Pour Don Panik, étoile montante de la musique locale, la dégringolade a été rapide après son arrestation pour une affaire de vol à l’arraché. Chanteur et danseur réputé pour l’intensité de ses textes, l’auteur de Dipin griye, qui jouissait d’une bonne réputation, avait surpris plus d’un. Ils étaient nombreux à ne pas comprendre le geste du poet koltar, sauf ceux qui savaient que l’enfant de Résidence Kennedy avait été possédé par les démons de la drogue dure. Souhaitant relancer sa carrière et reprendre sa vie en main, Don Panik brise le silence… et les tabous.
La dernière fois qu’il a fait la une de la presse, ce n’était pas pour les bonnes raisons. La nouvelle avait fait le buzz : la veille, à Quatre-Bornes, “le chanteur Don Panik” avait été arrêté pour une affaire de vol à l’arraché. La victime, une adolescente, dont la mère est aussi artiste, avait donné l’alerte et des policiers qui se trouvaient dans les parages avaient procédé à l’arrestation de Steward Nicholas. Nombreux sont ceux qui n’avaient pas compris. Chanteur, danseur et compositeur comptant déjà quelques albums et clips, de nombreuses collaborations et encore de fréquents passages en live, Don Panik était aussi cité comme l’un des bons exemples de Résidence Kennedy. Cet ancien boxeur avait aussi participé à plusieurs campagnes de prévention contre les fléaux sociaux. En guise d’explication, après son arrestation, il avait plaidé la “folie passagère” et avait évoqué l’urgence de rembourser une dette. Mais il y avait une autre vérité.
Fat yen.
“Ce jour-là, j’étais assis dans la cité avec un ami. Je n’avais plus d’argent, j’avais épuisé toutes mes combines pour en trouver. C’était la première fois que je me retrouvais dans cette situation. Mo ti pe fat yen !” Cela faisait quelque temps qu’il avait commencé à s’injecter du brown sugar. Suffisamment pour que la drogue devienne un de ses principaux besoins, au point de le conduire à ses premières crises de manque. “J’avais l’impression qu’on me tailladait le ventre de l’intérieur avec une lame. Ma gorge était serrée, irritée, sèche. Mon nez coulait sans cesse. J’avais des douleurs. Je n’étais pas bien, c’était insupportable. Plus le temps passait, plus ça allait mal. Je n’en pouvais plus.”
Se faire une injection était devenu presque vital. Mais le dealer ne lui aurait fait aucun crédit; quelques centaines de roupies étaient nécessaires pour s’offrir une dose. L’ami lui suggère d’aller trase à Quatre-Bornes. “Nous y sommes allés. Nous avons vu cette fille qui venait d’effectuer un retrait. Nous savions qu’elle avait de l’argent sur elle. Sans que je ne réfléchisse, tout s’est enchaîné.”
Des démons de Résidence Kennedy.
Deux ans après les faits, Steward Nicholas dit toujours regretter son geste. Il affirme : “Au final, c’est tant mieux qu’il y ait eu des policiers ce jour-là. Sinon mo ti pou trouv sa fasil ek mo ti pou kontigne.”
La rumeur s’était amplifiée. Ces démons qui hantent Résidence Kennedy et les autres ghettos avaient fini par mettre la main sur Don Panik. Dans son entourage, ils avaient été nombreux à avoir déjà cédé : des amis, des frères, des voisins. Ici, les difficultés de l’exclusion, la précarité, la grande disponibilité des produits, la banalisation du trafic et de la consommation font des enfants de la cité des proies faciles. En mars 2008, face au flot de jeunes qui avait chuté, nous précisions : “Don Panik est un rescapé.”
Loder brown.
La drogue n’a jamais été loin. Elle a toujours fait partie de sa vie et de son environnement immédiat. “Avant même d’avoir dix ans, je savais comment préparer une seringue. Je voyais faire mon beau-père et ses amis chez moi quand ma mère était absente. Lakaz site tipti, tou seki fer to trouve.” La banalisation s’est faite de cette façon. “Dans les ghettos, la drogue est souvent une affaire de père en fils. Cela fait partie de la culture. Tous les jeunes ne sombrent pas, mais il y a ceux qui répliquent ce que font leurs aînés.” Ainsi, ajoute Don Panik, dans le flot de mots qu’on lui connaît : “Sa loder demoniak brown sugar la, mo ti konn sa depi mo tipti san ki mo finn fer expre, san ki mo al rod sa.”
Pendant plusieurs années, Steward Nicholas se tient à l’écart de la seringue, tout en étant régulièrement dans la rue. La danse, le chant, la boxe seront les remparts qui le protégeront. S’engageant dans le séga, le reggae et le dancehall, il fera de l’amour, de la vie et des fléaux sociaux des thèmes de ses créations. Don Panik se fait remarquer par la qualité de ses textes et son don inné à dire les mots. Électron libre de la scène, il collabore également avec de nombreux artistes sur différents projets. Don Panik était une de ces rares success stories venant des ghettos.
Succomber.
