À Maurice, les derniers chiffres montrent une nette augmentation dans le nombre de personnes diagnostiquées comme étant dépressives. Les tentatives de suicide y relatives sont également en hausse, notamment auprès des adolescents.
La dépression est l’une des maladies mentales les plus répandues à travers le monde. Plus de 300 millions de personnes sont touchées et 800,000 personnes se suicident chaque année à la suite d’une dépression. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), d’ici 2020, les maladies mentales telles que la dépression et l’épilepsie seront la deuxième cause de mortalité dans le monde.
INTERVIEW
Dr Seewoobudul, psychiatre à l’hôpital Brown Sequard :
“Plus de 200% en cinq ans”
Quelle est la situation quand on parle de la dépression à Maurice ?
La situation est alarmante. Si l’on regarde les chiffres de 2010 à 2015, on constate qu’il y a une augmentation de plus de 200% en cinq ans. Ils étaient 174 patients en 2010 et 413 en 2015. Nous sommes toujours en train de compiler les chiffres pour les années les plus récentes, mais la tendance démontre qu’il y a une augmentation encore plus forte.
Ces chiffres ne concernent que l’hôpital Brown Sequard. Or, depuis quelques années, il y a eu une décentralisation de nos services. Il y a désormais des psychiatric wards dans certains hôpitaux. Le chiffre réel est donc plus conséquent.
Notez également qu’il y a des cas qui ne sont pas diagnostiqués et des dépressifs qui ne se soignent pas. Il y a donc une nette augmentation dans le nombre de personnes touchées par la dépression ces dernières années. Cela reflète une dégradation au niveau social.
La dépression touche-t-elle plus d’hommes que de femmes ?
Les chiffres sont très parlants : les femmes sont davantage touchées que les hommes. Nous avons actuellement une vingtaine de patients ici en traitement, dont une majorité de femmes. Cela s’explique par le fait que les femmes ont tendance à se mettre la faute sur elles-mêmes lorsqu’il y a un problème. L’homme a plus tendance à se rebeller et à mettre son ego de l’avant.
Y a-t-il une tranche d’âge qui est plus touchée ?
Comme le démontrent les chiffres, les tentatives de suicide de personnes dépressives sont plus conséquentes pour les personnes âgées entre 30 et 50 ans. Encore une fois, les femmes sont plus touchées.
Y a-t-il une augmentation dans le nombre de tentatives de suicide de personnes dépressives ?
Oui, il y a une nette augmentation, surtout auprès des adolescents. Si vous observez les chiffres de 2010 à 2017, vous allez constater qu’il est pratiquement le même chaque année, entre 30 et 40. Mais nous savons par expérience qu’il y a une augmentation dans le nombre de tentatives de suicide dues à la dépression. Il faut analyser les cas, se demander si un adolescent qui se coupe le bras fait une tentative de suicide ou suit une mode. À une certaine époque, c’était très commun. Dès que cela arrivait, les parents pensaient que leur enfant avait essayé de se suicider, et le cas était rapporté comme tel.
Comment devient-on dépressif ?
Les causes de la dépression peuvent être multiples et varient d’une personne à une autre. Chez l’adolescent, il peut s’agir de problèmes familiaux. Si les parents sont alcooliques ou drogués, l’enfant peut se sentir délaissé et livré à lui-même. Il pourrait essayer l’alcool et la drogue. Après avoir fait cette bêtise, il peut subir les critiques de la famille. Cela peut contribuer à le rendre dépressif.
La dépression peut également arriver à une personne dans la cinquantaine, le mid-age crisis. Les dettes, le manque de plaisir sexuel dans le couple, le délaissement des enfants sont autant de facteurs qui peuvent amener une personne à devenir dépressive. Ce n’est pas quelque chose qui arrive du jour au lendemain.
Quels sont les soins préconisés ?
Les antidépresseurs. Mais il faut savoir qu’ils peuvent prendre entre 4 et 6 semaines pour fonctionner. Entre-temps, si quelqu’un n’arrive pas à trouver le sommeil, on lui donnera d’autres médicaments qui facilitent le fonctionnement des antidépresseurs. Mais les patients sont parfois trop pressés à trouver la guérison.
Avons-nous les structures adéquates pour s’occuper de patients dépressifs à Maurice ?
Notre établissement n’est pas approprié pour certains types de maladies comme la dépression. Nous devrions avoir un service plus spécialisé. À l’hôpital Brown Sequard, les patients souffrant de différents troubles sont amenés à se côtoyer. Ce qui n’est pas correct. Un patient dépressif cherchera la tranquillité : il peut être agacé par d’autres patients qui souffrent d’autres troubles. Il faudrait également s’attarder sur la formation. Et faire en sorte que les psychiatres puissent se spécialiser dans différentes maladies mentales.
Comprendre la dépression
Selon l’OMS, la dépression est un trouble mental courant se caractérisant par une tristesse, une perte d’intérêt ou de plaisir, des sentiments de culpabilité ou de dévalorisation de soi, un sommeil ou un appétit perturbé, une certaine fatigue et des problèmes de concentration. La dépression peut perdurer ou devenir récurrente, entravant ainsi de façon substantielle l’aptitude d’un individu à fonctionner au travail ou à l’école ou à faire face à sa vie quotidienne. À son paroxysme, elle peut conduire au suicide. Lorsqu’elle est légère, on peut traiter les patients sans médicaments, mais une dépression modérée ou sévère peut nécessiter médication et une psychothérapie menée par un professionnel compétent. La dépression est un trouble qui peut être diagnostiqué de façon fiable et traité par des non-spécialistes dans le cadre des soins de santé primaires. Des soins spécialisés peuvent être nécessaires pour une minorité de cas de dépression complexe qui ne répondent pas aux traitements de première ligne.
