Dans l’agriculture biologique, l’usage de pesticides et autres produits chimiques de synthèse qui ont pour fonction de tuer des champignons, des insectes, des herbes, est interdit, parce qu’ils représentent un risque toxique pour l’homme et l’environnement. Heureusement les alternatives naturelles et non toxiques existent et sont efficaces. L’une d’entre elles est la lutte biologique, une méthode de lutte qui fait appel aux arthropodes auxiliaires (insectes bénéfiques) afin de contrôler les ravageurs et limiter des dégâts. Un atelier ayant pour thème « Reconnaissance des nuisibles », animé par Olivier Fontaine, responsable de La Coccinelle, une structure privée à la Réunion qui fait l’élevage d’insectes pour l’agriculture, a été organisé par Le Vélo Vert, dans le cadre de son programme EMBEROI (Expansion en Maraîchage Biologique avec Expertise Régionale Océan Indien). La formation s’est déroulée mardi à Wolmar, en plein champ, sur l’exploitation de Hugues Maigrot, en présence d’autres producteurs membres du Vélo Vert, de chercheurs et d’entomologistes de la Food and Agricultural Research and Extension Institute (FAREI).
La cochenille par exemple (on la retrouve sur des plantes comme l’herbe à chat ou l’herbe de bouc), le tarsonème, la mouche des fruits, les pucerons sont de redoutables ravageurs de cultures. Ils font partie des arthropodes bio-agresseurs, des organismes vivants qui s’attaquent aux plantes cultivées et sont susceptibles de causer des maladies sur les plants et par conséquent, des pertes économiques. Les arthropodes auxiliaires sont des organismes vivants qui contribuent à limiter l’action des bio-agresseurs ou jouent un rôle de pollinisateurs. Pour Olivier Fontaine, le principe de la lutte biologique n’est pas de chercher à se débarrasser des insectes, mais plutôt de créer un équilibre entre les mauvais et les bons. « Ils doivent tous être à l’équilibre. Mais si l’insecte nuisible qui fait des dégâts a en face de lui un insecte qui le prédate (ndlr :le mange), il va faire quelques petits dégâts, mais économiquement, il n’y a pas de danger pour la production de l’agriculteur.
A la Réunion, on le fait dans la lutte inondative où l’on fait des lâchers répétitifs à de très fortes densités quand on a des ravageurs qui sont présents. Et dans ce cas-là, on recrée un équilibre de façon artificielle, mais on le recrée quand même sur la durée du cycle. Ou alors on le fait aussi de façon conservative comme ici où l’on recrée des dynamiques sur des parcelles. Donc, il y a des échanges entre la culture, la flore spontanée et les plantes qu’on va mettre au service de cette culture », explique-t-il aux producteurs et chercheurs présents à l’atelier à Wolmar. L’objectif est de parler d’insectes, de tous types d’insectes, d’auxiliaires, de ravageurs et de comprendre l’importance que ceux-ci ont sur l’exploitation, mais aussi sur la gestion de la lutte biologique.
Ainsi, durant cet atelier, les participants ont découvert comment les plantes et les mauvaises herbes peuvent être des alliées des cultures maraîchères par leur rôle de plante-hôte d’insectes bio-agresseurs ou auxiliaires des cultures. « On utilise la lutte biologique innondative quand on fait des lâchers réguliers d’insectes sur une parcelle, parce qu’on a identifié un problématique, un ravageur ou parce qu’on sait qu’un ravageur va arriver. Ce sont les systèmes de production un peu intensifs qui utilisent ce genre de lutte biologique. Et généralement ils s’appuient sur des biofabriques. Et c’est ce qu’on fait à la Réunion. La Coccinnelle est une biofabrique, une structure privée qui a la particularité d’être détenue par des coopératives agricoles, et les actionnaires de l’entreprise sont des agriculteurs qui utilisent nos insectes. On est dans une forme de cercle vertueux. On produit pour nos actionnaires pour qu’ils puissent produire des légumes et on leur fournit en grande quantité et régulièrement des insectes auxiliaires qu’ils vont lâcher dans leur serre. La lutte biologique s’utilise généralement sous des serres, qui constituent une première barrière physique à l’arrivée de ravageurs sur la culture. Ces méthodes-là fonctionnent bien. Ils permettent de réduire considérablement l’utilisation d’insecticides. Et puis, il y a la lutte biologique conservative-l’environnement autour et au sein de la culture pour réussir à créer un équilibre sur l’exploitation. Dans ma vision des choses, les deux ne sont pas dissociées », souligne Olivier Fontaine.
Une boîte à outils
Pour découvrir ces « bons » et ces « mauvais » insectes, il n’y a rien de mieux que de faire une prospection de terrain en compagnie d’experts comme nos entomologistes réunionnais invités sur le programme de formation du Vélo Vert ou nos chercheurs de la FAREI et du ministère de l’Agro-Industrie, et pour cela, un peu de matériel est nécessaire : des tubes pour récolter les acariens ou autres arthropodes afin de mieux les identifier. Pour l’expert réunionnais, l’idée c’est de mettre un peu la main dans les plantes, que ce soit sur les cultures vivrières qui vont rapporter de la vente, ou les plantes de service, ces plantes qui ne sont pas directement en production, mais qui vont servir à attirer, voire repousser les bons ou les mauvais insectes, afin de créer un équilibre avec les cultures de production.
