« L’aménagement durable des villes, ce n’est pas seulement planter quelques arbres ou poser des panneaux solaires. C’est repenser la ville dans sa globalité, en liant environnement, inclusion sociale et viabilité économique », c’est ce que fait ressortir Zaheer Allam, consultant en politique urbaine, dans cet entretien. En amont des municipales, il nous partage sa vision des villes modernes, durables et résilientes. « Trop de décisions sont prises à un niveau central, déconnectées du terrain » étrille-t-il, soupirant qu’il n’est plus possible de penser l’aménagement en haut lieu, entre techniciens et promoteurs. « Il faut intégrer les citoyens, créer des espaces de codécision, et professionnaliser nos équipes locales avec de nouvelles compétences ». Pour lui, la ville durable n’est pas un luxe mais une condition de notre survie collective. Il invite à consacrer 2% du PIB national aux municipalités « comme le font plusieurs pays où les villes jouent un rôle moteur dans le développement économique ».
Vous détenez un PhD Humanities et vous êtes chercheur en urbanisme. À la veille des élections municipales, quels sont, diriez-vous, les défis de nos villes concernant l’aménagement et l’organisation des espaces urbains ?
Il y a un manque de vision claire et un manque de vision qui soit à jour. Beaucoup de nos outils de planification datent d’une autre époque et ne tiennent plus compte des enjeux actuels, tel que le climat, la mobilité et la pression foncière. Il devient aujourd’hui essentiel de revoir nos cadres pour penser la ville autrement, de manière plus durable et plus résiliente. Ensuite, les municipalités ont perdu en pouvoir et en pertinence. Trop de décisions sont prises à un niveau central, déconnectées du terrain. Pourtant, c’est à l’échelle locale qu’on peut mieux répondre aux besoins concrets des habitants.
Et puis, il y a le défi de la gouvernance urbaine. On ne peut plus penser l’aménagement uniquement en haut lieu, entre techniciens et promoteurs. Il faut intégrer les citoyens, créer des espaces de codécision, et professionnaliser nos équipes locales avec de nouvelles compétences en durabilité, en mobilité, en innovation urbaine.
En tant que consultant en politique urbaine, en quoi consisterait l’aménagement durable des villes et quelle importance une telle démarche revêt-elle ?
L’aménagement durable des villes, ce n’est pas seulement planter quelques arbres ou poser des panneaux solaires ; c’est repenser la ville dans sa globalité, en liant environnement, inclusion sociale et viabilité économique. Concrètement, cela veut dire, bâtir des quartiers bien connectés, accessibles à tous, des logements abordables, des espaces publics de qualité, une mobilité propre et des infrastructures pensées pour durer. Mais, c’est aussi anticiper les chocs climatiques, économiques, sanitaires, et bâtir des villes capables d’y faire face sans se fragiliser.
C’est une démarche essentielle, car la ville durable n’est pas un luxe, c’est une condition de notre survie collective, surtout dans un contexte insulaire comme le nôtre.
Quels sont les obstacles à surmonter pour parvenir à la réalisation de cette vision que vous partagez ?
Nos structures restent trop cloisonnées, avec des responsabilités dispersées qui fragmentent l’action urbaine. Il faut renforcer la coordination entre ministères, agences et municipalités autour d’une vision partagée. Les municipalités manquent aussi de moyens, notamment humains. Il est urgent de professionnaliser les équipes locales, valoriser les fonctions clés et intégrer de nouvelles expertises en durabilité, participation ou innovation. Et puis, je pense qu’il faut dépasser une certaine inertie. Mais les choses changent, car plusieurs villes à l’international, même dans des contextes proches du nôtre, montrent qu’avec une vision claire et une volonté politique, des réformes ambitieuses sont possibles.
Un des problèmes décriés par les citadins aujourd’hui est les rues vite submergées pendant la période pluvieuse. Quelles solutions ?
