— Jennifer Webb de Comarmond (Adecco) : « Les nouvelles lois du travail ont des implications financières considérables pour les employeurs »
— Deux implications aux licenciements : “Re-Skilling” et “Up-Skilling”
— Hausse de la “Gig Economy” à prévoir dans les années à venir
La pandémie, le confinement et la crise sévère subséquente font que l’économie génère de moins en moins d’emplois. Ajoutés à cela, les nombreux changements aux lois du travail constituent des pressions additionnelles sur les employeurs. Jennifer Webb de Comarmond, Chief Executive Officer (CEO) d’Adecco Mauritius, note que « nous sommes passés par des moments compliqués ces derniers mois, avec tous les changements apportés aux lois du travail ». Il ajoute : « Les ressources humaines, comptables et directeurs financiers des entreprises sont confrontés à de vrais enjeux, et ce depuis l’année dernière, car il y a aujourd’hui des implications financières considérables pour les employeurs. Nous avons eu des défis liés à COVID-19 mais, avec des changements dans les lois, il y a des enjeux additionnels. » Elle ajoute que parallèlement, le marché du travail est en pleine mutation et ces nouvelles donnes — couplées aux licenciements — engendrent de nouvelles opportunités à saisir : “re-skilling”, “upskilling” et “freelancing”, entre autres.
« Dans la conjoncture de pertes d’emplois, le volume de jobs à pourvoir sur le marché a drastiquement diminué. Et pour les postes que nous avons à pouvoir actuellement, nous constatons que ce sont des postes pour lesquels nous n’avons pas forcément les compétences à Maurice. Il y a des postes dans le secteur des TIC, par exemple, où nous n’avons pas de gens formés pour postuler, et aussi dans d’autres secteurs, c’est le point mort comme c’est le cas dans la construction », dit Jennifer Webb de Comarmond. Elle poursuit : « Dans le secteur financier, la demande est en baisse et dans le secteur touristique, il n’y a plus d’offres d’emploi. Mais la demande générale a baissé parce qu’il y a aussi davantage de licenciements aujourd’hui. »
Jennifer Webb de Comarmond ajoute que le recrutement démarre « très timidement », mais qu’il reste encore « très faible ». Elle précise que « cela prendra du temps ». Elle estime qu’à travers la qualité des Lay-Off actuels, il y aura deux implications : le “re-skilling” et “l’up-skilling”. Par ailleurs, elle dit que « c’est clair que, dans un tel environnement, il y aura un grand engouement pour des domaines comme les Freelancers, car les gens qui ne trouveront pas d’employeurs vont se mettre à leur propre compte ». D’ailleurs, dit-elle, chez Adecco, « nous proposons des Freelancers à nos clients, notamment à travers notre plateforme Afreelancer.mu, sur laquelle les individus peuvent s’inscrire et nous postons des missions sur notre site. »
Jennifer Webb de Comarmond reconnaît aussi que le travail temporaire augmentera : « Les entreprises recruteront des gens pour des missions définies dans le temps. Les entreprises ne veulent plus d’une main-d’œuvre permanente, elles veulent davantage de flexibilité en tant qu’employeur. » Mais la difficulté pour les freelancers est qu’ils n’ont pas accès aux prestations sociales.
Magré tout, la Gig Economy se développera rapidement, de même que le nombre de Gig-Workers. Selon une étude, la Gig Economy” comptait 55 millions de participants aux États-Unis en 2017, et il est estimé qu’environ 36% des travailleurs américains sont partie prenante de ce segment du marché du travail et que 33% des compagnies américaines « extensively use gig workers ».
L’autre tendance est celle de la “platform economy” (économie digitale), un secteur en forte croissance. Par ailleurs, la CEO d’Adecco ajoute que, dans cette mouvance de progrès, le rôle-même de l’employeur est en train d’évoluer, il devra s’occuper davantage de la santé et de la sûreté de son personnel.
ENNIFER WEBB DE COMARMOND :
« Des difficultés à se restructurer »
Les nombreux changements apportés aux lois du travail sont-ils pertinents, en ligne avec ce qui se fait à l’étranger et qu’en est-il de leur impact sur les entreprises ?
Il y a certainement une démarche d’essayer de pousser Maurice à un niveau international, mais la vraie question que l’on se pose est est-ce le bon moment ? Tous ces changements aux lois du travail sont faits durant une année déjà très difficile pour les employeurs. Ces derniers ont aujourd’hui beaucoup plus de difficultés — sur le plan légal — pour se restructurer. Et si maintenant on rajoute des charges, c’est peut-être positif, mais ce n’est pas le bon timing.
Pourquoi la restructuration des entreprises est-elle plus compliquée ?
Les nouvelles lois viennent mettre beaucoup de pare-feu et de paramètres complexes. Il faut comprendre cette complexité, c’est cela le challenge des responsables de ressources humaines.
