J’ai lu avec un intérêt particulier “Mamzelle Rose” le livre – le dernier né – de A. Rahim Ibrahimsah que j’ai bien connu comme un prof émérite et dont la carrière, somme toute, comme enseignant et ensuite comme directeur d’école fut aussi brillante, que remarquable. Et, cela sans oublier son dévouement pour promouvoir l’éducation en général et qui n’avait d’égal que son attachement assidu à la cause des apprenants en difficulté des écoles défavorisées, tant en milieu rural qu’urbain, en les aidant, au mieux de sa capacité, à les faire progresser. C’était un vrai sacerdoce pour lui. Rahim Ibrahimsah (Chotoo pour les intimes) s’adonne depuis belle lurette à son violon d’Ingres, l’écriture. Ayant la plume facile, il a fini par ‘accoucher’ de son dernier-né, “Mamzelle Rose”, de 400 pages.
Allons-y, donc, pour ce beau roman, “Mamzelle Rose”, présenté comme un avant-goût en quatrième page de couverture du livre mettant en exergue la rue La Poudrière de Port-Louis.
« Dans le Port-Louis du dernier siècle avec ses coutumes, mœurs et quotidiens. Une cour commune. Plusieurs locataires. Tout commence quand Mamzelle Rose et Cader se rencontrent et tombent éperdument amoureux. Ils vont vivre un amour de 24 carats.
Ça va basculer quand l’étudiant Cader fraîchement éveillé à l’amour et la sexualité apprend plus sur sa bien-aimée. Il se promet de sauver cet amour et son amour. »
Ce livre de A. Rahim Ibrahimsah est, d’après moi, ce qu’on appelle un roman à clefs : c’est-à-dire il met en scène des personnages et des faits en grande partie réels, mais déguisés par l’auteur. Ayant grandi à Port-Louis, et étant de la même génération que le romancier, j’ai bien connu des cours où logeaient plusieurs locataires comme on en parle dans le livre.
Ce roman ressuscite beaucoup d’événements des années 60 qui sont décrits avec nostalgie et amour par Ibrahimsah et des dramatisations d’intimes détails de l’époque survolent l’œuvre et font rêver le lecteur. Presque chaque page est un retour en arrière sur les mœurs, les us et coutumes et la vie dans le Port-Louis d’antan.
Par exemple, l’évocation du “Raat Jagaa” – veille de mariage – m’a énormément plu. Beaucoup de familles d’origine indienne organisaient ces soirées de réjouissance – certaines pour des raisons religieuses, étaient contre – comme le raconte l’auteur et avec quelle verve et fidélité. Un transport de joie et de bonheur comme si on y était.
Cependant, ce livre nous interpelle sur bien de choses et notamment sur deux problèmes du jour. Comme la subtile suggestion de l’auteur de “Mamzelle Rose” de créer un centre pour accueillir et encadrer les prostituées qui veulent se réhabiliter, m’a beaucoup frappé. Nous savons tous que nombreuses sont ces sœurs qui vivent cet enfer et essayent de s’en sortir. Ne méritent-elles pas notre compassion et l’aide de la société ? Et, ce ne sera pas nouveau.
Déjà, à Paris, Robert de Montry avait initié ce genre d’aide en hébergeant les prostituées pour les sortir de leur ‘prison’. Bien après, pas moins que la sœur de l’archevêque de Paris, Mgr Jean-François de Gondi, entreprit la création d’un lieu d’hébergement qui deviendrait un genre de couvent pour les filles repenties, aussi connues comme les ‘madelonnettes’, qui cherchaient la rédemption. Les autorités se pencheraient-elles sur ce sujet tout en évitant le côté religieux de la démarche ?
Par ailleurs, l’autre question d’actualité soulevée dans “Mamzelle Rose” est la langue créole. Il me semble que Ibrahimsah prône ce qu’il appelle le ‘francréole’ – un délicieux mélange de français et de créole. Il en donne un aperçu dans un poème mi-français, mi-créole. Beaucoup de lecteurs seront enclins à aimer ce petit poème qu’ils apprendront par cœur :
« Assizé au bord de la plage
Devant la mer je suis lors base
Tout à coup éclate un orage
Ammerdé je retourne la case. »
D’ailleurs, le livre foisonne d’expressions créoles et même d’extraits des compositions d’anciens ségatiers, écrites et chantées dans le francréole de Ibrahimsah.
Ces créolismes et tournures – cités ad-libitum, assurément pour revaloriser le créole tel qu’on le parle, sont peut-être aussi pour suggérer affectivement une écriture créole facile et fertilisante – m’ont forcé à me poser la question suivante : est-ce le créole de l’avenir ? L’avenir nous le dira.