Les inondations urbaines doivent être abordées à plusieurs niveaux. D’abord, il faut de nouvelles directives urbanistiques, où chaque nouveau projet doit intégrer des solutions de rétention et d’infiltration des eaux. Mais, cela doit suivre avec une mouvance d’adapter ce qui existe déjà, en rétrofitant les bâtiments pour limiter l’écoulement, et en mettant en place des incitations aux propriétaires à le faire. Mais surtout, il faut repenser nos infrastructures. Plus de béton n’est pas toujours la réponse. Parfois, des drains naturels, des parcs inondables (espaces publics recueillant temporairement les eaux lors d’une pluie importante) ou des noues végétalisées (des fossés végétalisés, peu profonds et larges aménagés souvent le long des voies de circulation pour recueillir, transporter et filtrer les eaux pluviales) sont plus efficaces, tout en créant des espaces verts utiles à la ville.
Comment régler le problème d’embouteillage et de stationnement de voitures ?
Nous avons franchi un cap critique : plus de 720 000 véhicules pour une population aussi restreinte, c’est non seulement insoutenable, mais dangereux pour notre santé, notre économie et notre climat. La réponse ne réside pas toujours dans plus de routes ou de parkings, mais il s’agit de trouver des solutions alternatives crédibles. Il faut d’abord réinvestir dans notre réseau de bus, et revoir les itinéraires, améliorer la fréquence, la ponctualité, et surtout la qualité de service. Une meilleure gestion des flottes permettrait aussi d’étaler l’offre sur différentes plages horaires, au lieu de tout concentrer aux heures de pointe.
Il est également essentiel de mieux connecter le métro aux lignes de bus, et de s’attaquer sérieusement au Last Mile, par des navettes de quartier, des pistes cyclables ou des parcours piétons sécurisés.
Comment rendre les villes plus modernes, plus pratiques et agréables pour les citadins ?
Elles doivent d’abord être humaines, inclusives et résilientes. Cela signifie créer des espaces où chacun se sent en sécurité, représenté, et acteur de son environnement. Une ville agréable, ce n’est pas seulement une ville belle, c’est une ville qui offre des opportunités pour tous, un accès au logement, à l’emploi, aux soins, à l’éducation, et à des lieux de vie partagés.
Il faut aussi redonner du sens à l’espace public, des rues où l’on peut marcher, se rencontrer, jouer, s’exprimer. Quand les habitants se sentent chez eux dans la ville, ils en prennent soin. Cette appropriation est essentielle pour renforcer le tissu social et la résilience collective. Et, la ville doit être flexible face aux crises climatiques, sanitaires, ou économiques. Cela demande une planification intelligente, ancrée dans le long terme, mais aussi la capacité d’adapter rapidement les services et les usages en cas de besoin.
Tout cela nécessite des fonds énormes. Nous savons tous que les municipalités sont limitées en termes de financement…
C’est justement là que se pose la vraie question : l’autonomie financière, mais aussi décisionnelle. Aujourd’hui, nos villes dépendent quasi entièrement des transferts de l’État central, ce qui limite leur capacité à planifier sur le long terme ou à répondre rapidement aux besoins locaux. Une piste concrète serait de consacrer 2 % du PIB national aux municipalités, comme le font plusieurs pays où les villes jouent un rôle moteur dans le développement économique. Mais il ne suffit pas de transférer des fonds. Il faut aussi leur donner l’autonomie d’action, et la possibilité de proposer leurs propres mécanismes de financement, d’initier des projets innovants, de contractualiser avec le secteur privé ou les bailleurs, et de piloter des politiques adaptées à leur contexte.
Une ville bien gouvernée, dotée de moyens clairs et d’une marge de manœuvre réelle, devient un véritable levier de transformation. C’est ce changement de paradigme qu’il faut oser.
En conclusion ?
Tant qu’on continuera à centraliser les décisions, à sous-financer les collectivités, et à confiner les mairies à un rôle secondaire, on passera à côté de tout le potentiel du territoire. Ce n’est pas un problème de vision. Au contraire, elle existe. C’est un problème de courage politique !
Les villes doivent être traitées comme des partenaires à part entière de l’État. Il est temps de leur confier les clés, les moyens, et la confiance pour agir. Sinon, nous ne construisons pas des villes pour l’avenir, mais des retards accumulés. À l’heure où d’autres pays renforcent leur gouvernance locale pour mieux répondre aux enjeux climatiques, économiques et sociaux, le statu quo chez nous devient un choix politique. Et, avec une nouvelle équipe au pouvoir, peut-être verrons-nous enfin ce changement, car c’est à ceux qui nous dirigent de décider s’ils veulent continuer à gérer l’urbain ou enfin le transformer…