Radhakrishna (Dinesh) Somanah : « Produire des citoyens responsables et humains »

Huit ans après sa création, l’Université des Mascareignes, la quatrième université publique de Maurice, a déjà imposé son empreinte dans le milieu de l’enseignement supérieur à Maurice. Elle compte déjà quelque 1 400 étudiants, dont 23% sont des étrangers. Dans une interview accordée au Mauricien, le directeur général de l’Université, Dinesh Somanah, fait le point sur le chemin parcouru. Il évoque la volonté de l’université de produire des citoyens responsables et humains, et insiste sur l’importance de la collaboration entre le gouvernement, le secteur privé et l’université. Il présente également les nouveaux sujets introduits à l’université dans le domaine du développement durable et de la technologie, entre autres.

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L’université des Mascareignes est opérationnelle à Maurice depuis 2012. Quelle est sa particularité par rapport aux autres universités opérant au pays ?

L’université des Mascareignes a été créée à la suite de la fusion de deux institutions de formation opérant dans l’île. Il y avait, en premier lieu, l’Institut supérieur technique qui se trouvait à Roches-Brunes qui offrait des cours en ingénierie et informatique et qui avait un lien très fort avec l’université de Limoges en France depuis près de 20 ans. L’IST offrait pendant toute cette période des “diploma courses” dans deux secteurs où il y avait une forte demande en formation dans le pays. Cet institut très intégré dans le système français avait développé un lien très fort avec le secteur privé. Deuxièmement, il y avait l’Institut Swami Dayanand qui faisait la même chose dans le domaine anglophone. Il avait des liens très forts avec certaines universités anglophones, en particulier en Australie. Il offrait surtout des cours en Banking, finances, ressources humaines, économie et comptabilité dont le secteur du travail avait grandement besoin. Les deux comptaient chacun quelque 500 étudiants. Il était difficile pour eux d’avoir un statut d’université. Cela était devenu possible après leur fusion qui permettait de réunir un millier d’étudiants.

À mon arrivée comme vice-chancelier, 100% des cours à Rose-Hill étaient en français. Aujourd’hui, l’Université des Mascareignes offre 75% des cours en français et 25% en anglais. À Pamplemousses, 100% des cours étaient en anglais. Le taux est passé à 75% des cours en anglais et 25% en français. C’est la seule université à Maurice où les cours sont offerts aussi bien en anglais qu’en français. Depuis sa conception, l’Université des Mascareignes a maintenu ses liens qu’avait développés l’IST avec l’Université de Limoges et l’Institut Swami Dayanand avec les universités britanniques. Aujourd’hui, ceux qui étudient chez nous obtiennent deux diplômes, l’un de l’Université des Limoges par le biais de l’Université des Mascareignes et un diplôme de l’Université de Maurice. Lors de la création de l’université en 2012, il y avait un certain nombre de soucis concernant le niveau des diplômes. Pendant trois ans, avec l’aide du conseiller pédagogique de l’Université de Limoges, qui avait un droit de regard sur toutes les licences que nous proposons, nous avons atteint le niveau des diplômes français. Les étudiants de nos trois facultés (gestion, IT et ingénierie) ont la possibilité d’obtenir des bourses d’études pour faire leur master ou terminer leurs études d’ingénieur en France.

La spécificité de l’Université des Mascareignes est qu’elle offre un diplôme français reconnu au niveau international. Nous avons à Maurice le taux le plus élevé d’étudiants étrangers en provenance de l’Afrique francophone. Presque 23% de nos étudiants viennent d’Afrique. Ce qui est très important d’autant plus que Maurice ambitionne de devenir un “education hub”. Notre deuxième spécificité est que nous accordons beaucoup d’importance aux modules de communications et les étudiants font des stages industriels à partir de leur deuxième année. Ce qui les met en contact avec l’environnement du travail. D’ailleurs, la plupart des étudiants trouvent de l’emploi dans les entreprises où ils ont effectué leur apprentissage. Les stages industriels se présentent comme des modules avec un responsable qui supervise les étudiants. Selon les “feedbacks” que nous recevons, ce n’est pas uniquement les connaissances de nos étudiants qui sont prises en compte par les entreprises mais leur attitude, leur “softskills”, leur façon de communiquer qui sont très bien appréciés dans le secteur privé. Tous les cours que nous offrons concernent les compétences qui sont en demande sur le marché du travail.

À Maurice, il y a quatre universités publiques, l’UoM, l’Université des Mascareignes, l’UoT et l’Open University. N’y a-t-il pas de double emploi ou de compétition entre ces institutions universitaires ?

