Dans le sillage d’une étude menée sur les discriminations, préjugés et dangers auxquels font face les personnes âgées à Maurice et à Rodrigues, Vijay Naraidoo, responsable de la Commission pour les Droits des personnes âgées à Dis-Moi, ONG militant en faveur des droits humains, martèle que celles-ci « ont les mêmes droits que tout autre citoyen ». Tout est question d’éducation, qui doit commencer, dit-il, à la maison et à l’école. « Il ne suffit pas de dire aux enfants qu’il faut avoir de la considération envers les personnes âgées mais il doit y avoir des sketchs, des jeux, des classes ». Il précise que la sensibilisation menée par Dis-Moi ne concerne pas que les personnes âgées mais aussi les plus jeunes qui seront les personnes âgées de demain. Pour Vijay Naraidoo, « les causeries ne suffisent pas, il faut des actions ».
L’ONG Dis-Moi vient de rendre publique une étude sur l’âgisme à Maurice et à Rodrigues. Qu’est-ce que l’âgisme ?
Permettez-moi d’abord de situer le contexte. L’ONG Dis-Moi a été créée en 2011, avec pour mission une culture des droits humains dans notre République de Maurice, incluant Rodrigues, mais aussi la région du Sud-Ouest de l’océan Indien (la Réunion, Madagascar, les Comores, les Seychelles) entre autres. Notre vision était que les droits humains de chaque citoyen (enfant, jeune, personnes porteuses de handicap, femmes, la communauté LGBT, personnes âgées) soient une manière de vivre. Au sein de Dis-Moi, nous avons plusieurs commissions dont celle faisant le plaidoyer pour la protection des personnes âgées, et j’en suis le responsable.
Pourquoi avoir entrepris cette étude ?
Au fil du temps, nous avons mené une campagne de sensibilisation tous azimuts, dans divers pays, au niveau des associations des personnes âgées, des syndicats, des retraités, des collèges, des paroisses, des universités. En parallèle, nous avons un observatoire qui collecte des données en lien avec les personnes âgées par le biais de lettres que nous recevons, d’appels téléphoniques ou encore de coupures de presse. La lecture de toutes ces données au fil du temps nous a fait prendre conscience qu’il y a véritablement un problème d’âgisme, soit de manque de respect et d’abus envers les personnes âgées par des membres très proches de la famille ; par des membres du public ou encore par des services hospitaliers entre autres. C’est ce qui nous a poussés à réaliser une étude sans précédent dans le pays. Aucune institution, que ce soit le ministère de la Sécurité sociale ou toute ONG défendant les droits des hommes n’avait jusqu’ici mené une étude de terrain. Nous avons ainsi entrepris cette étude l’an dernier auprès plus de 200 personnes à Maurice et à Rodrigues. Nous avons posé diverses questions dans le but de mesurer à quel point elles sont respectées dans la société.
L’âgisme est donc une forme de discrimination ?
L’âgisme est un terme créé par le gérontologue Robert Butler en 1969. C’est une forme de discrimination envers les personnes âgées alimentée par les stéréotypes pour les dénigrer. L’âgisme a aussi trait à l’attitude de préjugé envers les personnes âgées, lorsque l’on pose sur la personne un jugement avant même qu’elle n’ait eu l’occasion de s’exprimer. Par exemple, parfois les personnes âgées sont traitées de ‘have been’, soit des personnes du passé. Or, ces personnes sont encore actives. La question est : quelle attitude avoir envers ces personnes : est-ce que cette personne mérite notre respect, est-ce qu’elle doit être mise de côté ou est-ce que nous devons reconnaître ses acquis ?
Même si lors de cette étude, des personnes âgées en petit pourcentage ont dit ne pas avoir été sujettes à des discriminations, il faut savoir que parfois, elles n’osent pas dire si elles souffrent car l’auteur n’est autre que leur enfant, une personne bien située dans la société etc. Mais, nous sommes contents que dans leur majorité, les personnes sondées se sont exprimées.
En tant que responsable de la Commission pour les Droits des Personnes âgées de l’ONG, qu’est-ce qui vous interpelle le plus dans cette étude ?
