A Hong Kong, les arbres à encens menacés par l'abattage illégal
A quelques pas de son laboratoire, le généticien Zhang Huarong pointe du doigt une souche d'arbre, coupée selon lui par des bûcherons illégaux à la recherche de sa précieuse résine parfumée, le bois d'agar.
Les forêts entourant Hong Kong renferment de nombreux types d'arbres produisant cette substance très coûteuse utilisée en encens, en parfum ou encore dans la médecine chinoise.
L'abattage illégal de ces arbres a été multiplié par douze en 2023 par rapport à l'année précédente, selon le Département de l'agriculture, de la pêche et de la conservation de Hong Kong (AFCD).
Des défenseurs de l'environnement affirment que la forte demande sur le marché noir en Chine continentale et à l'étranger alimente ce trafic.
Le bois d'agar se forme lorsque les arbres sécrètent une résine pour traiter les infections fongiques sur leurs plaies ouvertes: le produit final est un bois résineux parfumé.
"En une nuit, près de vingt arbres avaient été coupés par les braconniers", explique Zhang Huarong, qui travaille au Jardin botanique et Ferme de Kadoorie (KFBC), dans le nord de Hong Kong.
"Nous avons alors réalisé qu'il fallait agir pour protéger ces arbres", ajoute-t-il.
- Le port du parfum -
Le marché noir soutenant ce braconnage existe depuis longtemps: le nom de Hong Kong, qui signifie "le port du parfum", proviendrait de son rôle historique dans la production et la vente de ces produits parfumés.
Bijoux sculptés, huiles et bâtons d'encens: dans son atelier où il enseigne l'artisanat traditionnel à Hong Kong, l'artisan Aaron Tang possède une collection d'articles fabriqués à partir de ce bois précieux.
Lors de ses cours, il alerte ses élèves sur le risque d'acheter du bois d'agar sauvage, et s'inquiète de l'impact du braconnage sur la culture traditionnelle de fabrication d'encens.
"Le bois d'agar sauvage coûte très cher, beaucoup plus que celui qui est cultivé", explique ce gérant d'une firme de production d'encens.
Le commerçant assure qu'il achète uniquement de la matière première provenant d'arbres de culture.
Mais selon lui, les acheteurs du bois d'agar illégal ne se trouvent pas à Hong Kong. Il met notamment en doute certains produits vendus sur des plateformes chinoises de commerce en ligne, telles que Taobao.
Pour obtenir le bois d'agar plus rapidement, les braconniers créent des entailles sur les arbres qui sont insoutenables sur le long-terme, explique à l'AFP le chercheur David Lau de l'Université chinoise de Hong Kong (CUHK).
Ensuite, "ils abattent l'arbre entier", ajoute le scientifique, pointant du doigt un tronc d'un arbre à encens abattu sur le campus de son université en 2017.
A l'inverse, les producteurs raisonnés permettent aux arbres à encens de guérir après la récolte du bois d'agar, note M. Lau.
- Repeupler les forêts -
Les communautés locales et scientifiques se mobilisent pour protéger les derniers arbres.
Le Jardin botanique et Ferme de Kadoorie où travaille M. Zhang, s'efforce depuis 2017 de repeupler la zone de ces arbres en voie de disparition.
Lui et son équipe sillonnent aussi les forêts pour échantillonner l'ADN de spécimens protégés afin d'alimenter une base de données. Celle-ci peut ensuite être consultée par les autorités hongkongaises pour identifier l'origine du bois d'agar saisi chez les trafiquants.
Les autorités hongkongaises affirment avoir mis en place des patrouilles dans des zones "où se trouvent d'importantes populations d'arbres à encens", selon un porte-parole de l'AFCD.
D'après elles, le braconnage a diminué depuis la mise en place de ces mesures en 2018, qui comprennent également l'installation de cages métalliques autour des arbres les plus accessibles.
"Je pense que c'est surtout en baisse car il y a moins d'arbres à braconner", affirme pour sa part Paul Melsom, un horticulteur qui travaille à Hong Kong depuis plus de 20 ans.
Lui et une employée de la KFBC, Josephine Ndaka, transplantent des jeunes arbres à encens depuis la pépinière vers la forêt.
"Tous les arbres ont été coupés et ont complètement disparu dans de nombreuses forêts de Hong Kong", observe M. Melsom.
En 2024, le département des douanes de Hong Kong a déclaré avoir saisi environ une tonne de bois d'agar lors d'une seule opération pour une valeur estimée à 2,3 millions de dollars.
M. Melsom, lui, confie à l'AFP avoir planté des arbres à encens dans des lieux tenus secrets depuis 15 ans.
Espérant préserver les derniers spécimens, il s'efforce patiemment de les entretenir "au moins une fois par an".