- 80% de ceux vivant avec le VIH (PVVIH) avouent avoir peur de dévoiler la maladie
- « À Madagascar, sur 9 000 PVVIH, 8 550 suivent le traitement; à Maurice, pour 9 000 PVVIH, seules 5 000 le font. Pourquoi ? »
« Je suis fatigué et en colère. Il y a une dizaine d’années, Maurice était le modèle de référence en matière de riposte dans la lutte contre le sida, dans la région océan Indien et en Afrique. Aujourd’hui, de nombreux pays du continent africain sont loin devant nous. Nous sommes devenus la honte ! C’est nous maintenant qui devons aller apprendre les bonnes pratiques et nous remettre à la page auprès des pays qui, auparavant, s’inspiraient de nous ! »
Ce coup de gueule est celui de Nicolas Ritter, premier Mauricien à avoir publiquement déclaré vivre avec le VIH, et membre fondateur de l’ONG PILS (Prévention, Information et Lutte contre le Sida), structure phare en matière de lutte contre le virus et pour le respect des droits des Personnes vivant avec le VIH (PVVIH). Aujourd’hui représentant officiel de Coalition Plus, il concède : « je peux me permettre d’avoir une parole libérée et dire les choses telles quelles. Et la situation n’est pas bonne ! Avec 12% seulement de nos PVVIH qui ont une charge virale indétectable, l’épidémie risque bien de nous exploser en pleine gueule ! Cela veut dire qu’il y a 88% des Mauriciens porteurs du VIH qui sont des menaces de transmission du virus. »
Nicolas Ritter intervenait au lancement du troisième Stigma Index pour les PVVIH. L’étude a été réalisée dans le cadre du Global Fund, en 2024, avec un échantillonnage de 588 personnes interrogées. De ce nombre, a signalé Monica Pudaruth, Monitoring, Evaluation & Research Coordinator de PILS, « 80% ont avoué avoir peur de dire qu’elles sont porteuses du virus. Pourquoi ? Justement à cause de la persistance des stigmas à leur encontre. »
Présentant rapidement les retombées du Stigma Index 2024, Monica Pudaruth a aussi déclaré que « les chiffres paraissent indiquer une baisse, mais tel n’est nullement le cas dans la réalité. Surtout quand l’on découvre que 80% des PVVIH avouent préférer taire leur statut sérologique.»
Nicolas Ritter est direct : « nous avons échoué. Cet échec est collectif. Le gouvernement a sa part de responsabilité, mais la société civile, aussi. En 2015, quand Anil Gayan, comme ministre de la Santé, s’en prend à tout ce que nous, PILS, d’autres ONG, donc la société civile, et avec le partenariat solide du gouvernement, avions mis en place, il nous a fait perdre une dizaine d’années d’avancée ! »
Il continue : « certainement, nous autant que le GM d’avant 2015, avions détecté des dysfonctionnements dans le traitement à base de la méthadone, le programme d’échange de seringues, et d’autres prestations. » Cependant, des décisions radicales et unilatérales « ont eu raison de tout ce que nous avions, tous ensemble, pris le temps de construire et mettre en place, afin que Maurice soit un pays de référence en matière de lutte contre le virus, du traitement, et, par incidence, de la drogue, puisque le Sida et la drogue, à Maurice, sont très liés.»
