10 Novembre 2024: enjeux d’une élection et les raisons d’un vote

GILLIAN GENEVIÈVE

- Publicité -

La dissolution longtemps espérée par l’opposition et une partie de la population est désormais actée. Le pays est officiellement en période de campagne électorale et les Mauriciens sont sommés de faire un choix, et cela dans une trentaine de jours à peine.

Certains ont déjà fait leur choix. Mais le nombre d’indécis est conséquent. Submergés sous la somme d’informations, souvent contradictoires, bon nombre de Mauriciens ont aussi du mal à se faire à l’idée de voter de nouveau pour des hommes et des femmes politiques qui les ont souvent trahis et déçus dans le passé, et cela dans les deux principaux camps.

Il faut aussi dire qu’ils sont peu convaincus par les nouveaux partis qui sont soit constitués de politiciens ayant déjà un passé chargé et qui essayent de se racheter une virginité en vendant l’apparence de la nouveauté, soit constitués de dirigeants néophytes qui n’ont pas une stature nationale et encore moins le profil qui correspond aux réalités mauriciennes.

De nombreux Mauriciens hésitent donc, mais on ne peut pourtant pas se permettre, dans le contexte actuel, de tergiverser. Certes, on ne peut pas dans l’absolu dire que ce sont les élections les plus importantes de notre histoire, mais la réalité complexe et trouble du monde contemporain et l’évolution politique, économique et sociale à Maurice ces dernières années justifient le fait qu’on puisse considérer que les enjeux sont énormes pour le devenir du pays et des Mauriciens.

Nous sommes un pays en quête de transformation économique mais aussi d’évolution politique, environnementale et sociale pour répondre aux exigences d’un monde globalisé, sensible et chaotique.

Le monde aujourd’hui

Alors que, du point de vue climatique, nous sommes en train de vivre l’année la plus chaude jamais enregistrée, nous assistons à une nouvelle fragmentation du monde. La situation géopolitique est dans ce sens édifiante.

Nous savons tous ce qui est en train de se passer en Ukraine. Ainsi, aussi bien la Russie que le peuple turc et Erdogan, les Chinois ou les Indiens partisans de Modi revendiquent sans complexe un nationalisme vindicatif, rêvant tous d’être des acteurs dominants de la géopolitique contemporaine.

Le monde arabe-musulman, bien que n’étant pas homogène, rêve aussi de pouvoir et d’influences. L’Occident a la force militaire et la puissance de la propagande, la Chine a la logistique et le facteur humain, le monde arabo-musulman utilise son argent et le pétrole.

Dans les années à venir, nous pouvons anticiper une situation de plus en plus difficile dans le Proche-Orient (on le voit déjà d’ailleurs). Nous pouvons également pressentir un basculement dans la relation Chine-États-Unis dans le Pacifique, des tensions de plus en plus fortes relatives au devenir de Taiwan, des tensions de plus en plus vives dans l’océan Indien, des provocations de la Corée du Nord, un désir d’en découdre de la part de l’Iran et une menace grandissante liée à la question du nucléaire.

Bref, nous assistons, oui, à une nouvelle fragmentation du monde et peut-être aussi à une guerre larvée des civilisations voulant chacune imposer sa vision du monde.

Pendant ce temps à Maurice…

Pendant ce temps à Maurice quelle est la situation ? Comment se prépare-t-on à cette transformation radicale du monde ? Sommes-nous prêts à gérer les conséquences du dérèglement climatique ? Sommes-nous conscients des enjeux des nouvelles réalités géopolitiques ? Ces sujets nous intéressent-ils vraiment ?

Un récent sondage semble démontrer le contraire. À l’exception des enjeux liés au climat et qui n’apparaît, et cela indirectement qu’à la cinquième position, rien de ce que je viens d’énumérer ne semble préoccuper le Mauricien.

Les sujets que je viens de souligner, en apparence, ne nous affectent pas dans notre quotidien (cela est bien sûr faux), mais vu que nous ne percevons pas toujours leurs effets, il est légitime que nous ne puissions pas les considérer comme essentiels; on s’arrête très souvent à ce qui affecte notre bourse.

Dans ce sens, on pourrait dire qu’en donnant l’apparence aux Mauriciens que le gouvernement sortant a toujours travaillé dans le sens de leurs aspirations ces dernières années, Pravind Jugnauth et ses alliés ne sont pas loin de la vérité. Les projets sociaux tels le Wage Assistance Scheme et le Self Employment Assistance Scheme pendant la crise du Covid, la hausse de la pension de vieillesse, la hausse du salaire minimum, les aides pour les invalides, le transport gratuit, l’enseignement supérieur et le préscolaire gratuits, les frais d’examens SC/HSC pris en charge, les différentes subventions sur le riz, le gaz et la farine, tout cela semble faire écho aux priorités des Mauriciens, et le gouvernement sortant pourrait en conséquence se targuer qu’ils ont répondu aux besoins des Mauriciens.

Cela n’est pas tout à fait faux. Mais un gouvernement appelé à présider aux destinées d’un pays ne peut se permettre de se contenter uniquement de faire plaisir à ses mandants (et cela très souvent de manière démagogique et dans une finalité électoraliste). Cela leur assure certes une popularité sur le court terme et les positionne favorablement pour les élections mais cela met aussi en danger le devenir du pays dans un contexte mondialisé complexe et dangereux.

