Réunissant ceux qui ont et qui consomment toujours de la drogue, le Mauritian Network of People who Use Drugs (MauNPUD) s’engage pour réhabiliter l’image de ceux qu’il représente et pour aider à améliorer la situation liée à ce dossier. Les militants de la plateforme invitent au dialogue tandis qu’ils se préparent pour le lancement officiel de leur organisation à travers un rassemblement public.
Réunir les efforts pour combattre la stigmatisation des utilisateurs de produits psychoactifs. Venir à bout des préjugés pour faire tomber les barrières et permettre l’intégration. Ouvrir le dialogue avec les partenaires pour des décisions mieux adaptées et correspondant aux attentes du terrain. Tels sont les principaux axes autour desquels s’est construit le Mauritian Network of People who Use Drugs (MauNPUD). Présidée par le travailleur social Nicolas Manbode, cette structure réunit des consommateurs et d’anciens consommateurs qui ont décidé de s’engager à visage découvert pour faire entendre la réalité d’une communauté marginalisée, voire déshumanisée aux yeux des autres.
Les barrières.
Pourtant, rappelle Cindy Hurdoyal, “bien que nous soyons des utilisateurs, nous faisons partie de la société. Nous travaillons, nous sommes engagés dans différentes activités sans nuire aux gens.” Pour Nicolas Manbode, le poids du regard de la société vis-à-vis d’un utilisateur de produits psychoactifs peut être très lourd : “Les barrières érigées à l’extérieur sont parfois beaucoup plus épaisses que les murs des prisons.”
Le MauNPUD le reconnaît, certains utilisateurs ont une attitude et une manière de faire qui provoquent cette stigmatisation. Ceux qui vont vers la criminalité et qui ont un comportement social répréhensible sont, cependant, “une minorité. Mais leurs agissements retombent sur toute la communauté.” Pour Mika Ramsamy, “quand on parle d’un utilisateur, on se base sur sa consommation et non pas sur ce que la personne fait dans sa vie. Beaucoup mènent portant une vie normale. C’est la société qui finit par juger quelqu’un lorsqu’elle apprend que ce dernier consomme de la drogue. La société n’est pas prête à nous accueillir. Nous sommes pourtant des gens tout à fait humains avec nos qualités et nos défauts. C’est pourquoi nous voulons aider à la réintégration des utilisateurs et les aider à reprendre goût à la vie. Nous demandons à la société de commencer à considérer un utilisateur comme un être humain avant tout.”
Expertise.
Par ailleurs, soutenu par diverses associations déjà engagées, le MauNPUD veut désormais que sa voix soit écoutée dans les discussions liées à la drogue. “Lorsque nous parlons de la problématique de la drogue, nous nous basons sur des faits tels que nous les avons nous-mêmes vécus et non pas sur les on-dit”, précise Nicolas Manbode. Pour Cindy Hurdoyal, “beaucoup de choses ont été faites en notre nom sans qu’on ne nous en parle. Nous souhaitons être à la table des discussions désormais.” De son côté, Cindy Trivedi insiste : “Ne faites rien sans nous. Nous avons une expertise en matière de drogue et nous faisons partie de la solution.”
Le collectif salue la récente décision du ministère de la Santé d’arrêter la distribution de méthadone dans les postes de police pour les centres. Il regrette la décision initiale d’Anil Gayan, qui a fait ralentir ce programme de réduction des risques, lequel programme a pourtant fait baisser le taux de transmission du HIV, des hépatites et la criminalité. “Jusqu’alors, Maurice était citée comme un bon exemple dans la région. Puis les choses se sont détériorées.” Le MauNPUD réclame le renforcement des mesures et un meilleur accompagnement psychosocial des utilisateurs.
Les membres du réseau espèrent aussi prendre part de manière active à la prévention. Ils ont déjà commencé à encadrer les utilisateurs dans différentes régions pour appeler à un changement de comportement et aussi pour la formation destinée à réduire les risques lors de la prise de drogue.
Nicolas Manbode
“Ne faites rien et ne dites rien sans nous”
Alors que vous insistez pour que les autorités vous considèrent comme des partenaires pour discuter des sujets liés à la drogue, quelle sera la teneur de votre conversation avec le Premier ministre si ce dernier accepte de discuter avec vous ?
Je le féliciterai de l’initiative du gouvernement pour la mise sur pied de la commission d’enquête sur la drogue. J’espère qu’il me donnera des raisons de le féliciter pour la mise en application rapide des recommandations du rapport. Ce sont des recommandations claires, précises et directes. Par exemple, en arrêtant de criminaliser un utilisateur de drogue, nous résoudrons une grosse part du problème. On pourra déjà diminuer considérablement le budget de la répression, de l’incarcération, etc. Il suffit de briser la demande pour briser l’offre. Sinon, cela ne devient que du business dans le cadre d’un système qui ne fonctionne pas. Il faut revoir le système pour qu’il soit proactif. Une infirme partie du budget de la répression est canalisée vers le système de santé, la prévention et l’encadrement feront une grande différence pour améliorer les choses.
Nous lançons un appel aux autorités pour que la discussion concernant les drogues nous incluent aussi désormais. Désormais, si vous parlez de nous sans nous, c’est une honte. Si vous parlez d’usage de drogue sans nous, ce sera désormais une honte. Et si vous faites quelque chose sans nous, ce sera un crime. Ne faites rien et ne dites rien sans nous.
