La reconstruction a été longue et douloureuse pour Ricardo Ramboro. Après la mort de sa femme, enceinte de huit mois, dans l’incendie de la maison de jeux L’Amicale, l’homme avait chuté. Cela lui a pris une dizaine d’années pour remonter. Il a appris à avancer pour ses enfants, dont son fils Jordan, qui avait 4 ans au moment du drame, le 23 mai 1999. Dix-neuf ans après cette triste date et à quelques jours de la fête des mères, il se confie.
Ricardo Ramboro n’a jamais oublié cette figurine blanche que Jordan avait ramenée de l’école. Le petit garçon de 4 ans l’avait faite pour sa mère. Mais le dimanche 23 mai 1999, à une semaine de la fête des mères, Jeannette mourait dans l’incendie de L’Amicale. Baby-sitter de la famille Lai Yau Tim, elle y avait accompagné Catherine et Eugénie et leur mère Yeh Ling. “La figurine blanche, il l’avait finalement offerte à sa grand-mère. Nous avons eu à lui expliquer que sa mère ne serait plus là.”
“Plus rien ne sera comme avant”.
Un an plus tard, lorsque nous avions rencontré père et fils dans leur maison à Résidence Vallijee, Jordan avait appris une chanson pour la fête des mères. Mais Jeannette n’était toujours pas là. Ni cette petite sœur dont la venue lui avait été annoncée et que tous se préparaient à accueillir. Jeannette Ramboro était enceinte de huit mois au moment de son décès. “Plus rien ne sera comme avant”, nous avait alors confié Ricardo Ramboro, dans le salon de la maison de sa mère où il attendait que le temps guérisse ses blessures. Dehors, les matériaux de construction achetés avec Jeannette pour construire leur coin à l’étage avaient été abandonnés. Ce projet, il n’imaginait pas le réaliser sans elle. Il fallait peut-être laisser faire le temps…
Aujourd’hui, la maison existe. C’est de sa terrasse à l’étage que l’employé de banque nous fait signe de venir le rejoindre. Une maison méticuleusement pensée, aménagée avec soin et bon goût, dans un mélange de couleurs pastel et de bois vernis. “Tu vois la maison qui est là-bas ?”, dit-il en montrant une demeure du voisinage. “Elle a été construite avec les matériaux que tu avais vus dans la cour. Je ne voulais rien en faire. Je les ai vendus à ce voisin.”
“J’ai perdu dix ans de la vie de Jordan”.
Il y a sept ou huit ans, il avait tout repris à zéro et s’était enfin décidé à se lancer dans la construction de sa maison. Dix ans de retard, car après la mort de Jeannette, malgré toutes les bonnes pensées qui l’avaient animé, Ricardo Ramboro avait touché le fond. “J’avais complément dévié. Je m’étais perdu.” L’homme ne souhaite pas entrer dans les détails. Mais la traversée a été longue, le choc et le traumatisme provoqués par la mort de son épouse et de sa petite fille avaient été durs à surmonter.
Une nouvelle épouse, l’arrivée d’un autre enfant, Jordan qui grandissait, les encouragements de son frère aîné et de ses proches : tout cela l’a encouragé à se reprendre. Cette maison symbolise aussi sa renaissance. Dans son fauteuil, il sourit chaleureusement. Mais, depuis 1999, le mois de mai fait rejaillir, plus que d’habitude, des souvenirs déchirants. Parmi, la figurine blanche de Jordan. Ce dernier a aujourd’hui 23 ans et c’est avec fierté que son père rappelle qu’il est devenu policier. “C’est un enfant très fort. Il a surmonté le traumatisme qui l’a frappé quand il avait quatre ans. Il a fait ses études. Ensuite, il a fait sa demande, est allé à son interview et a fait toutes ses démarches par lui-même. C’est une fois qu’il a été reçu qu’il m’a fait savoir qu’il avait été recruté dans la police.” Ricardo Ramboro marque une pause. “J’ai perdu dix ans de ma vie. J’ai perdu dix ans de la vie de Jordan. Quand je me suis repris en main, j’ai réalisé que mon garçon était en passe de devenir un homme.”
“Je n’ai jamais cessé de travailler dur”.
Pour nous présenter les autres, il nous montre un cadre renfermant une belle photo de famille. Elle a un sens profond pour Ricardo. Un an plus tôt, il a cru revivre l’enfer lorsque Jordan a passé une vingtaine de jours dans le coma après un accident de moto. “J’étais resté là à attendre que l’hôpital m’appelle. J’étais dans tous mes états. J’ai revécu ce que j’avais connu à la mort de Jeannette.” Fort heureusement, le jeune homme s’en est remis. Mais son père demeure éternellement angoissé. “Je veille souvent son retour, surtout quand il travaille le soir. Je suis inquiet pour lui. Par les temps qui courent, n’importe quoi peut arriver. Je ne suis jamais tranquille.”
