Depuis quelques jours, le monde est en émoi devant les images hallucinantes du conflit entre la Russie et l’Ukraine, où des centaines de milliers d’Ukrainiens tentent de fuir leur pays vers des pays voisins, laissant derrière eux maisons, voitures et tous autres biens. Et à plus de 8,000 km du front, des familles mauriciennes, mais aussi ukrainiennes, dont les enfants y étudient ou y travaillent, ressentent eux aussi les effets de cette guerre.
Week-End est parvenu à récolter le témoignage de quelques personnes qui se sont retrouvées du jour au lendemain en plein milieu d’une war zone.
Shabnam (Sumy State University, Ukraine) :
« Nos professeurs nous ont demandé de suspendre le drapeau de notre pays devant l’université »
Shabnam est étudiante en cinquième année en études vétérinaires à la Sumy State University en Ukraine. Elle a décidé de rester avec ses deux animaux de compagnie qu’elle refuse d’abandonner, comme beaucoup d’autres étudiants étrangers et qui sont actuellement pris en charge par la direction de l’université ukrainienne. Symboliquement, en plein centre de cette zone de guerre, leurs professeurs leur ont demandé de suspendre le drapeau de leur pays devant l’université. Sa mère témoigne.
« Elle est la seule étudiante mauricienne dans son université, et je dois dire que la direction et les chargés de cours de l’université s’occupent bien d’elle et de tous les étudiants étrangers », nous confie sa mère au téléphone. À l’autre bout du fil, nous entendons une mère inquiète, mais qui tente tant bien que mal de garder le moral. Elle nous explique que depuis dimanche dernier, après avoir eu vent de la situation en Ukraine et avant que la guerre ne soit officiellement déclarée, elle et son époux avaient demandé à leur fille si elle voulait rentrer au pays. « Nous étions prêts à entamer les démarches pour la faire rentrer, mais Shabnam m’a dit qu’elle se sentait en sécurité dans son université et qu’elle ne pouvait pas abandonner ses deux animaux de compagnie. Li dir mwa : Mami, koman twa to pa kapav abandonn to bann zanfan, mwa osi mo pa kapav fer sa. » Une décision que la jeune apprentie vétérinaire a assumée jusqu’au bout. « Dimanche dernier, un de ses chargés de cours m’avait même parlé au téléphone pour me rassurer et, depuis, nous sommes en contact permanent », explique la mère de Shabnam.
Ainsi, depuis deux jours, l’université a informé tous ses étudiants de la marche à suivre au cas où la situation s’aggraverait. « La direction a demandé aux étudiants de préparer une trousse avec tous les produits de base, car ils sont appelés à bouger dans les bunkers sous-terrains. Et ce sont d’ailleurs les seuls moments où nous ne pouvons communiquer avec Shabnam, car il n’y a pas de réseau », avoue-t-elle. Sinon, la jeune femme communique tout le temps avec ses parents et sa sœur, Sabiah, à Maurice. « Shabnam se sent en sécurité sur le campus et a même été en ville hier (ndlr : vendredi). Elle nous a raconté qu’il n’y avait que quelques supermarchés ouverts et qu’il n’y avait presque plus de provisions. Les boulangeries et les pharmacies sont fermées et les distributeurs automatiques sont hors service, mais heureusement que l’université approvisionne les étudiants et qu’ils ne manquent de rien », explique la mère de Shabnam.
D’ailleurs, elle tient à remercier tous ceux qui aident en ce moment sa fille, notamment l’ambassadeur de Maurice en Russie, Chandan Jankee, « qui est à l’écoute et qui répond à tous nos appels d’ici. Et même si vous n’arrivez pas à l’avoir, il vous rappelle et cela veut tout dire pour nous, parents, qui sommes loin de notre enfant. Une simple parole peut changer la donne et vous aider à mieux gérer ce stress et cette inquiétude constante que nous ressentons son père, sa sœur et moi-même. » Shabnam a aussi tenu à faire passer un message à tous ceux qui l’appellent depuis que le conflit a commencé pour lui demander de ses nouvelles, et les rassure qu’elle et ses deux animaux de compagnie vont bien et qu’elle prie pour que tout se passe bien.
La vidéo de Kevin Allagapen qui a ému tous les Mauriciens
La vidéo a fait le tour des réseaux sociaux et les images font froid dans le dos. Kevin Allagapen, ressortissant mauricien et sa compagne, Tatiana, sont dans les rues de Kharkiv, avec leur enfant en bas âge. À l’heure où la vidéo avait été enregistrée, il y a deux jours, le jeune homme et sa famille essayaient de fuir les attaques terriennes et aériennes des forces russes pour se réfugier dans un bunker. Visiblement déboussolés et effrayés, l’on voit le Mauricien et son épouse dans un froid glacial, avec en toile de fond le bruit de bombes. Et Kevin Allagapen lance un cri de détresse pour mettre sa famille en sécurité. L’on se croirait dans un film de guerre, et pourtant, c’est bel et bien le quotidien de millions d’Ukrainiens en ce moment. Nous avons essayé de les contacter, hier, en vain.
