Bogolo Joy Kenewendo, ex-ministre du Commerce et de l’Investissement du Botswana : « Il ne faut pas avoir peur de questionner le statu quo »

L’ancienne ministre du Commerce et de l’Investissement du Botswana, Bogolo Joy Kenewendo, était à Maurice cette semaine à l’invitation de l’African Leadership University dont le campus se trouve à Pamplemouses, et ce en vue d’animer deux “master classes” sur le commerce international et le leadership des jeunes. Dans un entretien accordé au Mauricien cette semaine, elle souligne la nécessité d’intégrer les jeunes dans le développement et la croissance.

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Elle déplore le fait qu’il y a actuellement une seule femme qui occupe des fonctions de chef d’État en Afrique. Il s’agit de la présidente de la République en Éthiopie, Sahle-Work Zewde, qui est en fonction depuis octobre 2018. Elle insiste également sur la nécessité d’avoir des peines « plus sévères » contre ceux qui sont coupables de violence contre les femmes et les enfants. Et de déplorer aussi la grossesse des jeunes adolescentes. « No Child should be a mother », affirme-t-elle, car la place de l’enfant est à l’école.

Bogolo Joy Kenewendo, qui est économiste de formation, a été la plus jeune ministre au gouvernement botswanais en 2018. Elle a également siégé comme membre du Groupe de haut niveau du Secrétaire général des Nations unies sur la coopération numérique, co-présidé par Jack Ma et Melinda Gates. Elle est la fondatrice de Molaya Kgosi Trust, une initiative d’autonomisation des femmes. Elle est l’une des premières jeunes déléguées du Botswana à l’Assemblée générale des Nations Unies.

Vous êtes à Maurice pour animer des conférences à l’African Leadership University. Pouvez-vous nous en parler ?
J’ai organisé deux “master classes” à l’Université. La première était sur les négociations commerciales, l’essence du commerce en Afrique. Cela nous a permis de faire une incursion dans l’univers du commerce en Afrique, de parler de l’African Continental Free Trade Area (ACFTA), la zone de libre-échange tripartite, comment fonctionnent les négociations de manière à ce que les étudiants soient au courant de ce qui se passe et peuvent être intéressés à faire carrière dans le domaine du commerce et de négociations commerciales et l’importance du commerce au niveau du continent.
La deuxième “master class” portait sur la “youth leadership” et à encourager les jeunes de l’African Leadership University à devenir des leaders dans leurs propres pays. J’aime bien cette université. J’aime l’idée qui consiste à former des dirigeants africains locaux. Nous, lorsque nous pouvons le faire, nous les soutenons. Nous avons travaillé sur le thème “Youth leadership and Africa”. J’espère qu’au-delà de cette “master class”, les étudiants seront inspirés pour faire mieux et qu’ils seront aussi inspirés pour questionner le statu quo, mais aussi de s’ouvrir aux différentes possibilités et différentes opportunités qui s’offrent à eux et ne pas limiter leur réflexion à une unique idéologie. En réalité les idéologies sont floues. Il s’agit en fait de rester fidèles à une série de valeurs de base tout en restant ouvert à ce qui se passe autour de vous.

Vous avez abordé deux sujets très importants, à savoir le commerce en Afrique et le leadership des jeunes. Vous êtes une jeune leader et avez été ministre dans le gouvernement du Botswana. Parlez-nous de cette expérience en tant que jeune ?
C’était formidable. C’était une expérience incroyable qui m’a permis d’avoir un aperçu de la façon dont fonctionne un gouvernement et comment le monde fonctionne. J’ai eu l’occasion d’apporter ma contribution au plus haut niveau de prise de décision d’un pays, du continent et du monde. En tant que ministre, j’ai eu la chance de présider des négociations commerciales entre le Mozambique et la Grande-Bretagne en vue du Brexit. J’ai aussi participé aux négociations avec l’Union européenne. Lorsque vous n’avez que 30 ans, cela constitue une grosse responsabilité. Cela m’a donné l’opportunité de faire avancer les intérêts des jeunes, des petites et moyennes entreprises. Je suis aussi une passionnée de l’inclusion des femmes. Il était également intéressant d’avoir à rappeler aux autres que j’étais également ministre et de leur dire “I’m actually the minister”. Il se pourrait que certaines personnes ne se rendaient pas compte parce que j’étais jeune que j’étais une ministre en fonction.

Encouragez-vous les jeunes à vivre cette expérience ?
Absolutely. Nous avons besoin de jeunes leaders, que ce soit dans le gouvernement et dans le secteur privé pour participer aux débats autour du développement dans nos pays et dans nos entreprises. Cela permet de faire un bon mélange. Il ne faut pas avoir peur de relever le défi et de questionner le statu quo et ne pas hésiter à occuper l’espace, où l’on se trouve, parce qu’il y a de la place pour tout le monde.