Nous sommes assez complémentaires en termes de formation. Même si certains modules ont la même appellation, l’approche pédagogique et philosophique est différente. Prenons le cas des cours en ingénierie. Ici nous encourageons nous étudiants à mettre la main à la pâte. Nous ne formons ceux qui sont à la recherche d’un “white collar job”. Nous ne formons pas uniquement l’ingénieur en termes de connaissance mais également en termes d’aptitude. Nous sommes une petite université. En 2018, nous avions 900 étudiants. Le nombre d’étudiants est passé à 1 400 en 2019. J’ai l’impression que l’institution publique qui a le plus bénéficié de l’éducation gratuite est l’université des Mascareignes. Nous travaillons en étroite collaboration avec Business Mauritius, la MEXA, le HRDC pour mesurer la demande sur le marché du travail, et bien souvent, nous modifions nos cours en fonction de la demande. Après nous êtes assurés que nos licences atteignent le niveau souhaité, nous avons lancé des cours menant à des masters. L’année dernière, nous avons commencé un master dans le domaine d’efficacité énergétique et de développement durable qui regroupe quelque 27 étudiants. C’est un master préparé en étroite collaboration avec Business Mauritius. Presque 60% des étudiants sont sponsorisés par leur compagnie. Ce qui veut dire que le secteur privé accorde de l’importance à cette formation qui sera bénéfique pour ses entreprises. Nous avons également demandé un financement de la part de Erasmus+ de l’Europe. Nous avons obtenu quelque 150 000 euros qui permettent aux professeurs de renommée internationale d’intervenir dans ce cours. En même temps, c’est un master qui est en « co-diplomation » avec l’université de Limoges. Il y a quelques mois, nous avons commencé notre master en intelligence artificielle et robotique. C’est une grande première en Afrique. Dans le cadre de ces masters, le gouvernement mauricien sponsorise directement 20 étudiants à travers le HRDC. Nous avons au total 30 étudiants. Nous avons également le soutien des entreprises du secteur privé qui ont autorisé ses employés à suivre ce cours. Le financement du gouvernement mauricien prévoit qu’à la fin de deux ans de formation, s’ensuivent deux à trois mois de formation dans les meilleurs centres de recherche en robotique ou à l’université en France. Nous avons obtenu également environ 150 000 euros pour permettre aux professeurs venant de Limoges, Nice ou d’autres universités françaises et anglaises de venir à Maurice. Nous nous sommes assurés d’avoir des intervenants de calibre international pour donner les meilleures informations à ces étudiants. À partir de maintenant, nous introduirons des masters sur des sujets dont le pays a vraiment besoin. Nous participons également au “dual training program” avec la MEXA qui permet aux étudiants de passer trois jours dans l’industrie et trois jours à l’université. Ce sont des cours entièrement financés par le gouvernement et la MEXA. Ce sont des cours entièrement dédiés aux besoins du secteur manufacturier. Nous collaborons étroitement avec Mme Lilowtee Rajmun de la MEXA qui est également membre de notre conseil d’administration. Nous venons de lancer une initiative sur une base régionale. Nous avons initié des cours sur des questions communes dans la région de l’océan Indien. Par exemple, il y a une licence en eau et traitement d’équipement d’eau qui engagera l’Université de La Réunion, IST de Diego Suarez (Antsiranana) de Madagascar. Bientôt, nous lancerons une licence professionnelle en énergie renouvelable qui concernera six universités dans l’océan Indien. Nous envisageons l’organisation de cours en consortium dans l’océan Indien et d’autres universités en France afin d’optimiser les ressources humaines et les facilités.

Quels sont les nouveaux sujets introduits par l’université ?

Nous avons des cours traditionnels comme engineering, mechatronics, electrical. Il y a encore un manque d’ingénieurs avec le “right training and the right attitude”. Dans le département des finances, il faudra voir ce qui se passe dans le monde. Les sujets qui sont porteurs de “future jobs” sont les technologies digitales, l’intelligence artificielle, la robotique, les “fintech”, le “blockchain”. Nous avons commencé un master en AI et robotique, en efficacité énergétique et développement durable. Nous envisageons d’introduire des modules sur la cyber security. L’appellation des cours n’a pas changé mais avec l’aide de nos conseillers pédagogiques de Limoges, nous avons apporté de nouveaux éléments.

