Le Mauricien a rencontré Helen Brand, CEO de l’Association of Chartered Certified Accountants (ACCA), lors de son passage à Maurice. Elle était récemment en visite officielle dans le cadre de la cérémonie d’intégration des experts-comptables de Maurice, ayant atteint entre juillet 2018 et juin dernier le statut de membre de l’ACCA. Elle nous parle du métier d’expert-comptable et des défis que rencontrent ces professionnels.
Parlez-nous de la présence de l’ACCA dans le monde et de sa mission…
L’ACCA compte aujourd’hui plus de 219 000 membres experts-comptables et plus de 527 000 étudiants dans 179 pays. Notre rôle est basé sur la valeur ajoutée que nous pouvons apporter à la société; ce que nous définissons comme notre capacité à agir dans l’intérêt public, à promouvoir des pratiques éthiques dans les affaires, et à soutenir la croissance économique. Nous mettons tout ceci en œuvre, principalement grâce à la formation et à l’encadrement des experts-comptables de la filière ACCA, qui répondent aux meilleurs critères mondiaux de pratique professionnelle et d’éthique. Le développement continu des compétences, qui soutient l’épanouissement de la profession comptable, est l’un des autres axes majeurs de cette action. L’ACCA travaille de concert avec d’autres organisations – les gouvernements, la Banque mondiale et les organisations comptables locales de chaque pays – afin de développer cette profession. Le travail réalisé avec l’iCPAR, organisation nationale d’experts-comptables au Rwanda, en est un exemple récent.
La vision de l’ACCA est d’être au premier rang mondial dans la création d’une profession comptable telle que le monde en a besoin. Le mot « besoin » a tout son poids dans ce contexte, car nous ne souhaitons pas produire de plus en plus d’experts-comptables juste pour dire qu’il y en a; mais bel et bien pour répondre à des besoins là où ils sont pertinents.
Comment évaluez-vous justement l’importance des experts-comptables dans l’économie d’un pays ?
Les experts-comptables jouent un rôle important dans le développement économique et sa pérennité. Dans diverses fonctions, par exemple en tant qu’auditeurs, experts en fiscalité, et conseillers en finance d’entreprise et en affaires, ces spécialistes contribuent au progrès et à la crédibilité des activités. La qualité de “corporate reporting” qu’ils apportent est aussi un élément essentiel dans la création d’un contexte sain et fiable, qui aide à l’investissement national et international, la confiance des investisseurs et à la stabilité financière. Les experts-comptables sont aussi souvent les premiers à voir venir les problèmes économiques.
L’ACCA réalise d’ailleurs chaque trimestre, depuis dix ans, son Global Economic Conditions Survey (GECS), la plus grande étude au monde auprès des experts-comptables, concernant la situation économique mondiale. Cet exercice est réalisé depuis 2011 en partenariat avec l’Institute of Management Accountants (IMA) et recueille à chaque fois un millier de réponses. Une des caractéristiques uniques de la GECS est qu’elle exprime ainsi le point de vue de ceux qui sont sur le terrain, qui vivent directement les effets de la situation économique et qui peuvent être les premiers à voir d’éventuels changements dans les tendances. En comparaison, les chiffres officiels, tels ceux du PIB, sont publiés dans des délais plus longs.
Les experts-comptables apportent aussi une importante contribution dans la gestion des fonds publics et des dépenses liées aux infrastructures publiques. Un rapport récent de l’ACCA, réalisé conjointement avec CPA Canada et intitulé “How accountants can bridge the global infrastructure gap : Improving outcomes across the entire project life cycle” démontre cela. Ce rapport donne des exemples de bonnes pratiques dans divers pays et il représente une occasion de partager les idées de ceux qui sont dans le métier, sur les moyens qui permettraient aux gouvernements de mieux répondre aux besoins des citoyens. Ce rapport illustre aussi le fait que les experts-comptables soient bien placés pour aider à faire face à des défis majeurs du XXIe siècle, dont l’adaptation au changement climatique et la mise en œuvre des Objectifs de Développement Durable de l’ONU par les gouvernements et les entreprises. Placer les experts-comptables au sein du processus de décision et d’élaboration des politiques peut améliorer les résultats tout au long de ce processus, de la planification au bilan.
L’économie mauricienne est en croissance et a connu un progrès dans le classement “Ease of Doing Business” de la Banque mondiale. Je me plais à croire qu’en sus du gouvernement, des entreprises et du secteur de l’éducation, la profession comptable a contribué à ces résultats. Tous ces domaines et acteurs économiques et sociaux sont en effet liés, et cela participe au respect dont bénéficie la profession comptable.
Il y a plus de 4 200 experts-comptables à Maurice. Ce chiffre est-il dans la moyenne mondiale ?
Il y a à peu près 1,25 million de personnes dans la République de Maurice. Le nombre d’experts-comptables représente donc un peu plus de 0,3% de la population. Au Royaume-Uni, ce pourcentage est de 0,5%. Ces chiffres sont donc assez comparables. Il faut aussi relever à ce propos que beaucoup de membres d’organisations d’experts-comptables travaillent à des postes de gestion; pas uniquement dans des fonctions purement comptables. Notre formation et l’exercice du métier sont un excellent tremplin vers les postes de haute responsabilité – les fameux “C-suite roles”, tels CFO, CEO, etc.
Il existe pourtant une perception à Maurice selon laquelle il y a trop d’experts-comptables…
Les pays développés ont une proportion encore plus forte d’experts-comptables comparés à Maurice. Ces spécialistes travaillent dans tous les secteurs, dans diverses fonctions et contribuent à la confiance dans le monde des affaires et dans l’économie. Ce qui soutient aussi la santé des marchés financiers et les investissements. En fait, cela se résume à l’incontournable question de la nécessité de satisfaire un besoin. Or, il y a clairement ici un besoin en compétences d’experts-comptables et leur nombre à Maurice est donc pertinent.
Plus de 85% d’experts-comptables à Maurice sont des membres de l’ACCA. Les autres apportent-ils autant de fiabilité aux entreprises et autres organisations qu’ils servent ?
L’ACCA prône la valeur ajoutée dans l’intérêt public, d’où vient cette valeur. Il est donc important pour cela que les experts-comptables soient qualifiés comme il se doit. En ce qu’il s’agit de l’ACCA, nous sommes heureux de la place prépondérante que nous avons ici, et du fait que les employeurs apprécient la valeur des experts-comptables ACCA.
Dans quelle mesure, le rôle de l’expert-comptable a-t-il changé depuis la crise financière ?
Ce rôle a clairement changé, notamment suite à des modifications dans la réglementation, et à la nécessité de faire face à la perte de confiance depuis la crise de 2008. La chute de Lehman Brothers a été un réveil brutal pour la profession, et l’éthique ainsi que la confiance sont devenues, avec raison, des sujets auxquels on accorde encore plus d’importance qu’avant.
Le rôle de l’auditeur a été sous les feux des projecteurs récemment, surtout au Royaume-Uni. L’ACCA a par ailleurs participé activement au débat sur ce sujet, en étant partie prenante de consultations publiques, en déposant devant des “select committees” et en publiant plusieurs rapports sur l’avenir de cette discipline et sur les changements qui sont nécessaires. La technologie, tout comme l’importance accrue des réglementations et de la gouvernance ainsi que les attentes plus grandes au sujet de la valeur d’entreprise et la globalisation, est aussi des facteurs qui continuent à avoir une forte influence sur cette profession.