Vous avez quitté votre fonction ministérielle. Que s’est-il passé ?
Je n’ai pas quitté mes fonctions. Il y a eu des élections générales et il a fallu inclure dans le gouvernement d’autres expertises. Moi, j’avais apporté une contribution à mon niveau. Il y avait des dossiers qui attendaient depuis longtemps. J’ai réussi à m’assurer qu’ils soient mis en œuvre. Nous avons accompli la tâche qui nous a été assignée.

Quels sont les défis à relever pour faciliter le commerce intra-Afrique ?
Il faut développer les infrastructures appropriées. Actuellement, nos infrastructures sont liées à nos partenaires traditionnels. Les pays de l’Afrique australe ont des liaisons avec la Grande-Bretagne, les États-Unis, les pays francophones, l’Angola, avec le Portugal, etc. Les relations commerciales avec ces pays sont très profondes, ce qui fait que nous avons beaucoup à faire pour développer le commerce intra-africain. Il faut construire les routes, les ponts, les chemins de fer entre nos pays et permettre le mouvement des personnes entre les pays du continent. Il faut reconnaître les devises des uns et des autres et vouloir aider les autres pays à développer une politique adaptée, à développer une politique monétaire commune et une politique fiscale commune. Il y a beaucoup de travail à faire malgré le fait que nous ayons créé la zone de libre-échange continentale.

Le nouveau président de l’Union africaine, Cyril Ramaphosa, prévoit l’organisation d’un sommet consacré à la zone de libre-échange continental. Quels conseils pourriez-vous donner aux participants ?
They know that business as usual is not enough. On ne peut continuer avec le problème de chômage sur le continent, en particulier parmi les jeunes diplômés. À chaque fois que nous n’arrivons pas à intégrer les jeunes dans le développement et la croissance, nous savons ce qui peut arriver. Nous l’avons vu au Moyen-Orient, avec le printemps arabe, notamment en Tunisie. La question n’est pas qu’on n’est pas satisfait, les opportunités deviennent si limitées que les gens commencent à se demander comment ils vont gagner leur vie. Le sommet devrait se concentrer sur la mise en œuvre de la zone de libre-échange continentale et ne pas se contenter de parler autour d’une table. Le temps n’est pas de notre côté, les défis économiques et politiques augmentent chaque jour. On dit que le moment est venu pour faire taire les armes. Mais cela ne suffit pas, car il ne faut pas se contenter de prendre les armes des gens, il faut créer des opportunités en exploitant les ressources qui sont disponibles.

Le problème est que les ressources en matière première ou agricole sont souvent traitées non par des entreprises africaines, mais par les multinationales étrangères, n’est-ce pas ?
Cette question est traitée dans le cadre de la zone de libre-échange continentale à travers le protocole sur l’investissement. La question est de savoir comment attirer plus d’investissements sur le continent afin de s’assurer qu’on puisse avoir plus de valeurs ajoutées aux ressources dont disposent les pays africains. Cela implique qu’il y a des réformes appropriées pour faciliter les affaires et voir comment encourager les opérateurs locaux qui veulent faire davantage pour le pays et pour le continent, pour commercer entre eux. It’s a question of creating an enabling environment and giving access to finance.

Vous êtes également très intéressée par la question de l’égalité des genres. Quelle est actuellement la situation en Afrique ?
Malheureusement, je pense qu’on a encore un long chemin à faire. Nous n’avons eu que cinq présidents en Afrique. En ce moment, nous n’avons qu’une seule femme, qui occupe le poste de président de la République. C’est la présidente de l’Éthiopie, qui fait un travail formidable, mais qui a besoin de soutien. Lorsque nous commençons à parler de l’autonomisation des femmes et de chances égales, nous avons également besoin des hommes qui adhèrent à cette démarche. Nous célébrons actuellement le 20e anniversaire de Beijing Plan of Action. La plupart des résolutions, qui avaient été prises à cette occasion, n’ont toujours pas été mises en œuvre. Il s’agit donc de savoir ce que nous n’avons pas fait correctement et quels sont les défis que nous avons à relever pour permettre à plus de femmes d’occuper des fonctions de leaders. Il s’agit également de se pencher sur les droits des femmes et des enfants en Afrique. La question ne concerne pas uniquement la position de leadership, mais le droit des femmes de vivre une vie normale. Elle doit pouvoir circuler librement et se rendre chez son voisin sans se sentir menacée.