Chandan Jankee (ambassadeur de Maurice en Russie) :
« La position des autorités mauriciennes est claire : ne prenez pas de risques »
Chandan Jankee est actuellement à Moscou en Russie, mais passe son temps au téléphone entre Ukraine et Maurice, avec les Mauriciens bloqués en Ukraine, leurs parents à Maurice, et les autorités locales. Des cinq Mauriciens avec qui il est contact, quatre sont des étudiants. Deux ont décidé de partir en Angleterre et deux ont choisi de rester dans leur université respective (ndlr : à l’heure où nous mettions sous presse, un troisième était en route vers la Pologne hier).
« Je suis en contacts constants avec uniquement les Mauriciens qui m’ont contacté, car nous n’avons pas les détails des autres », dit-il. En effet, des 17 à 20 Mauriciens qui seraient actuellement en Ukraine, selon les chiffres des Affaires étrangères de Maurice, seuls cinq ont pris contact avec l’ambassade mauricienne en Russie. Ce qui rend la tâche encore plus difficile. « C’est pour cela que nous demandons à ces personnes-là de me contacter, et j’ai d’ailleurs publié mon numéro personnel sur les réseaux sociaux », dit Chandan Jankee. Il explique ainsi qu’il fait de son mieux, avec le soutien des Affaires étrangères mauriciennes, pour rassurer et venir en aide aux Mauriciens bloqués en Ukraine, même « si je ne peux pas faire grand-chose à ce stade, car les aéroports sont fermés, et il faut le rappeler qu’il s’agit d’une situation extrêmement compliquée. Nous parlons là de guerre. Il faut juste attendre et rester en sécurité », précise-t-il.
Chandan Jankee réitère ainsi son appel : « Restez en sécurité et dès que nous avons la possibilité, nous ferons tout pour vous aider. Je reste à l’écoute et la priorité pour nous tous à l’ambassade et au gouvernement est que nos compatriotes soient en sécurité. » Conscient du stress et de l’inquiétude dans lequel se trouvent ces personnes-là, Chandan Jankee se veut rassurant et appelle au calme. « Nous avons tous vu la vidéo de ce Mauricien en compagnie de sa famille et nous souhaitons les rassurer. Je suis d’ailleurs en contact avec lui et je lui ai parlé pour lui demander de rester en sécurité et de ne pas bouger. » D’ailleurs, l’ambassadeur rappelle que « si vous bougez et si vous décidez de partir, c’est à vos propres risques. La position du gouvernement est claire à ce sujet. »
Liubov Harel : « Il y a des Ukrainiens, notamment des touristes, bloqués à Maurice »
« Ma mère et mon frère se sont sauvés de la région de Kiev, ils n’avaient plus le choix, car les bombardements sont incessants », témoigne Liubov Harel. Elle et une dizaine d’autres d’expatriés ukrainiens vivant à Maurice ont manifesté symboliquement, jeudi et hier dans la capitale, pour un retour à la paix entre ces deux pays. Elle lance aussi un appel aux autorités et à tous ceux qui souhaiteraient montrer leur soutien à l’Ukraine, en venant en aide à la dizaine, voire plus d’Ukrainiens actuellement bloqués à Maurice et qui ne peuvent pas retourner auprès de leurs familles.
Liubov Harel était il y a dix jours à Kiev pour le renouvellement de son passeport et n’arrive toujours pas à croire que les bâtiments qu’elle a vus sont désormais réduits en lambeaux. « J’ai toute ma famille là-bas. Ma mère, comme beaucoup d’autres femmes ukrainiennes, n’a pas voulu quitter le pays dès les premiers jours de guerre à cause de mon petit frère qui lui ne peut pas quitter l’Ukraine. Mais avant-hier, elle a vu un missile passer tellement près au-dessus du toit de sa maison qu’elle a décidé de tout abandonner pour aller vers l’Ukraine de l’Ouest », raconte-t-elle émue. Elle raconte que les gens font plus de 12h de route pour accéder à la partie ouest du pays étant la plus éloignée de la Russie, et doivent s’arrêter pour faire le plein dans des stations d’essence qui ne donnent que 20 litres par personne. « C’est inimaginable ce qui se passe là-bas, dans un pays aussi pacifique. Cela dépasse la fiction », dit Liubov Harel.
Par ailleurs, elle nous explique qu’il y a en ce moment à Maurice des Ukrainiens, notamment des touristes, bloqués. « Il y a un couple qui devait partir mercredi, mais qui n’a pas pu prendre l’avion pour des raisons évidentes. Il y a aussi une famille avec trois femmes et un enfant de quatre ans qui vivent en ce moment dans l’angoisse, car leurs père, époux et oncle sont actuellement à Kiev en Ukraine, en plein centre du conflit. Elles, ici, dont Kristina Prinko, ne savent pas comment elles vont faire pour survivre, sans logement et sans argent. Elles devraient normalement partir le 3 mars », dit-elle. Liubov Harel lance donc un appel aux autorités et aux Mauriciens pour venir en aide à ces personnes-là, qui du jour au lendemain se sont retrouvées sans maison, sans rien.
« J’ai écrit une lettre hier pour demander de l’aide aux autorités et pour voir s’il faut que ces personnes-là fassent une demande d’asile politique, par exemple. » Ceux et celles qui souhaiteraient aider les familles ukrainiennes bloquées à Maurice peuvent contacter Liubov Harel sur les réseaux sociaux.