Un gouvernement digne de ce nom se doit aussi de penser au-delà de l’horizon. Il ne peut pas se permettre de se contenter d’avoir comme seule stratégie et finalité la démarche qu’il faut pour se faire réélire en faisant plaisir aux électeurs. Il doit être capable de penser le devenir du pays à moyen terme et à long terme. Et dans ce sens, de manière dangereuse pour le pays, le gouvernement sortant a échoué lamentablement. Et cela par manque de leadership, de visions, d’idées et de compétences.

Les faillites et échecs du gouvernement sortant

Au passif du gouvernent sortant, nous pouvons ainsi, avec grande inquiétude, identifier une série de problèmes et de déficits qui se sont accentués ces dernières années sous l’impulsion du gouvernement Jugnauth et qui nous fragilisent. Cela, à terme, pourrait mettre en péril notre devenir.

Je vais me contenter de les énumérer brièvement.

1.Un déficit de mauricianité et de mauricianisme ;

2.Un déficit de démocratie ;

3.Le déficit d’une classe politique digne de ce nom ;

4.Le déficit d’une fonction publique compétente et indépendante ;

5.Le déficit d’une indépendance véritable de nos institutions ;

6.Le déficit d’une économie saine ;

7.Le déficit d’un climat social apaisé ;

8.Le déficit d’une sécurité intérieure assurée ;

9.Le déficit d’une stratégie démographique cohérente ;

10.Le déficit de laïcité et d’une relation intercommunautaire apaisée ;

11.Le déficit de méritocratie ;

12.Un déficit de valeur ajoutée et de productivité ;

13.Le déficit de réflexion sérieuse sur la question écologique ;

14.Le déficit d’une réflexion stratégique sur le numérique et sur l’intelligence artificielle ;

15.Le déficit d’une stratégie diplomatique cohérente ;

16.Le déficit d’une école digne de ce nom.

Les raisons d’un vote

Bref, le gouvernement sortant s’est montré aussi obnubilé que la population mauricienne par le court terme et n’a pas pris ses responsabilités pour mettre en place les conditions d’un rayonnement pérenne du pays. L’objectif a toujours été de chercher uniquement à se faire réélire en caressant dans le sens du poil les Mauriciens.

Pierre Dinan, qui nous a malheureusement quittés récemment, disait que nous les Mauriciens, nous étions adeptes de la politique de l’autruche. Nous laissons les choses venir et quand le mur est devant nous, tous se regardent et disent: “Tiens, il y a un mur!” C’est un peu notre tempérament.

Le gouvernement sortant a fait des Mauriciens un peuple d’assistés qui désormais se contente de quémander encore plus. On ne peut plus continuer dans cette voie. Et si le gouvernement sortant est réélu, il semblerait que la volonté serait de continuer ainsi. Par manque de vision, d’idées et de compétences.

Le pays ne peut pas se le permettre. Nous sommes véritablement à la croisée des chemins.

Il nous faut des idées et des hommes et des femmes capables de penser notre devenir commun et trouver la parade aussi bien pour le court terme que pour le long terme.

En politique, il s’agit de faire le choix du moins pire parmi ceux qui, objectivement, ont véritablement une chance d’arriver au pouvoir. Tout vote de sympathie est à proscrire. Le danger est trop grand. Et l’heure n’est plus à l’idéalisme béat. Il s’agit de faire dans la conjoncture actuelle, un choix pragmatique. Nous n’avons, et nous le savons, que deux choix objectifs: renouveler le bail de Jugnauth et ses alliés ou voter pour le changement avec la coalition Ramgoolam, Bérenger, Richard Duval et Subron.

Il ne suffit pas d’avoir de bonnes intentions, de belles idées, ou un idéal politique pour entrer en résonance avec les aspirations du peuple mauricien. Cela condamne d’avance nombre de ces dits petits partis. Au pire ils seront laminés, au mieux ils feront le jeu (dans les villes) du gouvernement sortant en divisant les votes promis à l’opposition.

En mars 2014, déjà, dans ces mêmes colonnes, j’avais tenté d’expliquer pourquoi je souhaitais pour mon pays une alliance entre le Parti travailliste et le MMM.  Je parlais d’unité et de modernité.  Je parlais de gouvernement d’union nationale.

Dans un contexte économique et géopolitique anxiogène, je m’étais dit qu’il était nécessaire de réagir froidement et de voter pour un projet de société rassembleur.

Je pensais aussi que la réunification de toutes les compétences sur la même plate-forme, que l’élection d’un gouvernement d’union nationale dans le contexte mondial actuel est d’une importance fondamentale. À y regarder de près, malgré leurs passifs et certaines faiblesses, c’est un peu ce que nous propose l’alliance du changement.

On ne peut se permettre de continuer dans cette voie. Au-delà de la poudre aux yeux qui nous est jetée par le biais des cadeaux que nous a offerts le gouvernement sortant, il y a au mieux du vide et au pire… les conditions d’un effondrement du pays.

À chacun son choix. Le respect de la démocratie et de la liberté de conscience exige de moi de considérer légitime tout vote, toute opinion.

Quant à moi, je voterai donc, sans hésiter, pour le changement en espérant que Navin Ramgoolam, Paul Bérenger, Richard Duval et Ashok Subron seront à la hauteur des enjeux et dignes de ce peuple souvent admirable dans le passé mais en passe, par la force des choses, de la corruption et de l’argent, de renier ce qui lui reste de dignité et de perdre son âme.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour