Alors que les affaires politiques demeurent au premier plan, les vraies priorités sont passées sous silence ou presque. Les carences dans le système de santé, les brutalités policières, la lutte pour la sauvegarde de l’environnement et le patrimoine, la pauvreté, la drogue et plusieurs autres dossiers essentiels n’ont pas la même priorité.
L’épisode Ameenah Gurib-Fakim a plongé le pays dans une crise constitutionnelle sans précédent. Si cette parenthèse est derrière nous, elle est loin d’être fermée. “Nous sommes tous concernés par l’instabilité politique de ces derniers temps. D’autres dossiers méritent notre attention, mais nous avons l’impression qu’il n’y a aucune directive”, constate Kunal Naïk, Advocacy Coordinator à CUT. Il cite la mise en place d’un plan directeur national de lutte contre la drogue afin de lutter efficacement contre ce fléau. Kunal Naïk parle également des problèmes occasionnés par le Metro Express, l’abattage d’arbres sur la promenade Roland Armand, les manifestations du Kolektif Aret Kokin Nou Laplaz, le budget à venir. Il mentionne le dernier rapport d’audit du Public Accounts Committee, qui indique d’importants gaspillages de l’argent du contribuable au sein de plusieurs ministères. “Tout cela fait que les gens s’interrogent.”
“Notre système de santé va très mal”.
La santé se porte mal à Maurice. En cause : les dépenses inexpliquées d’achats de médicaments, révélées dans le rapport d’Audit, qui souligne comment les équipements de radiothérapie sont inadéquats ou défectueux. La cacophonie dans les centres de soins privés ou divers établissements qui ne sont pas agréés par les autorités est aussi critiquée. Les cas de négligences médicales enregistrées, notamment l’affaire Sookun (disparition alléguée d’un bébé à l’Hôpital du Nord) semblent peser encore plus lourd dans la balance. Selon le Dr Isshack Jowahir, de la Private Medical Practitioners Association, “notre système de santé va très mal. La raison est que c’est un système politically biased. Dans l’affaire du bébé supposément disparu, quelles sanctions ont été prises contre le gynécologue en question ? Par sanction, je ne fais pas référence à une mauvaise interprétation de l’échographie ou autre maldonne. Mais est-ce qu’un médecin exerçant dans le public peut suivre un même patient dans le privé ?” Il déplore un laxisme au niveau de l’État, qui délivre une licence pour exercer à la fois dans le secteur public et dans le privé. “Notre système de santé est gangrené par des situations de ce genre. Il doit y avoir un démarquage entre le privé et le public. Cela relève d’un manque de contrôle et de rigueur.”
Lutte contre la drogue.
Tout dernièrement, des vidéos de jeunes sous l’emprise de drogues synthétiques ont fait le buzz sur les réseaux sociaux, mettant en évidence comment la société est dépassée par ce fléau. Pas plus tard que la semaine dernière, l’Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU) a saisi un kilo de drogues d’une valeur estimée à Rs 5 millions, lors d’une descente dans un laboratoire clandestin à Triolet. “Cela vient prouver ce que les travailleurs sociaux ne cessent de dénoncer : il y a un grand problème par rapport aux drogues synthétiques”, observe Kunal Naïk.
Malgré toute la sensibilisation et les campagnes autour de ce phénomène, il estime que “le problème demeure toujours intact. Nous ne connaissons pas le contenu de ces drogues de synthèse, ce qui rend compliqué de mettre en place un protocole médical approprié, surtout en cas de consommation problématique”.
Le gouvernement et plusieurs ONG ont élaboré en 2017 un plan directeur national de lutte contre la drogue (National Drug Control Master Plan) à Maurice afin de lutter efficacement contre ce fléau. “Nous sommes en 2018, mais ce plan directeur n’a pas encore été discuté au sein du Cabinet pour être approuvé ou pas. Les autorités concernées disent toujours éplucher ce plan pour savoir comment le mettre en place”, affirme Kunal Naïk. Selon lui, il est nécessaire d’avoir un centre directif pour coordonner toutes les actions menant à un résultat concret. “Nous sommes aussi conscients que ce que ce centre n’apportera pas, c’est une étude de prévalence d’utilisation des autres drogues à Maurice.” Dans la mesure où toutes les études réalisées jusqu’à présent se sont focalisées sur l’héroïne, “cette étude scientifique est nécessaire pour savoir quel type de drogues est consommé et surtout combien d’utilisateurs développent une consommation problématique”.
Brutalité policière.
L’affaire Eddysen Pachee vient mettre le doigt sur la recrudescence de la brutalité policière dans l’île Maurice de 2018. Selon un rapport compilé par Lalit depuis 1979, la mort d’Eddysen Pachee est la 65e en 39 ans. Lindsey Collen, membre de Lalit, affirme qu’il n’est pas concevable que l’île Maurice d’aujourd’hui soit encore touchée par ce phénomène. “C’est une pratique violente que l’on observe davantage chez une branche des forces de l’ordre, notamment la CID. C’est répréhensible mais c’est aussi le devoir de toutes les parties concernées – le Premier ministre, les magistrats ou encore le personnel soignant – de développer un protocole approprié quand ce genre de cas se présente.” Lindsey Collen tient à souligner que dans les cas de Rajesh Ramlogun ou d’Eddysen Pachee, morts en détention policière, “il semblerait que le personnel médical se laisse influencer par les policiers qui accompagnent les victimes de ces brutalités”.
Fossé entre riches et pauvres.
Selon un constat du rapport de la Banque Mondiale lancé dernièrement, de 2001 à 2015, le fossé s’est creusé de 37% entre les revenus des ménages les plus pauvres et les plus riches. Intervenant sur le volet pauvreté, Joceline Minerve, ancienne ministre de la Sécurité sociale, fait un constat général de la situation : “Des pauvres toujours plus pauvres, en nombre grandissant, et des riches toujours plus riches, en nombre réduit.”
En ce qui concerne le salaire minimum effectif depuis le début de l’année, beaucoup de questions se posent sur son rôle dans la réduction de la pauvreté. “Qu’est-ce qu’un salaire minimum ? Où placer la barre pour rendre ce salaire décent et non pas cache-misère ?”, s’interroge Joceline Minerve. S’exprimant avec virulence sur les changements nécessaires, elle explique qu’une réelle amélioration passe par un changement des pièces centrales de notre moteur national mauricien. “Car elles sont faussées depuis l’origine et nous mènent à la catastrophe. Il faut modifier de fond en comble ce moteur, dont le carburant est un poison violent mais très lent.”