En chiffres
– Selon l’OMS, 300 millions de personnes dans le monde sont touchées par la dépression.
– 800,000 personnes dépressives se suicident chaque année.
– Le nombre de patients dépressifs à Maurice est passé de 174 en 2010 à 413 en 2015, soit une augmentation de 237,3%. (Les derniers chiffres sont en train d’être compilés).
– Des 413 patients diagnostiqués à l’hôpital Brown Sequard, 266 étaient des femmes et 147 des hommes.
Reconnaître les symptômes
Selon le Dr Seewoobudul, les signaux que lancent les dépressifs ne sont pas les mêmes, selon leur tranche d’âge. Les enfants présentent souvent des symptômes très sensibles au rejet et à l’échec : explosion de cris, de plaintes ou de pleurs, peur de mourir, manque d’intérêt envers les amis et de communication avec les gens, ennui excessif, appétit augmenté ou diminué, perte d’intérêt dans les activités qu’ils trouvent généralement amusants, perte d’intérêt dans les études. Les adolescents ont presque les mêmes symptômes, mais un plus exacerbés.
Les adultes sont victimes de tristesse, ressentent de la fatigue après avoir réalisé de simples tâches, manquent de concentration, souffrent d’insomnie ou d’hypersomnie et démontrent un manque d’intérêt général.
Les personnes âgées présentent des symptômes comme la fixation sur la mort, se sentent coupables, désespérés et inutiles, bougent de façon plus lente, négligent les soins personnels, se plaignent de façon persistante. Leurs douleurs ne s’en vont pas, même après traitement.
Guide sur la dépression
En mai de cette année, le Rotary Club de Floréal a lancé le Guide sur la dépression – Comprendre pour mieux combattre la maladie. L’ouvrage s’inscrit dans une démarche de dissémination d’informations et de conseils. Il réunit des spécialistes de la psychiatrie et d’autres praticiens, qui y abordent les différents aspects de la maladie, tout en proposant des pistes pour une conduite de bonne santé mentale.
Le guide est disponible gratuitement au Rotary Club de Floréal. Sa version électronique est disponible sur la page Facebook du Rotary Club de Floréal.
Témoignages
“Vivre avec la dépression est très dur”
Vivre avec la dépression n’est pas chose aisée. De petits soucis peuvent prendre des proportions énormes aux yeux des dépressifs, et les rechutes peuvent être fréquentes. Les dépressifs ont parfois du mal à parler de leur situation, ce qui rend le diagnostic et le suivi difficiles. Darshini, la trentaine, et Sylvio, la cinquantaine, ont bien voulu nous parler de cette maladie dont ils sont atteints depuis de longues années.
Leur quotidien est loin d’être un long fleuve tranquille: les médicaments, les crises d’angoisse et même les crises de nerfs peuvent se révéler difficiles à gérer. “Je suis très colérique. Il m’arrive d’écraser des verres et de ne vouloir parler à personne. Je dois parfois quitter la maison pour aller me relaxer à l’extérieur, sinon je peux faire une crise.” Sylvio n’a pas d’accès de colère mais se renferme sur lui-même au moindre problème. “Il m’arrive de pleurer rien qu’en pensant à quelque chose de négatif. Je pense à ma femme qui m’a quitté et cela me fait pleurer. Ça peut arriver n’importe quand, que je sois seul ou avec des gens.”
Pour sa part, Darshini a déjà songé à mettre fin à ses jours, en 2014. Heureusement, elle n’a pas trouvé la substance qu’elle comptait utiliser. “Je voulais me marier mais je n’ai pas pu, j’ai voulu en finir. Je cherchais de l’herbicide, mes proches avaient tout caché par précaution.” Depuis ce douloureux épisode, elle se sent mieux, mais rechute parfois. “Je vais beaucoup mieux aujourd’hui, je n’ai plus jamais songé au suicide. Mais je me sens parfois seule. Je me sens triste si j’ai des problèmes de santé ou même si je laisse tomber un objet au sol. Chaque petite chose peut m’agacer. Si les gens ne sont pas gentils avec moi ou ne veulent pas m’aider, je peux leur parler brutalement.”
Nos deux interlocuteurs pensent que c’est l’accumulation de problèmes qui les a amenés à devenir dépressifs. “Je suis enseignante. En 2006, j’ai été transférée de l’école où je travaillais et qui ne se trouvait pas loin de chez moi. Je me suis sentie déboussolée. Ça a pris une grande ampleur, j’ai eu du mal à aller de l’avant. À un certain moment, ça s’est calmé. Puis, j’ai perdu mon père et mon état s’est aggravé. Je suis allée voir un psychiatre et j’ai été diagnostiquée. Je vais régulièrement à l’ONG Friends in Hope pour faire un suivi, comme me l’a demandé mon psychiatre.”
Sylvio raconte qu’il a commencé à se sentir bizarre depuis que sa femme l’a quitté, il y a plus de quinze ans. La perte de son emploi n’a fait qu’accentuer le problème. “Je me suis senti anéanti, ma vie a basculé. Je ne pouvais m’imaginer remonter la pente. J’ai commencé à boire pour soulager ma peine, et c’est allé de pire en pire. Je n’avais plus goût à rien. Un médecin m’a conseillé d’aller voir un psychiatre, qui m’a diagnostiqué. Depuis, je vais mieux, mais je replonge de temps en temps. J’ai des idées noires, que j’ai du mal à faire partir. Dès que je sens que je ne vais plus tenir, je vais voir mon psy. Il ne me reste que cela à faire.”