Il y a des souffrances à divers degrés : certains subissent des violences chez eux. Il y a eu des cas ces derniers temps où des personnes âgées étaient victimes de violence de la part de leur enfant toxicomane. Mais, il y a aussi des attitudes négatives des membres du public, que ce soit au supermarché, dans l’autobus, au bureau. Quand une personne entre dans un bureau, quel que soit son âge, elle mérite d’être respectée. Elle a droit à l’accueil comme pour toute autre personne. Si une personne âgée a des difficultés à monter l’escalier, c’est à cause de l’âge mais la vieillesse n’est pas une maladie. Les personnes âgées ont les mêmes droits que tout autre citoyen. Au contraire, il faut avoir plus de considération envers ces personnes qui ont parfois du mal à marcher sur le trottoir, à monter les escaliers etc. Je pense que c’est une question d’éducation. L’éducation doit commencer à la maison et être consolidée au pré-primaire. Il ne suffit pas de dire aux enfants qu’il faut avoir de la considération envers les personnes âgées mais il doit y avoir des sketchs, des jeux, des classes. Cela doit continuer au primaire, au secondaire, voire au tertiaire. Moi, je dis toujours que l’âgisme peut être un sujet d’études et de thèse de doctorat à l’université.
Quand on parle de personnes âgées, on parle des 60 ans à monter, c’est bien cela ?
Exactement. Pourquoi 60 ans ? Par tradition, jusqu’à un certain temps, dans le pays, les gens travaillaient jusqu’à 60 ans et commençaient à toucher leur pension de vieillesse. À Maurice, on arrête maintenant de travailler à 65 ans, dans d’autres pays, c’est à 70 ans, dans d’autres, l’âge a été ramené à 63 ans. C’est une question d’attitude. L’âge, c’est un chiffre. La personne âgée a le droit de continuer de travailler, de retourner à l’école, de changer d’emploi, d’avoir des loisirs. Bien des personnes âgées continuent de contribuer au développement socio-économique du pays.
What Next après cette étude ?
Maintenant que nous avons des données découlant de cette étude, nous demandons au ministère de la Sécurité sociale de mettre davantage de ressources à la disposition des ONG qui travaillent pour les droits humains. Les jeunes d’aujourd’hui deviendront les personnes âgées de demain. Ce n’est donc pas seulement l’affaire des personnes âgées. Nous parlons des droits et des responsabilités aussi des jeunes.
Vous avez déclaré l’an dernier que Dis-Moi s’est donné pour mission depuis 12 ans de développer une culture des droits humains. Quel progrès notez-vous au niveau des seniors depuis tant d’années de sensibilisation ?
Les personnes âgées sont bien plus conscientes de leurs droits. À partir du moment où elles prennent contact avec nous, c’est une indication qu’elles sont conscientes de leurs droits. Quand elles ne sont pas bien traitées à l’hôpital ou ailleurs, elles interpellent les autorités, les ONG et s’expriment à la radio. C’est un progrès finalement de la conscientisation qu’il y a eue. Nous ne sommes pas la seule organisation à militer en leur faveur. Nous avons des branches de Dis-Moi aux Comores, à Madagascar, à Rodrigues, à la Réunion, aux Seychelles. Nous avons des cours de formation en ligne et nos animateurs sont allés dans ces îles pour consolider la formation. Moi-même, j’ai été aux Comores, à Rodrigues. Nous continuons à garder le contact sur une base hebdomadaire. Nous apprenons beaucoup de ces branches en dehors du pays et nous grandissons ensemble.
Peut-on dire que la qualité de vie des personnes âgées s’est améliorée depuis ces 12 dernières années ?
Oui, pas seulement grâce à Dis-Moi et de notre campagne, je dois le reconnaître. La qualité de vie s’est certes améliorée mais il y a des poches de pauvreté et des personnes âgées qui n’ont pas beaucoup de revenus, n’ayant qu’une pension de vieillesse. Les gens sont plus conscients de leurs droits, oui, la durée de vie s’allonge – les Mauriciens sont plus conscients de l’importance des exercices physiques et d’une bonne alimentation.
La hausse de la pension a aidé à une meilleure qualité de vie ?
Elle était nécessaire pour faire face à l’augmentation du coût de la vie.
Quel est aujourd’hui votre plaidoyer auprès des autorités et de la population ?
Je fais un plaidoyer pour plus de ressources – pas uniquement financières – aux ONG œuvrant pour le bien-être des personnes âgées. Les causeries ne suffisent pas, il faut des actions. Et à ces ONG, je leur demande de think out of the box. Il n’y a pas que des sorties en autobus. Il faut que les personnes âgées puissent continuer à s’exprimer. Il y a des poètes dormants parmi qui auraient tant à transmettre en termes d’expériences, de connaissances et de valeurs. Il faut exploiter cela. Ce sont des ‘baobabs’, des bibliothèques dont on devrait s’abreuver.