L’histoire de la musique mauricienne s’écrit encore. Née du brassage des cultures, elle poursuit son évolution à travers différentes expériences et s’ouvre davantage.
“Comme le blues qui est né dans les champs de coton, le séga est né dans les champs de l’oppression, dans les karo kann et dans les soirs de fatigue et de souffrances… Il y a eu le séga-la-côte, le séga salon, le séga typik, le séga angazé, le séga lotel et le séga lakour. Ensuite, le seggae créé par Kaya témoigne de cette formidable fusion entre séga et reggae. Aujourd’hui Jerry and the Resistance nous apporte une nouvelle sonorité”, écrit Jean-Clément Cangy, ex-journaliste et écrivain. Au fil de ces cinquante ans, les couleurs musicales apportées par nos artistes nous ont plu, d’autres moins. Nous avons été témoins de leur créativité et de leur originalité. Ils ont été nombreux à donner naissance à des musiques nouvelles.
Daniella Bastien, anthropologue et artiste, souligne qu’à partir des années 60, un phénomène culturel s’est mis en place. “Au milieu des années 70, il y a eu les chansons engagées. La musique consistait à s’amuser et à réfléchir en même temps. Puis, la chanson s’est mise au service d’un discours idéologique, politique et social.” Certains chanteurs et groupes, dont Latanier, Bam Cuttayen et Siven Chinien, pour ne citer que quelques-uns, ont un ancrage en politique. “La musique engagée a pu mettre un parti politique au pouvoir”, ajoute Percy Yip Tong. Vers la fin des années 80, le seggae fait son apparition. On peut également citer le blues d’Éric Triton et la large palette musicale de Richard Beaugendre dans les années 90. “Nous avons une nouvelle scène mais nous n’oublions pas le séga”, confie Daniella Bastien.
Évolution et métissage.
Percy Yip Tong reconnaît que le pays a connu deux évolutions musicales qui ont marqué l’histoire : la chanson engagée et le seggae. “Le seggae de Kaya a uni les Mauriciens. Sa musique avait un but : celui de prodiguer le mauricianisme. S’en est suivi un raz-de-marée populaire”, soutient-il. Ce style est apprécié car il est le fruit d’un métissage de deux musiques des îles : le reggae des Caraïbes et le séga de l’océan Indien. “Le seggae était une musique nouvelle et beaucoup estimaient que cela n’allait pas durer. Trente ans après, le seggae est toujours là. Ce n’était pas un effet de mode mais une musique à part entière.”
La musique mauricienne n’a ni religion ni couleur. “Il y a de la place pour tout le monde, pour tous ceux qui veulent commencer à participer à l’évolution vitale de Maurice. Hélas, les artistes font souvent de la musique pour le business”, affirme Éric Triton. Il pense que nous avons la possibilité de mélanger plusieurs styles musicaux, “mais cela reste bloqué.” Pour Nitish Joganah, un des pionniers de la chanson engagée, la musique représente son identité, son passé et sa fierté. “La musique mauricienne me fait vibrer. Je ne qualifie pas mes chansons de séga, mais de chanson créole.”
Briser les barrières.
Pour certains, nous ne pouvons pas parler d’évolution de la musique mauricienne. En 50 ans, nous ne l’avons pas vraiment exportée de façon professionnelle. “Dans les salons internationaux où Maurice est présente, ce sont souvent des amateurs qui se produisent avec les politiciens. La musique mauricienne ne peut pas évoluer car nous n’avons pas accepté notre mauricianisme. Mais il existe heureusement quelques artistes qui tentent de faire avancer les choses en essayant de briser les barrières entre toutes les religions présentes à Maurice”, reconnaît Éric Triton.
Pour sa part, Pascal Pierre affirme qu’à Maurice, “la musique est un peu une histoire de communautés.” Depuis le début des années 2000, ce dernier propose une musique où il mélange les styles africain, européen et oriental, métissant toutes les origines et les influences sans complexe. “Pour faire comprendre ce que je fais, je suis obligé de me classer dans la world music ou la fusion. Ce n’est pas une évolution. Notre culture musicale ne s’est pas améliorée. C’est pour cela que certains groupes n’arrivent pas à aller plus loin.” Rajesh Marday, joueur de musique carnatique, doit également faire face à ce problème. Il a monté un groupe, Panchamukam, qui propose des fusions pour mieux faire accepter la musique traditionnelle.
Statut move dan bez.
Nitish Joganah estime que nous perdons notre identité musicale alors que nous aurions dû savoir utiliser le style africain, le jazz et le côté oriental en nous pour réaliser de belles fusions. Les plus belles musiques du monde auraient pu être créées sur notre île. “Zordi, ravann ek maravann inn zet dan kwin. Nous sommes en train de tout faire à la manière des Européens. Notre musique, c’est notre langage. Notre priorité, c’est la ravanne. Elle aurait dû être présente dans toutes les fusions que nous faisons.”
Éric Triton ajoute que le séga est devenu trop commercial et que les chanteurs donnent la priorité au rythme, au détriment des paroles. Pour sa part, Daniella Bastien avance que notre musique a évolué mais peine à être exportée, car le statut des artistes est move dan bez. “C’est une réflexion à faire à l’aube des 50 ans de notre indépendance.”