À quel point est-il délicat de dire publiquement que vous êtes des anciens ou présents utilisateurs de drogue, compte tenu de l’illégalité d’une activité qui suscite des préjugés importants ?
Le soutien des associations qui sont autour de nous nous permet de nous exposer à la tête du réseau. Les porte-parole sont des utilisateurs ou des anciens et nous sommes employés chez PILS, CUT, AILES, soit des associations engagées auprès des utilisateurs. Je suis employé de PILS et anciennement chez CUT et je peux en parler parce qu’il n’y aura aucune sanction qui sera prise contre moi. Vis-à-vis de la société et de la police, c’est un risque qu’il nous faut prendre. Certainement, personne ne veut prendre de tels risques en étalant dans la presse que nous avons ou avions eu des relations avec la drogue. Je souligne que tous nos membres ne sont pas forcément toujours des utilisateurs. Donc la police ne pourra sévir à moins d’avoir des preuves que nous sommes engagés dans une activité illégale. Mais il nous faut nous exposer pour permettre à la situation de s’améliorer.
Comment cela s’est-il fait ?
Pas du jour au lendemain. Nous sommes passés par différentes sessions de formation et d’empowerment déjà pour que nous ne nous mettions pas dans une situation d’auto-discrimination et pour que soyons prêts. Dans mon cas, ma formation a commencé en 2011 en prison et je n’ai jamais arrêté. J’ai parlé publiquement et même au niveau international. En 2015, quand j’ai décidé de parler du fait que je vis avec le VIH, c’était pour pouvoir devenir un vrai militant, un vrai activiste engagé au nom de mes pairs pour améliorer les choses. Comment aurai-je fait cela dans l’anonymat ou en témoignant avec un masque sur le visage ? J’avais le choix entre continuer mon métier de contracteur ou m’engager. J’ai donc pris la décision de parler en tant qu’une personne co-infectée par le VIH et l’hépatite C, qui a un passé d’utilisateur de drogue, qui a fait de la prison et qui veut aujourd’hui apporter sa contribution pour aider à améliorer la société. Il est temps d’arrêter les amalgames et de croire que ce sont tous les usagers de drogue qui posent des difficultés à la société à cause des agissements d’une minorité.
Votre message à l’intention des jeunes ?
Nous sommes en 2018, les drogues disponibles aujourd’hui n’ont rien à voir avec ce qu’il y avait sur le marché dans le passé. Avant qu’ils ne commencent à consommer, je demande aux jeunes de bien s’assurer qu’ils savent à quoi ils ont affaire. Beaucoup diront que la drogue est une mauvaise chose. Je tends plus à dire que la drogue c’est bon tout en étant mauvais. Si je me limite à ne parler que du négatif, les gens risquent d’être tentés de vouloir essayer. C’est dans la nature humaine que d’être attiré par les interdits. Notre but au sein de MauNPUD est de venir expliquer les drogues en toute objectivité. Parler du plaisir et des conséquences qui suivront. Et non pas permettre au peer pressure dans la rue de venir étaler uniquement les bons côtés. Il y aura toujours quelqu’un qui viendra parler du plaisir pour tenter les autres et la curiosité fera le reste. Il faut donc parler des deux aspects et donner l’occasion aux jeunes de prendre un choix informé. Nous sommes des personnes qui ont connu toutes les étapes. Nous nous baserons sur nos propres expériences pour discuter avec les autres. Nos témoignages pourront faire le déclic dans la tête du jeune qui nous entendra. S’il prend le choix de continuer, nous lui expliquerons comment faire pour éliminer les risques.
Overdose : une journée pour sensibiliser
Les chiffres officiels sont en dessous de la réalité. Pour cause, tous les cas d’overdose référés dans les centres de santé ne sont pas toujours répertoriés en tant que tels. Même dans les cas fatals, la cause du décès est généralement attribuée aux conséquences de l’overdose, l’œdème pulmonaire étant une des conclusions le plus souvent notées. Il y aurait eu 17 décès en 2015, 23 en 2016, 18 de janvier à septembre 2017, ces chiffres officiels ne sont qu’une indication générale tandis que le MauNPUD attire l’attention sur la gravité de la situation et sur la nécessité de mesures concrètes pour atténuer l’impact des overdoses chez les usagers de produits psychoactifs.
Les porte-parole du MauNPUD rappellent que les décès liés aux overdoses peuvent être évités “en faisant évoluer les programmes et matériels de réduction des risques.” Ils réclament aussi la mise à disposition du Naloxone, médicament dont l’efficacité est reconnue dans de telles situations. À Maurice, il n’est disponible que dans le milieu hospitalier alors qu’il est recommandé mondialement que les proches des usagers et leurs pairs y aient aussi accès. Le MauNPUD est en faveur de la formation du public et des personnes concernées afin de permettre des interventions en urgence face à des cas d’overdose.
Ces différentes demandes seront mises de l’avant le 31 août alors que le monde marque la Journée internationale de sensibilisation aux overdoses. Cette initiative existe en Australie depuis 2001 et c’est la première fois que Maurice participera à cette mobilisation à travers MauNPUD, PILS et CUT.