Résultat : « aujourd’hui Madagascar a 9 000 personnes porteuses du virus, et de ce chiffre, 8 550 sont suivies et traitées. En revanche, à Maurice, sur les 9 000 cas de PVVIH recensés, seuls 5 000 se retrouvent dans le circuit de soins. Pourquoi ? Est-ce qu’il n’y a pas de stigma et de discriminations à Madagascar ? »
Pour l’activiste, « pourtant, des études, nous en avons des dizaines ! Mais qui finissent dans des tiroirs et dont les recommandations ne sont jamais mises en application. » De fait, réclame-t-il : « que l’on retire ces études de ces tiroirs et que l’on commence à mettre ces recommandations en application. Il n’y a plus de place pour la complaisance et l’amateurisme. Il faut agir, bien et vite ! » Autrement, prévient-il, « l’épidémie va nous exploser en pleine gueule. »
Il ajoute : « c’est tout simplement incompréhensible pourquoi et comment les Mauriciens ne peuvent pas se rendre tranquillement dans les centres de santé nationaux, soit les cinq principaux hôpitaux, s’y faire dépister. S’ils sont trouvés positifs au sida, qu’ils aient leurs médicaments pour un mois. Pourtant, cela ne se fait pas ! Pourquoi ? Comment se fait-il qu’il y ait encore et toujours des médecins et des membres du personnel soignant, et administratif, qui font perdurer la discrimination envers les PVVIH ? »
Il devait souligner : « en 2023, 39% d’augmentation de nouveaux cas de personnes positives au Sida se trouvaient dans la tranche d’âge des 25 à 39 ans. Et cela n’a choqué personne ! Nous continuons à recenser plus de 100 patients qui meurent chaque année : et toujours pas de réactions ! Plus d’une dizaine d’enfants naissent avec le virus, annuellement : aucune réaction ! Nos chiffres ne sont pas bons du tout ! Si rien n’est fait vite et bien, nous allons avoir de (mauvaises) surprises ! »
L’activiste social a aussi fait ressortir que « cela fait des années que PILS milite contre la loi sur l’immigration qui existe dans notre pays et qui pénalise les PVVIH. Quelques cas sont bien évidemment portés à notre connaissance, et nous mettons tout en œuvre pour donner à ces personnes, que ce soient des étudiants, des professionnels qui viennent travailler ici, des possibilités d’entrer dans notre pays. Ce ne sont que quelques cas. Il y a tant de gens qui ne connaissent pas Pils et ne viennent pas vers nous. Il est grand temps que cela change ! Nous avons de plus en plus recours à la main-d’œuvre étrangère. Ici aussi ceux qui sont porteurs du virus n’ont pas le droit d’entrer dans notre pays. Ce n’est pas juste de pénaliser ainsi des humains ! »
Nicolas Ritter retient également que « le nouveau gouvernement semble bien décidé à réagir positivement sur le dossier drogue/Sida. Parce que l’on voit, au quotidien, de nombreux jeunes comme des zombies, victimes des drogues synthétiques. Les Mauriciens se réveillent et réclament des actions. Nous sommes à un tournant de notre destin. Essayez de chercher dans le monde combien de pays n’arrivent pas à gérer leur épidémie de Sida. Maurice en fait hélas ! partie. Alors, soit, nous avons l’audace de prendre des décisions courageuses maintenant, ensemble, gouvernement et partenaires de la société civile; soit nous attendons que l’épidémie fasse les ravages que tous les indicateurs indiquent ! »
60% des PVVIH se disent victimes d’abus physiques
588 PVVIH, dont 382 hommes, 186 femmes et 20 transgenres, ont été sollicitées dans le cadre de la réalisation du troisième Stigma Index for People Living with HIV & AIDS. Les équipes de PILS « se sont rendues dans les cinq hôpitaux nationaux pour y questionner les PVVIH, mais également auprès de certaines ONG comme Kinouete qui s’occupent des détenus quand ils sortent de prison, et AILES, qui accompagne autant les toxicomanes que les séropositifs. Et, cette année, nous avons également étendu l’étude à Rodrigues », explique Monica Pudaruth.
Des données récoltées, 60% des interrogés ont admis avoir été victime d’abus physiques; 40% disent être exclus socialement; 19% subissent des discriminations sur leurs lieux de travail; 18% confient avoir appris que des ragots et des médisances circulent à leur égard; 16% sont victimes de violences verbales; 12% sont maltraitées dans les circuits de santé; 8% sont rejetés par leurs familles et proches, entre autres. « 44% des personnes sondées ont expliqué qu’elles se sentent coupables de porter le virus », ajoute encore Monica Pudaruth.
L’atelier de travail de ce vendredi 21 mars avait pour objectif de « disséminer les retombées du troisième Stigma Index, de faire un état des lieux avec les participants, qui viennent de différentes sphères – ministères, ONG… et que chacun repart de là avec des informations à transmettre dans la communauté, afin de faire reculer encore les discriminations envers les PVVIH » soutient M. Pudaruth. Les deux premiers Stigma Index ont été réalisés en 2013 et 2017.