“Peu importe ce qui est fait ou pas, ce qui est certain, c’est que rien ne me ramènera Jeannette. Pour être perdant, je resterai toujours perdant.”
Au nom de ses fils et de son épouse, Ricardo Ramboro a décidé d’avancer. Il a des projets pour améliorer leur confort. L’homme s’est mis en tête qu’il fera tout pour que les siens soient heureux. “Même si je ne suis plus là, je veux qu’ils puissent profiter de tout cela”, dit-il.
Les choses vont mieux, mais la reconstruction de Ricardo Ramboro n’est jamais finie. Replonger dans les souvenirs lui est pénible. C’est pourquoi il n’accorde que de très rares interviews, alors qu’il est souvent sollicité. “Cette affaire est restée dans l’actualité pendant une période. Puis, d’autres informations l’ont chassée. Les gens ont oublié. Mais pour moi, elle n’a jamais quitté mon actualité.” Souvent, des gens lui en parlent dans la rue pour lui adresser des mots d’encouragement. Mais d’autres ont constamment la maladresse de le mettre en rogne : “Il y a toujours ceux qui viennent me demander si j’ai touché une assurance ou une compensation financière. Ils oublient que mon drame est humain et non pas financier.” Il a un appel : “Si c’est pour venir me parler d’argent, ne m’adressez pas la parole, ce sera mieux.” Pour répondre à ses détracteurs, il ajoute : “Ce que j’ai construit, je l’ai fait à la sueur de mon front et je n’ai jamais cessé de travailler dur.”
Reculer ou avancer.
Dans les médias, il entend et voit régulièrement des informations liées à “l’affaire L’Amicale.” Mais Ricardo Ramboro préfère ne pas s’y attarder. “Je laisse faire la police et la justice. Malgré les polémiques, je ne me sens pas concerné. Sur terre ou au ciel, les coupables paieront. Je n’ai de haine contre personne, encore moins contre une quelconque communauté.” Et de préciser : “Peu importe ce qui est fait ou pas, ce qui est certain, c’est que rien ne me ramènera Jeannette. Pour être perdant, je resterai toujours perdant.”
Depuis quelques années, la fête des mères a repris son sens dans sa maison. L’occasion pour Jordan de remercier sa grand-mère d’avoir veillé sur lui et d’avoir un geste à l’intention de sa belle-mère, afin de donner l’exemple à son petit frère. Ce mercredi 23 mai, comme c’est le cas chaque année, les proches de Jeannette lui rendront hommage lors d’une messe qui sera célébrée à sa mémoire. Ricardo reprendra ensuite la route : “Après ce genre de drame, la vie te laisse deux choix : reculer ou avancer. Pendant longtemps, j’ai reculé. Maintenant, j’avance.”
Dans les flammes de L’Amicale
Dimanche 23 mai 1999. La capitale vit de nouveau dans la tension après les désordres qui suivent la victoire de la Fire Brigade contre le Scouts Club lors d’une rencontre tenue au stade Anjalay.
18h55. Alors que la police est prise ailleurs, des terroristes prennent la maison de jeu L’Amicale pour cible en plein cœur de Chinatown. Quelque 275 personnes sont à l’intérieur. Parmi, des employés, des clients, ainsi que l’épouse du propriétaire, ses deux enfants et leur baby-sitter, enceinte de huit mois.
L’attaque est méthodique. Des cocktails Molotov et des bombes incendiaires sont envoyés par les fenêtres et contre les climatiseurs, tandis que des voitures incendiées bloquent les portes. Les terroristes ont décidé de faire le plus de victimes possible.
À l’intérieur, c’est le cafouillage. Au milieu des flammes et de la fumée, Mme Yeh Lin Lai Yau Tim, épouse de Jean-Noël Lai Yau Tim, le cousin de ce dernier, Jean-Alain Law Wing, Eugénie, 2 ans, Catherine, 6 ans, et Jeannette Ramboro se réfugient dans le bureau. Ils y meurent asphyxiés. Les autres victimes sont Krishna Luckoo, le comptable, et Abdoo Hakim Fawzi, croupier.
Cette affaire plonge le pays dans l’effroi. Une grande chaîne de solidarité s’installe autour des victimes et de leurs proches. Alors que le pays se relève à peine des émeutes de février 1999, les personnes de bonne volonté se mobilisent pour lancer un appel au calme.
Très rapidement, l’enquête de la police évoque le tristement célèbre “escadron de la mort”. Plusieurs personnes sont interpellées, mais les recherches avancent lentement.
Dix-neuf ans après, les ruines de L’Amicale sont toujours là. Les avocats de ceux qui ont été condamnés plaident l’innocence de ces derniers. Les survivants soignent encore leurs plaies.
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