Pari réussi pour le collectif Konversasyon Solider. Samedi, Mahébourg a assuré le relais de la manifestation citoyenne dans la rue après l’initiative du 11 juillet à Port-Louis et celle du samedi 29 août dans la capitale, avec un grand nombre de Mauriciens, venus des quatre coins de l’île pour dénoncer le « népotisme » et la « dictature », et réclamer des explications sur l’échouement du MV Wakashio. Une fois de plus, l’assistance a réitéré sa demande pour la démission du gouvernement en ciblant en particulier le Premier ministre, Pravind Jugnauth, avec sa déclaration « kot monn fote? » Les organisateurs ont salué l’esprit de mauricianisme qui a animé les participants, et qui jette les bases pour un « nouvo Moris ». Pour Ashok Subron, cet élan est né sur le front de mer de Mahébourg le 6 août dernier, quand les Mauriciens se sont mobilisés « pour sauver leur mer ». La suite du combat, a-t-il précisé, « dépendra de ce que décidera lasanble Solider ».
Ils sont venus de Pereybère, de La Gaulette, de Montagne-Longue, de Chemin-Grenier… Les Mauriciens ont répondu présents de manière spontanée et avec enthousiasme à l’appel du collectif Konversasyon Solider. Déjà, les embouteillages à l’entrée de Beau-Vallon, où avait démarré la marche, donnaient un aperçu de la mobilisation. Les bouchons s’allongeaient jusqu’à l’autoroute, à Plaine-Magnien. Il a fallu prendre son mal en patience pour arriver à Mahébourg. D’autres préférant emprunter la bretelle de Ferney et rallier le village via Rivière-des-Créoles et Ville-Noire.
Ashok Subron qualifie ainsi cet « acte 2 » de la mobilisation de « grand succès ». La participation « massive » des Mauriciens à la marche « confirme le fait historique que le peuple est en mouvement », ajoute-t-il. « Il ne s’agit pas d’un phénomène éphémère. Quand le peuple décide d’entrer en mouvement, personne ne peut l’arrêter. Le succès de la marche était comparable à celui du 29 août dernier, avec ici un cachet des gens de la mer et une couleur écologique très prononcée, en sus du mauricianisme. »
Selon lui, nous vivons actuellement une accélération de l’histoire. « Dans une telle mouvance, ce qui aurait pris 50 ans à se concrétiser peut se faire en 5 ans. » Il ajoute que le mouvement a démarré avec la contestation sociale autour de la Covid Act et la Quarantine Act, pour en venir à la « faillite » de l’affaire Wakashio. « Le peuple est en mouvement pour se réapproprier la politique. Le peuple veut un changement systémique profond. On est en train de jeter les jalons pour une nouvelle île Maurice, où il n’y aura pas de communalisme, où il ne faudra pas courir derrière les ministres pour avoir un travail, où la nature sera respectée… »
La prochaine étape de ce mouvement, précise-t-il, dépendra de ce que décidera lasanble Solider. De même pour la présence d’une équipe sur le front de mer de Mahébourg, depuis le 6 août dernier. Samedi, Ashok Subron a aussi annoncé qu’une stèle sera érigée à cet endroit en hommage à tous ceux qui se sont mobilisés pour confectionner des bouées artisanales pour contrer la marée noire. « Komie larm inn verse lor waterfront ! Pravind se la ki tonn fote. To pa konpran dimounn pe vers larm pou sa losean-la ? »
De son côté, Bruneau Laurette a affirmé que le succès du rassemblement « reflète la victoire du mauricianisme sur le communalisme », ajoutant que son combat est « apolitique » et que des marches seront organisées dans chaque circonscription s’il le faut. « Bann insinifian pou kontinye manz zot lavi », a-t-il lancé. Il a par ailleurs annoncé la tenue d’un concert prochainement à Rivière-Noire en faveur des squatteurs et a invité les Mauriciens à contribuer pour qu’ils aient une maison.
Rashid Imrith est revenu de son côté sur les différents combats en faveur des travailleurs et a dénoncé les amendements aux lois du travail sous la Covid-19 Act. Pour David Sauvage, l’expérience du Mahébourg Waterfront a « redonné espoir aux jeunes » et « démontré comment on peut être solidaire ». Virginie Orange, elle, a évoqué les difficultés des plaisanciers et a déploré le fait qu’aucune allocation ne leur a été versée à ce jour, « en dépit des promesses » du gouvernement. Elle a annoncé qu’un “sit-in”serait bientôt organisé devant le bureau du Premier ministre. Enfin, Natasha Magraja a témoigné de la vie des Mahébourgeois, qui a basculé avec le Wakashio. En même temps, dit-elle, « Mahébourg a été témoin de l’histoire et de la grandeur d’âme des Mauriciens ».
Quelques faits marquants
– Les organisateurs ont fait preuve de créativité en revisitant le slogan de la marche du 29 août en « Mahé-bourg li deor », pour faire passer leurs messages au gouvernement.
– Bruneau Laurette s’est offert un bain de foule après son discours sur l’estrade, prenant de court ses camarades de l’organisation, qui ont eu beaucoup de mal à ramener l’ordre au-devant de la scène. Il a par la suite posé pour des selfies avec des membres du public.
– De nombreux participants se sont installés sur l’herbe près du front de mer pour un pique-nique, après la marche. D’autres sont montés sur la toiture de la gare pour mieux suivre l’événement.
– Beaucoup d’automobilistes avaient laissé leurs véhicules en bord de route à Beau-Vallon jusqu’à la grille de l’aéroport, en raison de l’embouteillage pour entrer à Mahébourg plus tôt. Après le rassemblement, ils ont dû refaire la marche en sens inverse…
TÉMOIGNAGES
Élodie Lévêque (La Tour Koenig)
Je suis venue marcher pour soutenir les Mauriciens. Actuellement, on vit une situation de crise, on doit tous se mobiliser et être solidaires pour arrêter cette crise. J’ai un enfant de quatre ans, je veux que mon enfant grandisse dans une île où tout le monde est libre et peut s’exprimer. Pour l’heure, il faut écouter tout ce que dit le gouvernement et nous, en retour, on ne peut dire ce qu’on pense. On a l’impression d’être dans une dictature.
Kistnen Muruga (Montagne-Longue)
Je suis ici pour mon pays. Le pays est en danger. Nous vivons dans un système de dictature. Il est temps de prendre une décision pour faire partir ce gouvernement. Je suis venu avec ma fille pour exprimer notre solidarité.
Marie-Agnès (dans le nord)
Je suis là pour marcher avec tous les Mauriciens et dire au gouvernement qu’on n’est pas d’accord avec ce qui arrive. On a droit à la parole. Il faut écouter tous les Mauriciens dans leur ensemble. J’ai fait tout le chemin du nord pour venir jusqu’ici, car c’est important.
Jason Lingaya (Quatre-Bornes)
Je suis là pour dénoncer le système communal qui a prévalu depuis des années et qui a démontré que nos institutions ne fonctionnent pas. On se retrouve avec des catastrophes à cause de personnes qui ne sont pas là du fait de leurs compétences, mais parce qu’ils sont des petits copains. Avec le Wakashio, on a pu constater que rien ne fonctionnait dans le pays. Il y a eu des successions d’événements, où des personnes ont même perdu la vie. Il est temps que le peuple se réveille.
Sophie Pitchee (Curepipe)
En tant que jeune, je suis ici pour montrer que nous aussi, on se soucie de la prochaine génération. Nous protestons pour un avenir meilleur. On veut plus de respect pour l’environnement.