Vous faites là allusion à la violence contre les femmes et les enfants…
Tout à fait. C’est un topique qui ne concerne pas uniquement les pays africains, mais tout le monde. Il nous faut militer pour que les peines quant à la violence contre les femmes soient augmentées.
C’est une question récurrente à Maurice également…
Dans mon pays, si vous volez une vache, vous êtes jugés plus rapidement et les amendes sont plus élevées que lorsque vous ne payez pas la pension alimentaire de vos enfants. Lorsque vous ne payez pas votre pension alimentaire, c’est une négligence et un abus par rapport à l’enfant. Nous avons moins de Child protection and Family Court que nous avons pour les bétails et les vols. Quelles sont donc nos priorités en Afrique ?

Vous militez également pour la protection de l’enfant ?
Oui, pour la protection de l’enfant dans son ensemble. Je pense qu’aucun enfant ne doit tomber enceinte. No child should be a mother. J’ai vu des enfants qui sont mères des enfants. C’est une situation très triste. Je dois à ce sujet dénoncer le comportement prédateur de la part des hommes sur les enfants. Il est important de voir comment mieux protéger les enfants. Dans mon pays, j’avais proposé qu’on établisse “un sex offenders registry” dans lequel on aurait enregistré le nom de ceux qui sont connus pour abuser les enfants. Il faut surtout s’assurer que les filles sont à l’école. C’est là que se trouve leur place. Le contraire devrait nous inquiéter parce que ces filles ne pourront pas participer activement à la vie dans la société et sur le marché du travail. Elles dépendent d’autres personnes sans pouvoir profiter des opportunités qui se présentent à elles.

Nous avons aussi noté que vous êtes favorable à ce que l’âge de consentement sexuel soit porté à 18 ans ?
Effectivement. Je suis en faveur que l’âge de consentement passe de 16 ans à 18 ans. I also propose that we look at the age differences of young people.We recognise that teenages might have urges. So if a teenager of 15 ends up with a 17 year-old sexually, they should not be prosecuted. But if a 15 years old is found with, for example a 30 years old man, then this man who is an adult who has taken advantage of this child who cannot say yes or no and don’t understand fully what is it that this adult is proposing should be taken to task and be judged severely.

Ne faudrait-il pas avoir également un programme d’éducation sexuelle convenable ?
Absolument. Cela ne devrait plus être un tabou de parler de sexe. Il faudrait certainement avoir une éducation sexuelle est s’assurer que nos jeunes comprennent clairement les situations dans lesquelles ils sont impliqués. Ils doivent non seulement comprendre les implications des relations sexuelles, mais également ce que c’est que le “sexting” et qui sont ceux qui pratiquent le “sexting” sur les médias sociaux. Il s’agit également de savoir comment mieux protéger les jeunes et les enfants contre ce genre de pratiques sur Internet.

Vous sentez-vous concernée par le problème de changements climatiques ?
Je n’ai pas le choix parce que je viens d’un pays semi-aride et nous le ressentons de manière dramatique. Nous avons eu une sécheresse durant trois ans. Nous sommes une société agricole, cela veut dire que nous n’avons pas de bétail, pas de maïs. Nous devons rechercher des mesures d’atténuation et d’adaptation. Nous n’avons pas d’autres choix que d’en être conscients.

Alors que vous étiez ministre, votre ambition était de créer une communauté numérique de jeunes. Que voulez-vous dire ?
À cette époque, je voulais encourager les jeunes à s’intéresser à la digitalisation. Il s’agissait par la même occasion de réduire le fossé digital. Comment s’assurer qu’un enfant en Suède pour avoir les mêmes opportunités qu’un enfant à Maurice par exemple même s’ils disposent du même niveau de technologie. Il s’agissait de savoir quel type d’accès on pouvait offrir à ces jeunes pour combler ce fossé afin qu’ils puissent être compétitifs sur le marché du travail. J’ai plaidé en faveur de cela dans le panel de haut niveau créé par le secrétaire général des Nations Unies sur la coopération digitale, mais aussi au niveau du World Economic Forum. Je continuerai à militer dans ce sens. Je suis heureux qu’on ait commencé à recevoir des initiatives innovatrices dans le domaine digital en Botswana. Je voudrais voir plus.

Quelles sont actuellement vos ambitions ? Êtes-vous intéressée à mener une carrière en politique ?
I cannot count the eggs before they hatch. Mais je suis une passionnée de la politique publique. Je veux créer un impact dans ma communauté et dans la société. Attendons voir.

Puisque vous êtes à Maurice, quelle contribution Maurice peut-elle apporter dans le processus de développement en Afrique ?
Maurice peut beaucoup apporter en continuant à soutenir des institutions comme l’African Leadership University, qui contribue à la création et à la formation des jeunes leaders africains. We can allow universities like this to be more expressive and more experimental as well because the future of education is that we knew in 1990. If they want to experiment and want to try new things add more digitalisation, then we should allow to it. Maurice doit continuer à participer activement à la réalisation des ambitions africaines en militant pour l’égalité du genre sur le continent, l’autonomisation des jeunes et en étant partie prenante dans la formation de l’intelligence des jeunes.

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