Lire et écrire sont des compétences de base primordiales à l’épanouissement personnel et professionnel. Conscient de ces enjeux, de nombreuses entreprises évoluant avec des travailleurs manuels ont pris le problème à bras-le-corps en choisissant de souscrire à des cours d’alphabétisation fonctionnelle en milieu professionnel. Une aubaine pour “grandir et s’épanouir” dans un cadre spécialisé où trop souvent, les personnes analphabètes sont handicapées quand elles doivent assumer des tâches qui exigent le recours à l’écrit. En marge de la Journée Internationale de l’alphabétisation, Scope s’y intéresse.
S’aidant de “cartes flash”, la formatrice fait appel à la mémoire des apprenants, leur présentant une image qu’ils identifient à un mot. “Customer, Size, Vehicle Model, Vehicle brand…”, enchaînent ces derniers. Autant de termes techniques que ces Tyremen d’Emcar Marine ont appris à maîtriser au bout de 50 heures de cours d’alphabétisation fonctionnelle en milieu professionnel. Ces employés jouissent aujourd’hui d’une meilleure confiance en eux pour braver les défis de la vie au jour le jour. Depuis 2005, le Functional Literacy et Numeracy Program de Caritas s’est étendu aux entreprises. À ce jour, une dizaine d’entreprises en moyenne ont souscrit à ces cours qui sont MQA Approved et réitèrent l’engagement annuellement.
Développement humain
“C’est une approche de l’alphabétisation fondée sur le développement humain avant tout. Ce n’est pas le programme qui est au centre mais la personne. Nous nous adaptons au rythme de chacun et cherchons à les tirer vers le haut en boostant les capacités innées en eux”, explique Monique Calou, formatrice chez Caritas. Les objectifs premiers de la formation dispensée aux employés d’Emcar Marine étaient de leur offrir les aptitudes à lire et écrire, se présenter et faire une conversation téléphonique en français et en anglais ou encore compléter plusieurs types de formulaires. “À chaque fois nous allons au-delà de nos objectifs quand nous voyons l’épanouissement humain derrière”. Estime de soi, indépendance, prises de décisions éclairées, meilleure participation et communication, autant de compétences que Christopher Paul, 22 ans et Didier Arsenus, 45 ans et trois autres employés ont pu obtenir.
Bâtir sur les connaissances
Les deux ont plus ou moins le même parcours. Issu d’un milieu familial compliqué, après trois ans dans le cursus prévocationnel, Christopher Paul enchaîne les petits boulots ici et là. Ses connaissances minimes en alphabétisation ont inévitablement été un frein pour viser plus haut. Il a intégré depuis trois ans Emcar Marine en tant que Tyremen et a appris le métier sur le tas. “Après le programme, j’ai adopté une nouvelle approche face à mon travail”, confie-t-il. Plus confiant, il communique mieux avec les clients et se présente en anglais et en français, remplit sans problème des rapports, est en mesure de lire et écrire les termes techniques utilisés au travail ou encore “d’estimer la durée de vie d’un pneu en calculant l’usure de la bande de roulement après tant de kilomètres parcourus”, confie Monique Calou. C’est aussi le cas pour Didier Arsenus, qui avec 23 ans de carrière au sein de cette compagnie est beaucoup plus volontaire aujourd’hui. “Ils n’étaient pas tous au même niveau. Certains avaient une notion de l’alphabet avec un bas niveau de qualification et d’autres pas forcément. Ce que nous faisons en alphabétisation dans les entreprises, c’est de bâtir sur la connaissance du travail existant”, précise Monique Calou.
Développement continu
Selon Sébastien de Ravel, manager d’Emcar Tyres, “l’idée de souscrire à ce programme qui est en lien avec notre philosophie de développement continu était que nous voulions booster la confiance de nos employés”. Il est aussi question de leur offrir une base pour qu’ils puissent se développer davantage dans l’entreprise. “Munis des bonnes bases, ils sont plus indépendants pour grandir dans la compagnie et apportent aussi à l’image de celle-ci”, explique notre interlocuteur. Comme l’explique Monika Thomae, responsable de communication, “c’est la base pour entreprendre des formations plus poussées et qu’ils puissent assumer des postes à responsabilités plus élevées”.
À chaque fois qu’elle s’attaque à un nouveau corps de métiers dans le cadre de ses formations en entreprise, c’est aussi un nouveau défi pour Monique Calou, qui se doit de faire des recherches pour inclure le vocabulaire technique des entreprises. “C’est à chaque fois très enrichissant”. Ce qui l’est d’autant plus, “c’est, à la fin, de voir la fierté et la dignité retrouvée de ces individus”.
Josian Labonté
“L’analphabétisme à Maurice est grave”
“Les conséquences de l’analphabétisme à Maurice sont graves et entraînent un mal-être. Cet état bloque l’épanouissement dans la vie. Les répercussions se ressentent au niveau de la famille, de l’environnement et de la société dans son ensemble. Selon le rapport Education for All (2009) de l’UNESCO, Maurice compterait une moyenne de 100 000 analphabètes mais c’est loin de refléter la réalité car nous nous basons uniquement sur le taux de réussite et d’échec au niveau du cycle primaire. Certains passent le CPE avec le strict minimum et se retrouvent dans une situation d’analphabétisme à l’âge adulte”.
Alain Ah-Vee de Ledikasyon Pou Travayer (LPT)
“Le problème se situe au niveau du médium d’enseignement”
Depuis 1977, Ledikasyon Pou Travayer (LPT) offre des cours en kreol aux analphabètes. “L’illettrisme à Maurice est un problème qui continue de s’aggraver”, explique Alain Ah-Vee de LPT. “Nous avons entre 30 et 35% de population adulte qui ne peuvent lire et écrire à différents niveaux. Beaucoup de ceux qui suivent des cours chez nous sont allés à l’école mais n’ont pourtant pas la base. Le problème se situe au niveau du médium d’enseignement”, soutient ce dernier, car la langue maternelle n’est pas utilisée pour l’apprentissage des enfants. “Ça leur fait du tort car nous freinons leur développement dans le futur”.
Par le passé, LPT a aussi offert des cours d’alphabétisation en entreprise, notamment dans la Zone Franche et un autre adressé à une boîte de télécommunications. “La demande est là parce qu’il y a une plus grande nécessité pour que les travailleurs soient en mesure de maîtriser l’alphabétisation, liée aux exigences technologiques”. Ces cours sur mesure en kreol ont eu des retombées intéressantes au sein de la compagnie de télécommunications “qui a même commencé à mettre quelques-unes de ses Notices en kreol”.