L’Université des Mascareignes opère donc de façon totalement autonome… 

Nous sommes autonomes dans ce sens où nous avons un conseil d’administration autonome présidé par Nathalie Bernadie Tahir, une ressortissante française qui comprend les représentants du secteur privé et du ministère de l’Éducation. Nous sommes une université indépendante à l’instar des trois autres universités publiques. Nous sommes les seules à nous engager dans la recherche. Ce qui n’est pas le cas pour les universités privées.

Quelle est la part de la recherche à l’Université des Mascareignes ?

L’année dernière, nous avions organisé les assises de la recherche échelonnées sur trois jours. Nous avions invité les représentants du secteur privé. Les représentants des enseignants-chercheurs ont présenté leurs recherches. Nous avons écouté le secteur privé et sommes d’accord de poursuivre sur le chemin déjà commencé. Il s’agit de faire de la recherche dans des domaines qui concernent directement les besoins du pays. Nos portes sont ouvertes au secteur privé. Il y aura beaucoup plus de coopération dans certains domaines comme le développement durable, les énergies renouvelables à l’avenir. Nous avons des liens étroits avec le gouvernement et le développement des liens avec le secteur privé a très bien commencé et va dans la bonne direction.

Dans le cadre de cette collaboration gouvernement, secteur privé, universités, nous avons soumis une demande auprès d’Erasmus pour une subvention entre un et deux millions d’euros pour des projets dans le domaine de l’autonomisation (capacity building) et du “Corporate social responsibility”. La demande sera soumise conjointement par l’Université de Maurice, le MGI, l’Université des Mascareignes, le ministère de l’Éducation et le secteur privé, en particulier ENL et d’autres entreprises. Je suis optimiste que ce projet connaîtra un aboutissement positif. Ce sera une grande première à Maurice

On peut donc dire que l’innovation est une des préoccupations de l’Université des Mascareignes ?

Lorsque j’étais étudiant dans un collège jésuite en Inde entre 1981-1984, l’accent était mis sur la formation complète de l’humain. Nous seulement on étudiait, mais nous étions tenus de pratiquer le sport et de faire du travail social. Durant cette période, j’ai eu la chance de rencontrer Mère Teresa. Alors que je faisais ma licence deux amis et moi avions choisi de travailler pour les sœurs missionnaires de la Charité. Pendant deux semaines, notre travail consistait à identifier des mendiants mourants. Il fallait les amener dans le centre de Mère Teresa, leur donner un bain et les habiller. J’ai vu des personnes mourir avec un sourire. Ce type de formation fait défaut pour les universitaires. Notre but est de produire des citoyens responsables et humains. Si nous nous limitons à la connaissance et aux buts matériels et financiers, cela mènera à la destruction de notre société. Je suis heureux de constater que certains “lecturers” s’engagent sur une base personnelle et inofficielle. Un de nos enseignants amène ses étudiants dans les orphelinats. Mon but pour la rentrée de l’année prochaine est de s’assurer que les étudiants font du sport ainsi qu’un travail social. Les valeurs intellectuelles sont déjà dans nos cours. Nous voulons que nos étudiants s’intéressent aux valeurs spirituelles, philosophiques, à l’environnement, aux changements climatiques et soient sensibles aux problèmes de la société, l’extrême pauvreté. C’est mon rêve.

Depuis une année, la gratuité a été introduite dans les universités publiques. Qu’est-ce que cela a changé ?

Il y a eu beaucoup de changements à l’Université des Mascareignes. Il n’y a pas eu d’étude à ce sujet mais pour la rentrée universitaire de 2019 par rapport à 2018, le nombre d’étudiants admis a enregistré une hausse de 50%. Bon nombre d’entre eux n’avaient pas les moyens pour demander leur admission à l’université auparavant. Le nombre d’étudiants étrangers pour qui l’université est payante a également augmenté de 50%. Il faut reconnaître que nous avons fait un marketing assez agressif.

L’UDM est situé à Camp-Levieux, à Rose-Hill. Est-ce que vous avez beaucoup d’étudiants qui viennent de la région ?

Ce n’est pas notre rôle de mener cette étude mais si nous pouvons attirer plus d’enfants de cette région, je serais très heureux. Il faudra voir la situation de plus près mais nous ne pourrons pas le faire seul. Nous avons, par contre, un très bon pourcentage d’étudiant rodriguais. Nous avons un accord avec l’école d’ingénieurs de l’Université de Limoges. Cinq étudiants ont la chance d’entrer à l’école d’ingénieur après avoir fait leur licence à Maurice. Parmi ces cinq, il y a trois Rodriguais dont une femme.

Quels sont les défis auxquels sont confrontés les établissements d’enseignement supérieur à Maurice ?

