Feux d'artifices et lasers, meilleurs alliés des manifestants géorgiens
Un protestataire place sur son épaule un tube en carton, décoré de dessins festifs hors de propos au milieu du chaos des manifestations en Géorgie. Il vise et des deux d'artifice éclatent en étincelles multicolores au-dessus des policiers.
La scène se répète des centaines de fois, chaque soir, dans la capitale Tbilissi au point de devenir emblématique des rassemblements pro-européens qui secouent depuis le 28 novembre ce pays du Caucase.
Cet armement improvisé risque de brûler les policiers. Mais pour un jeune manifestant cagoulé de 22 ans, les feux d'artifices que lui et ses compagnons utilisent sont encore "la plus amicale" des façons de faire entendre leur colère.
"Les autres méthodes seraient bien plus violentes", assure-t-il à l'AFP d'une voix qui peine à couvrir les détonations.
De lui, on ne voit que les yeux. Il veut être appelé Dato par craintes de poursuites judiciaires, près de 300 personnes ayant déjà été interpellées, notamment pour avoir tiré des feux d'artifices contre les forces de l'ordre, qui usent pour leur part de canons à eau et de gaz lacrymogènes.
Les manifestations ont été provoquées par le report du processus d'adhésion à l'Union européenne. Ce choix du gouvernement du parti Rêve géorgien, déjà très contesté depuis les législatives d'octobre, est perçu par beaucoup comme une trahison et la preuve d'une volonté de rapprochement avec la Russie voisine.
Questionné sur son recours à la violence, Dato rétorque que "ce qui nous est volé est bien pire que ce qu'on leur inflige, juste des brûlures". D'autant que les policiers ne se privent pas d'attaquer des manifestants.
Si près 150 agents ont été blessés dans les heurts, selon le ministère de l'Intérieur, l'opposition, le médiateur du pays et des Etats occidentaux accusent la police de recours abusif à la violence. Les images d'interpellations brutales ont largement circulé, galvanisant la foule.
- "Quatre ans que je manifeste !"-
"On a essayé les manifestations pacifiques pendant des années, ça a eu zéro effet", reprend Dato, tout près du parlement, épicentre de la contestation.
Quand on lui demande s'il est dans la rue depuis le premier jour de cette mobilisation, le jeune homme rigole: "Ca fait quatre ans que je manifeste!"
Tout vétéran qu'il est, il n'avait jamais vu de feux d'artifices utilisés ainsi. Une vidéo, devenue virale, montre un manifestant particulièrement inventif, tirant un impressionnant engin artisanal composé de multiples mortiers d'artifices qui, de loin, ressemble à un lance-flammes.
Une manifestante de 18 ans, Liza, montre elle sur son téléphone, en riant, la photo d'un policier anti-émeute, un de ceux surnommés Robocops en raison de leur lourd équipement, blessé au postérieur par un feu d'artifice.
"Il faut qu'ils voient tous cette photo, pour qu'ils sachent quel sera leur destin s'ils restent là", estime-t-elle.
Ceux qui tirent restent une minorité au sein d'une foule, autrement pacifique. Vakho, 32 ans, assure ne pas en utiliser, mais approuve néanmoins la stratégie: "On veut fatiguer les forces de l'ordre".
Autre façon d'atteindre ce but, l'usage de lasers verts pointés vers les visages des agents.
"On essaie de les aveugler un peu", commente Tsotné, 28 ans, masque sur le visage et laser, à peine plus gros qu'un briquet, à la main.
- Lasers et projecteur -
Gotcha Lobjanidzé, 29 ans, dit avoir commandé le sien sur internet. "La notice d'utilisation disait qu'il ne fallait pas le pointer vers les yeux", dit-il avec un sourire malicieux, quelques minutes après avoir fait précisément cela.
Ces lasers servent aussi à communiquer. En les projetant tous ensemble sur le bâtiment du parlement, les manifestants indiquent par exemple vers quelle direction se masser.
Mais pour faire passer des messages, le maître incontesté est David Dzidzichvili.
Ce chercheur spécialiste de la désinformation, âgé de 38 ans, met à profit son projecteur, habituellement réservé aux fêtes de famille, afin d'afficher des messages sur les murs massifs du parlement.
"Vous pouvez voir la foule réagir quand on écrit certains mots, par exemple +du bruit+", dit-il, plutôt fier.
Pour le démontrer, il tape le texte sur son téléphone, relié par wifi à l'objet. Le message apparaît, des milliers de personnes hurlent.
Un par un, des manifestants défilent pour lui demander des messages personnalisés, de soutien à des amis détenus ou de moquerie à l'adresse des autorités.
En fin de soirée, quand la police intime par haut-parleur aux manifestants de partir, la réponse vient du projecteur: "c'est au gouvernement de dégager", lit-on en lettres jaunes.