment La Balance de Berquin et La Sentinelle de Rémy Ollier (à ne pas confondre avec l’entreprise de presse d’aujourd’hui). D’autres communautés ethnolinguistiques lanceront leurs publications à partir de la fin du 19ème siècle, telles que Anjuman Islam Maurice, The Hindusthani (créé par Manilall Doctor), et le Chinese Daily.
Les publications de nature plus ouvertement politique verront le jour à partir de 1940 avec Advance, organe du Parti Travailliste qui porte les revendications pro-indépendantistes et qui suscite la méfiance du Cernéen ayant peur d’un ‘péril hindou.’ Le Mauricien de Raoul Rivet, initialement anti-indépendance, se range avec Advance. Il y a donc une grande effervescence dans l’espace démocratique grâce à la presse écrite lors de la période précédant l’indépendance. Le dernier venu important de cette période, L’express, est créé par Guy Forget, alors membre du Parti Travailliste.
Ces journaux qui se regardent en chiens de faïence font cependant montre de solidarité pendant trois sombres périodes. D’abord lors de la deuxième guerre mondiale quand ils publient ensemble La feuille commune (Le Cernéen – Le Mauricien – Advance) par mesure d’économie. Puis, entre 1971 et 1972 lorsque le parti au pouvoir impose la censure, interdit les manifestations et arrête des opposants politiques, les journaux publient des carrés blancs pour signaler et dénoncer la censure de leurs articles qu’ils doivent faire viser par les Casernes Centrales. Enfin, en 1984, de nombreux journalistes se mobilisent et se font arrêter alors qu’ils protestent contre le Newspaper and Periodicals (Amendment) Bill qui veut imposer une caution prohibitive pour les journaux. L’amendement est heureusement abandonné.
Depuis, d’autres incidents ont émaillé l’histoire de la presse mauricienne avec moult menaces, directes et indirectes, de la part de tous les partis politiques qui se sont succédé au pouvoir. Les relations presse-gouvernement n’ont jamais été chaleureuses à l’inverse des relations presse-opposition, ce qui est quelque peu naturel en démocratie, même si on aurait espéré plus de maturité et de sérénité de part et d’autre.
Malgré des défauts inhérents à l’industrie médiatique (recherche du sensationnalisme, légèreté de traitement, complaisance envers les pourvoyeurs de revenus publicitaires, tendance à la
concentration) qui se sont parfois accentués au fil des années, des contraintes économiques et de la concurrence des réseaux sociaux, la presse mauricienne peut se targuer de jouer des rôles essentiels de premier canal d’informations essentielles et de chien de garde en démocratie.
La presse mauricienne dite indépendante est relativement diverse et variée pour un si petit pays avec de nombreux titres qui ont marqué notre histoire sur deux siècles et demi, comprenant deux périodes coloniales et cinq décennies d’indépendance, dont trois en république. C’est une presse qui a permis à diverses plumes de documenter nos vies politique, économique et sociale, d’exprimer leurs opinions, fondées ou pas. Que ce soit de grands tribuns, de courageux reporters mais aussi de petits écrivaillons et autres commentateurs du dimanche, tous ont voix au chapitre.
Pour ce 250ème anniversaire, on ne peut que souhaiter à la presse écrite mauricienne longue vie et meilleure santé afin que notre démocratie en soit consolidée et que nos citoyens puissent être mieux informés et éclairés sur les grands enjeux du siècle !