Chez Adecco, quel est le «feedback au niveau de vos clients concernant les nouvelles lois ?
Il y a une réaction négative sur toutes les charges supplémentaires et tout le changement associé aux nouvelles lois. Les entreprises sont déjà confrontées à une année très difficile et, au-delà de cela, elles doivent gérer d’autres changements, cela devient impossible. C’est une forte pression sur les HR Managers qui, en outre, doivent s’éduquer rapidement pour être en mesure de répondre promptement à tous ces changements qui commencent dès la fin du mois, avec la CSG. Il y a eu des changements avec la Covid Act, la Finance Act, etc., qui font que les entreprises ont besoin de se mettre à niveau de manière accélérée.
LICENCIEMENT ÉCONOMIQUE
La politique du GM « pas tout à fait cohérente » ces derniers mois
Bilshan Nursimulu, avocat chez Fifteen Barristers, recommande aux employeurs d’introduire des “provisions” concernant le télétravail dans les contrats des employés. Idem pour le “flexi-time”, selon lui, les entreprises devraient envisager d’élaborer une politique précise car de plus en plus d’employés demandent des horaires de travail flexibles. Il met en garde également contre une politique « discriminatoire » sur le flexi-time entre “management” et employés.
Commentant le droit du travail en général, Bilshan Nursimulu explique que certains changements apportés par le législateur ont pour but d’accompagner l’évolution de la nature du contrat de travail. Par exemple, un employé peut demander à travailler en “flexitime”, non seulement pour s’occuper d’un enfant en bas âge comme c’était le cas précedemment.
Dans le même sens, le législateur prévoit qu’un employeur peut exiger que ses employés travaillent à domicile (sans nécessiter le consentement de ces derniers) en leur donnant un préavis de 48 heures. Par ailleurs, l’avocat note « le retrait d’une surprotection de certains employés ». Par exemple, un salarié qui gagne plus de Rs 100 000 par mois comme salaire de base ne sera plus éligible au boni de fin d’année prévu dans le Workers’ Rights Act (calculé sur les “earnings” du salarié), bien qu’il percevra toujours le treizième mois prévu sous l’End of Year Gratuity Act (calculé sur son salaire de base seulement).
En ce qui concerne les licenciements pour motif économique, Bilshan Nursimulu dit qu’on comprend la difficulté des employeurs à suivre la politique gouvernementale qui n’a pas été tout à fait cohérente pendant les derniers mois. D’abord, en mai 2020, la COVID-19 (Miscellaneous Provisions) Act introduit la section 72A dans la Workers’ Rights Act 2019 et prévoit que les employeurs opérant dans certains secteurs pourraient être exemptés par le ministre du Travail de l’application de la procédure de “redundancy” sous la section 72 de la Workers’Rights Act 2019, et que si les licenciements étaient justifiés, le Redundancy Board pourrait sanctionner un accord alternatif entre l’employeur et les salariés concernés pour que ces derniers bénéficient d’un “leave without pay” et du Transitional Unemployment Benefit payé par l’État.
L’on aurait cru comprendre de par cette mesure, une acceptation de la réalité économique de ces opérateurs dont l’activité est considérablement affectée et qui ne reprendra pas d’aussitôt. Cependant, jusqu’à présent, seulement deux sociétés ont été exemptées sous la section 72A, notamment, Air Mauritius et Airmate. Quelques semaines plus tard, la Finance Act apporte une restriction qui ne reflète pas la même politique en ce qu’elle interdit à tout employeur de réduire sa main-d’œuvre sauf s’il a reçu l’exemption ministérielle sous la section 72A de la Workers’Rights Act ou s’il a sollicité une assistance financière auprès de l’État et s’est vu rejeté dans cette démarche.
Outre une différence de politique, cette disposition se heurte au fait que, dans plusieurs cas, il ne serait pas prudent ou raisonnable pour une entreprise de continuer à s’endetter afin de garder des salariés sur son “payroll” alors qu’il n’y a pas de travail pour eux, et ce peut-être même au détriment d’autres créanciers de l’entreprise. « Encore faut-il que cette proposition soit constitutionnelle et n’enfreigne pas la protection des investisseurs étrangers sous les différents accords bilatéraux entre Maurice et d’autres pays – ces questions restent à être étudiées », explique l’avocat.
Par ailleurs, poursuit-il, « on a du mal à réconcilier cette disposition avec l’idée qu’un Redundancy puisse être motivé par d’autres changements tels que de nature technologique ou structurelle, ou encore, la justification d’un licenciement pour motif économique même en l’absence des difficultés financières lorsque le licenciement est effectué pour préserver la compétitivité de l’entreprise (motif que la cour industrielle a retenu à plusieurs reprises lors de ces dernières années). »