Il faut qu’il y ait une collaboration très étroite entre le gouvernement, le secteur privé et l’université pour décider du type de formation. Cela arrive. Il est très important d’être à l’écoute du secteur privé. C’est pourquoi nous avons des représentants du privé sur le conseil d’administration de nos trois facultés. Il y a une évolution constante et nous essayons autant que possible de faire des efforts pour le suivre.

Quel est le pourcentage d’étudiants qui trouvent un emploi après l’obtention de leur diplôme à l’Université ?

Presque 100%. Cela ne veut pas dire que nous devons nous endormir sur nos lauriers.

L’Université des Mascareignes a connu quelques remous au moment de sa création. Quelle est la situation aujourd’hui ?

Nous avons atteint un équilibre, une stabilité grâce à notre conseil d’administration présidé par Nathalie Bernardie Tahir.

Vous travaillez également avec des universités étrangères. Pouvez-vous nous en parler ?

Nous avons un accord avec l’Université de Limoges. Volontairement ou involontairement, nous avons tendance à travailler avec les institutions francophones. Nous collaborons avec plusieurs universités en France, l’Université de Nice, l’Université de Caen, l’Université de Lorraine, l’Université de Bordeaux. Nous travaillons aussi avec l’Université de La Réunion qui est une université française disposant de laboratoires de recherche très avancés comparés à Maurice. Nous avons également plusieurs Visiting Officers des États-Unis, de l’Australie, d’Afrique du Sud et bientôt des universités indiennes. Nous gardons l’esprit ouvert. Nous obtenons beaucoup de soutien de l’ambassadeur de France, Emmanuel Cohet, qui nous a beaucoup soutenus dans nos projets.

Est-ce que les étudiants étrangers s’adaptent bien à Maurice ?

Heureusement que oui. Nous avons une association d’étudiants étrangers à l’université qui est très active. Elle organise des événements sportifs culturels sociaux. Elle organise des activités sur les échanges culturels. Je pense que les deux premiers “batchs” qui ont complété leurs études sont devenus de très bons ambassadeurs de l’université. Souvent les nouveaux étudiants ont un lien avec les anciens étudiants qui étaient à l’université.

Vous dites que 23% des étudiants de l’UDM sont des étrangers. Comment faites-vous pour accueillir ces étudiants ?

Ce qu’il nous manque à Maurice en ce moment, c’est un genre d’International Student Centre pour toutes les universités publiques. Idéalement, il serait bon d’avoir un “hostel” pour tous les étudiants étrangers des universités publiques à Maurice. À l’Université des Mascareignes, nous aidons les étudiants malgré le fait que nous n’avons pas un “full fledge international Student Centre” qui apporte un soutien aux étudiants. Les Malgaches sont très solidaires et apportent leur aide aux étudiants en général. À partir de cette année-ci, nous aurons deux volontaires de la francophonie qui sont super-qualifiés pour s’occuper des relations internationales et l’autre pour s’occuper de nos relations avec l’Université de Limoges.

Quels sont projets d’avenir ?

Nous nous proposons de lancer un projet très ambitieux : un “smart sustainable campus” qui sera financé par le gouvernement. La majorité de nos recherches, surtout dans le domaine de l’ingénierie, est tournée vers le développement durable. Nous avons des doctorants en réfrigération, en énergie éolienne et énergie solaire ou des branches informatiques liées avec le développement durable. Nous avons l’intention de lancer un master en “sustainable management”. Par ailleurs, avec l’augmentation du personnel et du nombre de cours, nous ouvrirons bientôt la partie de notre campus situé à Stanley. Les travaux de rénovation et d’aménagement sont en cours. De plus, le gouvernement a mis un campus à Bel-Air à notre disposition. Nous envisageons d’ouvrir une antenne universitaire où nous compter donner des cours pour les étudiants habitant la région. Finalement, nous comptons y lancer plusieurs laboratoires de recherche dans des branches qui seront profitables au pays.

Et l’avenir…

Si nous voulons maintenir la qualité dans l’enseignement supérieur et permettre à Maurice de devenir un “top education hub” en Afrique, il est important de faire de la recherche. Or dans la majorité des branches de recherche, nous ne disposons pas de la masse critique. Si les chercheurs travaillant aussi bien dans le public que dans le privé pouvaient collaborer en vue de la création d’un laboratoire national, cela aurait constitué un atout majeur pour la recherche dans le pays. Les enseignants-chercheurs auraient pu faire des recherches menant au PhD, ils auraient permis d’avoir des échanges et d’éviter de faire double emploi.

Propos recueillis par Jean Marc Poché

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