La CDT est reconnue comme un marqueur plus spécifique de la consommation d’alcool élevée et chronique que les marqueurs traditionnels. Elle est considérée comme un outil de pointe pour le diagnostic précoce des consommateurs à risque, pour le dépistage des alcoolodépendants, ainsi que pour le suivi du maintien de l’abstinence et le diagnostic des rechutes.
Cette méthode est aussi utilisée dans de plus en plus de pays pour la sécurité routière, dans le domaine de l’aviation et maritime de même que pour les femmes enceintes ou les individus en général.
Un des spécialistes mondiaux dans le domaine, le biochimiste d’origine mauricienne Jean Deenmamode, a approfondi ses connaissances en la matière en Angleterre où il vit et travaille depuis des décennies. Nommé président de l’International Federation of Clinical Chemistry and Laboratory Medicine (IFCC) – CDT (Carbohydrate Deficient Transferrin) Working Group, il voyage pour vulgariser et aider à la mise en place de cette méthode dans plusieurs pays. D’où la visite qu’il effectuera à Maurice en septembre dans l’objectif de rencontrer les représentants des autorités et des laboratoires pour aider Maurice à se doter de cette expertise, tant pour le pays que pour le continent.
En quoi consiste cette méthode de détection d’alcool dans le corps que vous proposez ?
La transferrine est une protéine synthétisée par le foie et elle transporte le fer dans la circulation. Il existe un certain nombre d’isoformes de transferrine en raison du nombre de résidus supplémentaires attachés à la molécule.
Dans les années 70, en séparant des isoformes de transferrines dans le fluide cérébro-spinal de groupes de patients, des scientifiques notèrent une présence insolite et accrue d’isoformes chez ceux souffrant d’alcoolisme chronique. Elles n’étaient pas visibles chez les autres groupes. Ces isoformes étaient déficitaires en résidus de glucides et furent nommées Carbohydrate Deficient Transferrin (CDT). Des tests de CDT furent commercialisés dans les années 90. Ils furent améliorés dans les années 2000.
En quoi est utile cette expertise vers laquelle se tournent de plus en plus de services et de pays ?
Elle sert principalement à identifier ceux qui sont exposés à un risque de consommation d’alcool chronique de manière modérée ou excessive afin de minimiser, voire d’éliminer les conséquences associées et les maladies.
Comment est-ce que cette méthode pourrait être bénéfique à Maurice ?
L’alcool est généralement associé à une insuffisance hépatique, mais il s’agit bien d’une substance psychoactive. Au niveau de la sécurité routière, le test peut aider à identifier les chauffeurs qui ont une consommation chronique de modérée à excessive d’alcool, que ce soit pour le transport public ou privé. La CDT a un autre rôle encore plus important au niveau de l’aviation et du transport maritime.
Le test pourrait aider à identifier les problèmes de foie liés à l’alcool. De manière générale, il permettra d’identifier ceux qui ne sont pas conscients d’être exposés à un risque de consommation chronique d’alcool et aux complications associées. Il peut être utile dans plusieurs autres domaines. Dans les affaires légales par exemple, les enquêtes médico-légales, les cas de violence domestique, pour les femmes durant les trois premiers mois de la grossesse et dans le domaine du travail auprès de certains opérateurs devant utiliser des équipements, entre autres.
Que préconisez-vous pour sa mise sur pied localement ?
L’idéal serait une collaboration avec les autorités et un laboratoire ayant le matériel adéquat. Il s’agira d’introduire le service CDT en utilisant une méthode commerciale et aussi d’établir la méthode de référence. L’encadrement et la supervision seront faits pour veiller à offrir un service de qualité.
Comment ce procédé a-t-il été mis sur pied et qu’est-ce qui le rend exceptionnel ?
Les tests de sang et d’urine ont des limites dans le sens où les échantillons peuvent se détériorer en attendant l’analyse. Leurs résultats sont une indication de la situation sur une période précise. Les marqueurs traditionnels de la consommation chronique d’alcool ont des inconvénients majeurs car ils manquent de sensibilité et de spécificité par rapport à la CDT qui est considérée comme le marqueur le plus précis au niveau de la consommation d’alcool.
La ½ vie de la CDT est de 10 jours. Ce qui veut dire qu’il peut être utilisé pour faire une rétrospective ou faire le suivi de l’abstinence.
Qu’est-ce qui vous a encouragé à mener des recherches en ce sens ?
Lorsque le service de test de diagnostic de la CDT avait été lancé en 2008, j’étais attaché à l’un des trois laboratoires concernés. Les résultats avaient démontré des cas d’alcoolisme chronique et de consommation excessive chez des pilotes, auprès des individus dans des centres de réhabilitation et chez des personnes qui n’avaient jamais imaginé qu’elles couraient un risque d’alcoolisme chronique jusqu’à ce qu’elles aient fait le test.
