Venezuela: manifestation à hauts risques de l'opposition à la veille de l'investiture contestée de Maduro
"La tyrannie va tomber": la cheffe de l'opposition vénézuélienne Maria Corina Machado a promis de sortir de la clandestinité jeudi pour conduire la première grande manifestation de l'opposition depuis des semaines, avec pour objectif de faire dérailler l'investiture vendredi du président Nicolas Maduro.
En parallèle, le pouvoir a aussi annoncé une marche de soutien au président socialiste, qui doit prêter serment pour un troisième mandat à l'Assemblée nationale vendredi à midi (16H00 GMT).
Les autorités ont massivement déployé les forces de l'ordre dans le pays, particulièrement dans la capitale Caracas, jurant que l'investiture se passera "dans la paix" et la "normalité".
Il faut "vaincre la peur", veut convaincre Corina Machado, réfugiée dans la clandestinité et accusée d'être une "criminelle" par Maduro lui-même, mais qui a promis de ne "manquer pour rien au monde ce jour historique".
"Nous savons que si nous sortons tous, par millions, comment quelques centaines ou quelques milliers de personnes armées peuvent-elles (battre) 30 millions de Vénézuéliens", a-t-elle affirmé lundi à l'AFP.
L'opposition revendique la victoire de son candidat Edmundo Gonzalez Urrutia à la présidentielle de juillet. Elle assure que les procès-verbaux des bureaux de vote qu'elle a recueillis prouvent que l'ancien diplomate a remporté le scrutin haut la main (plus de 67% des voix) face à "un régime qui se sait battu" et complètement isolé sur le plan international.
- Arrestations -
Le Conseil national électoral (CNE) avait proclamé le président sortant vainqueur du scrutin avec 52% des voix, mais sans publier les procès-verbaux, se disant victime d'un piratage informatique. Une hypothèse jugée peu crédible par de nombreux observateurs.
L'annonce du CNE avait provoqué des manifestations spontanées dans tout le pays, durement réprimées. Les troubles postélectoraux se sont soldés par 28 morts, plus de 200 blessés, et 2.400 personnes arrêtées pour "terrorisme".
Les forces de sécurité ont procédé à de nombreuses arrestations ces derniers jours: quelque 150 personnes, dont un présumé responsable du FBI (police fédérale américaine) et un militaire américains, selon M. Maduro, qui a évoqué une "agression" financée par les États-Unis.
Washington, qui ne reconnaît pas la victoire de M. Maduro, a qualifié de "catégoriquement fausse" toute accusation de participation "dans un complot visant à renverser Maduro", selon un porte-parole du département d’État américain.
Enrique Marquez, figure de l'opposition vénézuélienne et fer de lance de la bataille juridique contre la réélection contestée de M. Maduro, et le gendre de M. Gonzalez Urrutia font partie des personnes arrêtées accusées d'être impliquées dans cette tentative de putsch, selon le ministre de l'Intérieur Diosdado Cabello.
Le respecté Carlos Correa, directeur d'une ONG réputée de défense des droits humains, a aussi été arrêté.
L'ONU s'est dite "profondément inquiète" jeudi de la détention d'opposants politiques et notamment celle de M. Correa, a écrit Volker Türk, le Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme.
Dans ce contexte, et après les répressions des grandes manifestations de 2014, 2017 et 2019, qui ont fait plus de 200 morts et déclenché l'ouverture d'une enquête de la Cour pénale internationale, de nombreux observateurs s'interrogent sur la capacité de l'opposition à mobiliser ses partisans. Même si les sondages assurent qu'une grande majorité du pays désire le changement.
L'opposition a appelé à de multiples reprises les forces de l'ordre et l'armée, un des piliers du pouvoir, à "baisser les armes" et à respecter la volonté populaire. En vain.
De plus, jeudi matin, des partisans du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV, parti de M. Maduro) avaient installé des tentes pour leurs militants dans de nombreux sites de la capitale, dont deux à des points de ralliement de la manifestation de l'opposition.
- "Sale boulot" -
Exilé en Espagne depuis septembre, M. Gonzalez Urrutia a effectué ces derniers jours une tournée diplomatique qui l'a notamment mené à la Maison Blanche. Il est depuis mercredi soir en République dominicaine, à une heure de vol à peine du Venezuela. Il avait envisagé d'aller à Caracas vendredi pour prêter serment à la place de M. Maduro, un projet jugé "improbable" par des observateurs.
Les autorités vénézuéliennes, qui ont mis à prix pour 100.000 dollars la tête de M. Gonzalez Urrutia, ont promis la prison à tous ceux qui l'accompagneraient, affirmant qu'elles réagiraient comme face à une "force d'invasion".
"Ce qui va se passer le 10 janvier, c'est la prestation de serment de notre unique président constitutionnel, notre camarade président ouvrier Nicolas Maduro. La révolution est là pour longtemps", assure Luis Cortez, commandant du "Colectivo Catedral", interrogé sur de possibles troubles jeudi ou le jour de l'investiture.
Selon Phil Gunson, de l'ONG International Crisis Group, ces groupes de parapoliciers, craints par une partie de la population, font souvent le "sale boulot" à la place des forces de l'ordre lors de manifestations.