Sans crier gare, elle est venue à lui. Séduisante. Irrésistible. “Ladrog inn met so abi de fasilite ek li’nn vinn get mwa. Li’nn kares mwa, li’nn anbras mwa, li’nn sedwir mwa. Elle ne m’a pas laissé voir qu’il y avait un prix à payer.” Ceux qui lui en avaient offert gratuitement pour “sey enn kout” savaient quelles seraient les conséquences. “Mais ils ne m’ont rien dit. En ce temps-là, j’étais rasta et je parlais de Dieu. Je ne savais pas qu’en face de moi, j’avais ceux qui parlent au diable.” Le chanteur en est aujourd’hui conscient. Il était un homme à abattre, un trophée à se faire : “Il est plus glorieux de mettre à terre quelqu’un qui est connu.”
Pourtant, il était au courant de la réalité de la drogue : “J’avais vu de mes yeux. Mais je n’avais pas imaginé. Fode to rant ladan pou to kone ki ena. Tu ne t’imagines jamais que cela se passera ainsi. Tu penses toujours que pour toi, ce sera autrement, jusqu’à ce qu’un jour tu te rendes compte que tu n’es plus qu’un junky.” Junky : le terme lui vient souvent aux lèvres. Il est synonyme du pire : “Que tu sois riche au pauvre, du moment que tu passes de l’autre côté, tu n’es plus que ça : un junky !”
Franchir les limites.
Dans ce monde, les limites n’existent plus. “J’y ai vu des choses que je n’avais jamais imaginées. Ici, les gens franchissent toutes les limites uniquement à cause de la drogue. Des hommes sortent leurs femmes et leurs filles de leurs maisons pour les vendre. En prison, des hommes se donnent.” Don Panik s’engouffre lui aussi, pas à pas. Du meilleur, il ira jusqu’au pire. “Moi, j’étais une petite star du dancehall. En quelque temps, j’étais devenu un personnage qui faisait peur.”
Don Panik a connu le Centre d’Accueil de Terre Rouge, où il a fait une cure. “J’étais attentif aux conseils de José Ah-Choon et de son équipe. J’ai noté les conseils des anciens, j’ai posé des questions.” Mais une fois dehors, malgré toute la volonté, il rechute. Il essaiera plusieurs fois. “Pour avancer, tu dois tout réapprendre et faire attention à chacun de tes pas, à chacune de tes rencontres. Surtout qu’il y a aujourd’hui beaucoup plus de drogués et de drogues que dans le passé. Le plus dur, c’est de te retrouver avec les mêmes amis et dans le même environnement dans lequel tu étais juste avant. Tu comprends leurs signes, leurs codes, la moindre mimique. Et n’importe quoi peut provoquer un déclic pour te faire rechuter.”
David face à Goliath.
La lutte est alors permanente. “Dans cette bataille, je me sens comme David contre Goliath. Mon adversaire, c’est ce colosse qui est l’addiction. Je ne saurai jamais si je remporterai la bataille. Nou pou kone zour ki pou atas mo de soset ar zeping kan mo pou lor kanape. Cette bataille, tu ne la finis jamais de ton vivant. Tu ne peux jamais baisser la garde.” Steward Nicholas se dit d’accord avec cet expert à l’effet que “la meilleure façon de s’en sortir face à la drogue, c’est de ne jamais y toucher. Parce qu’une fois que tu auras essayé, tu resteras toujours vulnérable. La première fois suffit; tu auras toi-même placé le démon en toi. Et il te faut du courage et de la volonté pour le combattre.”
Six ans dans la drogue. Don Panik pense souvent à son passé. Plus récemment, il s’est replongé dans la lecture de trois éditions de Scope où il avait fait la couverture. Un déclic a eu lieu : “J’allais vers les sommets. Puis, la drogue m’a complètement vidé. Quand j’ai revu ce qui avait été écrit sur moi, je me suis dit qu’il devait toujours avoir quelque chose tout au fond de moi. Sinon, tu ne serais jamais sorti de ton bureau pour venir me voir dans ma cité pour discuter et m’interviewer. Scope avait dit qu’il croyait en mon potentiel artistique.”
Or Pair.
Depuis, il s’est offert un nouvel espoir. Et c’est dans ce cadre qu’il ressort son album Or Pair, l’un des derniers projets sur lesquels il a travaillé et où il a eu la collaboration d’artistes comme Tian Corentin. Des projets du genre, il espère en avoir beaucoup d’autres. “Avec la drogue, tu ne peux ni chanter ni composer. Ce sont des choses incompatibles. Je veux revenir avec plus de force pour me retrouver au niveau où j’étais.”
Dans ses valises, plusieurs compositions attendent. C’est de là qu’il a sorti Dipin griye, chanson pour laquelle Désiré François a obtenu le sacre de “Disque de l’Année” sur trois radios. Puisant dans sa mémoire, Don Panik nous fredonne deux nouvelles compositions. L’une parle d’esclavage, l’autre d’amour. Des tubes qui attendent d’exister et qui sortiront peut-être bientôt s’il ne rechute pas “dans la fosse aux lions”.
Sur la route, il y a ceux qui se moquent, qui jugent, et aussi ceux qui l’encouragent à se reprendre. Pour Don Panik, c’est le temps de voir les choses en face. “Je demande pardon aux artistes qui se sont sentis abaissés par ma faute. Je demande pardon à mes fans, de tout mon cœur. Je n’ai pas fait cela par exprès. Je ne peux revenir en arrière pour corriger mes erreurs, même si je le souhaite ardemment. Mais je peux tout faire pour que mon avenir soit meilleur.