Les tests commerciaux disponibles étaient fiables mais chacun mesurait différentes parties de la CDT. De ce fait leurs résultats ne pouvaient avoir de pertinence légalement ou lors d’une enquête. En 2005, l’International Federation of Clinical Chemistry and Laboratory Medicine (IFCC) constitua un groupe d’experts internationaux pour standardiser la CDT.
Relativement à mon expérience, je fus invité à rejoindre le groupe en 2015. Désormais, en ma qualité de président du groupe de l’IFCC, j’ai pour responsabilité de promouvoir l’usage de la CDT et aussi pour sensibiliser sur la pertinence de cette méthode.
Qui sont ceux qui font appel à ces services et dans quels objectifs ?
Nous travaillons avec les organisations responsables de l’attribution de permis de conduire pour les véhicules publics et privés. Cela concerne aussi bien les chauffeurs que les pilotes d’avion ou d’embarcations. Nous travaillons ainsi beaucoup avec les aéroports et le secteur de l’aviation. Notre collaboration s’étend aussi avec les services associés au bien-être de la famille, les soins primaires, les services d’urgence et au monde du travail, entre autres.
C’est aussi une façon pour les individus de voir si leurs habitudes de consommation ne risquent pas de les exposer à une situation d’alcoolisme chronique.
Quel sera le but de votre visite à Maurice en septembre ?
Mon arrivée se fera tout juste après la rencontre du groupe de scientifiques de l’IFCC qui est prévue au début de septembre. Ce sera l’occasion pour moi de partager les nouvelles informations touchant à la CDT aux Mauriciens et d’exposer les lignes directrices appliquées ailleurs et desquelles les autorités mauriciennes pourraient s’inspirer.
Je souhaite aussi avoir l’opportunité de présenter et de sensibiliser aussi bien les autorités et les individus en général sur les effets de la consommation excessive d’alcool, de parler de la CDT et des autres nouveaux marqueurs d’alcool.
Qu’attendez-vous des autorités ?
Je souhaite pouvoir rencontrer les membres des autorités directement concernées par les problématiques liés à la consommation abusive d’alcool. J’espère aussi avoir l’occasion de proposer la mise sur pied d’un service de CDT dans l’île avec la collaboration du groupe IFCC–CDT. Ce sera un service unique sur le continent africain.
Le CDT
La transferrine, protéine sérique de transport du fer synthétisée par le foie, est une glycoprotéine. La transferrine humaine se présente sous différentes isoformes. La consommation abusive et répétée d’alcool modifie la répartition des formes moléculaires, même si la concentration globale reste inchangée. Il en résulte une augmentation des formes désignées sous le nom de Transferrine désyalilée ou CDT (Carbohydrate Deficient Transferrin).
Toutes les données expérimentales indiquent qu’une consommation comprise entre 50 et 80 g par jour (soit une bouteille de vin par jour ou 2L de bière) pendant au moins une semaine modifie la répartition des formes moléculaires de la transferrine : la concentration en transferrine tétrasialylée diminue, alors que les formes peu sialylées telle la CDT augmentent notablement. À l’arrêt de l’intoxication éthylique, la CDT retrouve des valeurs « normales » entre 2 et 4 semaines.
La ½ vie de la CDT est de l’ordre de 14 à 17 jours, d’où l’intérêt en cas d’alcoolisation intermittente ou de rechute. Si la réalcoolisation survient peu de temps après le début de l’abstinence, la CDT augmente en quelques jours. En dehors de la consommation excessive et chronique d’alcool, peu de conditions connues augmentent les taux de CDT. En effet, la CDT ne semble pas influencée par la plupart des maladies hépatiques non liées à l’alcool, à la différence des marqueurs classiques.
Portrait
Nommé président de l’International Federation of Clinical Chemistry and Laboratory Medicine (IFCC) – CDT (Carbohydrate Deficient Transferrin) Working Group, Jean Deenmamode a quitté Maurice à 14 ans alors qu’il était collégien au Collège La Confiance. Ses parents avaient choisi de poursuivre la vie et leurs carrières en Angleterre. C’est là qu’il a mené plusieurs études pour faire de lui un biochimiste qui a rapidement gagné en réputation là-bas et dans plusieurs pays.
En 2008, il travaille sur la CDT et il mène l’hôpital d’Homerton à développer un service commercial de détection d’alcool dans le sang. Très rapidement il fait le tour de l’Europe, s’envole pour l’Asie où des pays comme Hong Kong ou encore Singapour ont retenu ses services pour développer des unités de CDT.
À la présidence de l’IFCC, une de ses tâches consiste à faire le plaidoyer et d’aider à la mise en place de cette méthode révolutionnaire.
Sa visite prochaine à Maurice sera une aubaine pour établir des contacts stratégiques visant la santé publique et la sécurité. D’où son appel aux intéressés alors qu’il reste joignable à travers l’adresse suivante : sj.deenmamode@btinternet.com