Aussi voir ce qu’il y a sur la flore spontanée, ce qu’on appelle mauvaises herbes. « Faire un inventaire des plantes et des insectes de sa parcelle, auxiliaires ou ravageurs et sur quels légumes et fruits, nous donne toutes les clefs pour apprendre à les gérer », confirme-t-il.
L’exercice se déroule sur le champ de 4 arpents de Hugues Maigrot, producteur selon la charte de qualité du Vélo Vert. Cette prospection permet non seulement de récolter des insectes, importants pour l’identification, mais aussi de connaître le niveau d’abondance, le type d’insecte, les méthodes de stockage. Olivier Fontaine tient une feuille sur laquelle il a repéré des symptômes. Les symptômes se voient généralement sur les feuilles qui sont parfois recourbées, car l’insecte se trouve à l’intérieur. « Celui-ci est un acarien », affirme-t-il, en ouvrant la feuille recourbée. « On peut le récupérer sur le pinceau avec un petit tube d’alcool. Mais il y a aussi un acarien un peu plus gros. Dès qu’on s’approche, il va courir, ce sont des prédateurs. Et ces tout petits insectes qu’on ne voit pas, vont se nourrir de ces insectes-là. On les retrouve sur toutes les plantes. Mais il y a aussi des plantes qu’il préfèrer, celles avec des poils qui leur servent de support de protection, des supports de ponte. Ils vont pondre justement au coin des nervures secondaires. Sur certaines plantes, on retrouve ce qu’on appelle des « domaci », c’est l’endroit de la jonction entre la nervure principale et la nervure secondaire. C’est comme une petite cavité que la plante va créer, un organe de la plante.
Dans cette cavité on peut avoir des petits poils qui font comme une grotte et à l’intérieur de cette cavité les conditions de températures et d’humidité qui sont relativement stables. La plante met en place un lieu de repos et de reproduction pour cet insecte-là qui garantit une protection et des conditions de développement idéales et en contrepartie, l’insecte va protéger la plante en mangeant tous les ravageurs qui vont pouvoir se développer sur cette plante-là. C’est une lacoevolution, terme que l’on utilise pour décrire cette situation. Plusieurs plantes ont développé ces systèmes-là », explique-t-il.
Depuis 2017, les interventions d’expertises régionales du programme EMBEROI se succèdent sous la houlette du Vélo Vert pour former les producteurs à utiliser toutes sortes d’outils : comment travailler sur le sol, le compost, les engrais, les insectes, la gestion des auxiliaires et les ravageurs. « Ce sont des boîtes à outils. Il faut former les agriculteurs, et sortir de la vieille logique erronée de monoculture », insiste Olivier Fontaine.
Le programme Emberoi
Cet atelier fait partie des missions de 7 jours du programme Emberoi. Le savoir-faire thématique est partagé par les experts réunionnais ensemble avec nos institutions agricoles. Ce projet pilote d’intégration de l’agriculture biologique accompagne chaque année 10 exploitations agricoles avec le soutien des gouvernements locaux et régionaux Interreg, des instituts de recherche et de plusieurs initiatives privées. Lancé par sa fondatrice Geraldine d’Unienville, du Vélo Vert, association de soutien au développement agroécologique, il mise fondamentalement sur la sensibilisation du public pour tendre vers un environnement respecté, durable, impliquant des pratiques agricoles saines). Grâce à un transfert et partage d’expertise technique de la Réunion vers Maurice, le projet Emberoi vise à renouer avec les savoir-faire ancestraux d’une agriculture sans chimie.
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La certification bio
Pour répondre aux critères de l’agriculture biologique, Olivier Fontaine explique qu’il faut en général une période de trois ans à partir du moment où l’agriculteur récupère un terrain pour la demande de passage en agriculture biologique. Pendant ces trois ans, il y a cette période de carence où le terrain n’est pas en AB. Il est en conversion en AB dès que l’agriculteur cesse l’usage d’insecticide chimique. C’est une période nécessaire pour revenir à l’équilibre naturel et que le terrain soit qualifié en AB. Si le terrain n’est pas certifié bio, le producteur n’a pas le droit de le vendre en tant que bio. Il peut vendre en conversion en AB. Dans ce cas-là, il faut communiquer sur le fait qu’il n’y a pas d’utilisation de traitement sur la culture depuis la demande de passage à l’agriculture biologique et que le terrain sera effectivement certifié en agriculture bio dans tel délai.
Selon Manoj Vaghjee, président de Forena (Fondations Ressources et Nature), « On encourage les producteurs d’aller vers la certification liée aux normes européennes. Si les producteurs souhaitent exporter leurs fruits, le marché le plus proche serait l’Europe. La plate-forme aide à obtenir la certification bio par l’organisme Ecocert. La règle est simple en agriculture biologique : pas de produits chimiques de synthèse. Il y a aussi un certain nombre de règles par rapport à la terre, la qualité du sol, le lieu, le climat, le type de légumes et de fruits qui y sont plantés. Les intrants dans les cultures, comme les chaussures doivent aussi être contrôlées », dit-il…