Le gouvernement n’accordera que Rs 300 000 pour les recherches et frais judiciaires pour chaque cas
Toujours le flou sur les 20 cas déjà « prêts pour aller en Cour », comme annoncé par le DPM Obeegadoo en août 2021 à l’Assemblée nationale
Clency Harmon entamera une nouvelle grève de la faim mercredi prochain
Une nouvelle réunion entre le Premier ministre adjoint et ministre des Terres, Steven Obeegadoo, et des victimes de dépossession des terres s’est déroulée cette semaine. Réunion que ces dernières qualifient de « très décevante » de par le « blocage » qu’elles disent constater à plusieurs niveaux, de même que le ton adopté. Clency Harmon a ainsi écrit une lettre au Deputy Prime Minister (DPM) pour déplorer cette situation. Il se dit déterminé à entamer une nouvelle grève de la faim ce mercredi, car selon lui, il semble qu’il n’y ait aucune volonté à faire bouger les choses de la part des autorités
Après une première réunion le 13 janvier, les victimes de dépossession des terres s’attendaient que le Premier ministre adjoint et ministre des Terres, Steven Obeegadoo, prenne les choses en main pour accélérer les procédures de restitution. D’ailleurs, Clency Harmon ne manque pas de le souligner dans sa lettre. « Vous nous avez reçus Danielle Tancrel, Didier Kisnorbo et moi-même le 13 janvier 2022. Nous ne pouvons nous plaindre, étant donné que la réunion avait été très cordiale et amicale », écrit-il.
Au cours de cette réunion, il a été convenu qu’il y aurait un suivi mensuel en présence d’un arpenteur et d’un avoué de la Land Research and Monitoring Unit (LRMU), que les courriers des victimes à cette unité du ministère soient traités dans un délai raisonnable et que le DPM proposerait des solutions pour les revendications en souffrance. Toutefois, selon Danielle Tancrel et Clency Harmon, qui ont participé à cette réunion avec Steven Obeegadoo, il y a eu un virage à 180°. Ils regrettent : « il est malheureux de constater que le ministre était fermé au dialogue et a rejeté toutes nos propositions. Le ton était même différent. »
Clency Harmon ne manque d’ailleurs pas de le souligner dans sa lettre : « Veuillez bien vouloir m’excuser si je vous le dis ouvertement, Mr le ministre, mais Danielle et moi avons été surpris et déçus de la tournure de cette rencontre. (…) Depuis le début vous étiez sur la défensive et très négatif. Vous vous êtes contredit sur plusieurs promesses que vous aviez faites lors de la précédente réunion. »
Qu’est-ce qui explique une telle déception, alors que le gouvernement avait pris la décision de mettre sur pied une Land Division de la Cour Suprême, comme recommandé par la Commission Vérité et Justice, pour traiter des cas de spoliation des terres ? De plus, en 2019, une Land Research and Monitoring Unit (LRMU) avait été créée pour compléter les travaux de recherche sur la spoliation des terres et référer les cas en cour. Un fond de Rs 50 millions a même été voté à cet effet. Mais pour les victimes, tout cela « est beau à voir sur papier, mais dans la réalité, c’est une tout autre histoire ».
D’abord, lors de la réunion de cette semaine, Danielle Tancrel et Clency Harmon ont appris que le gouvernement ne consacrera que Rs 300 000 pour chaque cas. « Pour nous, cela démontre que le ministre n’a pas une bonne connaissance du dossier, car Rs 300 000, c’est nettement insuffisant pour payer un avoué, un arpenteur, un avocat ainsi que les frais judiciaires. Sans compter que pour monter le dossier, il y a tout un travail de recherches à mener. A titre d’exemple, il faut transcrire les documents, et cela coûte Rs 100 par page », fait-il comprendre.
Dans sa lettre, Clency Harmon indique que proposition a été faite pour que les avoués et arpenteurs de la LRMU se chargent de monter les dossiers, étant donné qu’ils connaissent déjà les différents cas puisqu’ils ont travaillé dessus. « Encore une fois, vous avez répondu par la négative, sans prendre le temps d’analyser ma proposition », regrette-t-il.
Pourtant, lors de la séance parlementaire du 28 août 2020, intervenant sur le Courts Amendment Bill pour la création d’une Land Division de la Cour Suprême, Steven Obeegadoo avait énuméré les responsabilités de la LRMU : investigation en profondeur suivant les plaintes de dépossession de terres, assistance aux victimes dans leurs démarches, notamment pour récupérer des documents, dont des titres de propriété, en collaboration avec d’autres institutions; aide aux victimes pour constituer leurs arbres généalogiques, assistance financière et tentatives de médiations.
Par ailleurs, les victimes qui ont déjà logé une plainte en Cour ne seront pas considérées pour cette aide financière (voir plus loin Affaire Kisnorbo). Les victimes déplorent également la lenteur avec laquelle la LRMU traite les dossiers et que le ministre ne soit pas au courant de ce qui s’y passe. « Il y a un avoué attaché à cette unité qui est malade depuis plusieurs mois, et c’est nous qui l’avons appris au ministre. Lorsqu’il s’est renseigné à ce sujet, on lui a dit que les dossiers ont été transférés à l’autre avoué. Mais de combien de dossiers celui-ci pourra-t-il s’occuper à la fois ? » avance-t-on.
Ce qui fâche aussi, c’est la réticence du ministère des Terres à dévoiler les noms des familles dont les plaintes sont prêtes à être logées à la Land Division de la Cour suprême, comme il l’avait annoncé à l’Assemblée nationale en août 2021. Ce dernier répondait en effet alors à une question du député Reza Uteem et avait indiqué que la LRMU avait déjà travaillé sur 309 cas et que, parmi ces cas, « 20 cases are to be lodged in Court ».
Six mois après, où en est-on avec ces 20 cas ? Les plaintes ont-elles été logées en Cour ? Et ces familles concernées par ces 20 cas ? Autant de questions qui sont une nouvelle fois restées sans réponse. « Nous ne comprenons pas pourquoi on refuse de nous donner la liste de ces 20 cas. Faisons-nous partie de cette liste ? Pourtant, lors d’une rencontre avec le Premier ministre, Pravind Jugnauth, il avait bien fait ressortir que les cas de la Commission Vérité et Justice seraient considérés en priorité. De plus, il y a tout un travail qui a déjà été fait à ce niveau », s’indigne-t-on.
Lors de cette même réponse parlementaire, le ministre avait aussi annoncé que Rs 5,5 millions des Rs 50 millions injectées dans le fonds avaient déjà été utilisées. La demande des victimes pour plus de précisions sur ces dépenses a une nouvelle fois été ignorée. Clency Harmon affirme dans sa lettre au DPM : « Nous sommes encore une fois restés sur notre faim, Monsieur le ministre, concernant les Rs 5,5 millions qui ont été dépensées par la LRMU. Vous n’avez pas pipé mot à ce sujet lors de nos deux précédentes réunions. »
Tous ces événements poussent les victimes à dire qu’elles sont menées en bateau et qu’il n’y a pas de véritable volonté de les aider dans leur quête. Comparaison est aussi faite avec la Commission Mandary, qui avait, en 18 mois, déjà travaillé sur 42 cas, alors que la LRMU en est encore à 20. Un appel est une nouvelle fois lancé au Premier ministre, Pravind Jugnauth, afin que ce dernier s’intéresse de près à ce dossier. Devant tous ces obstacles rencontrés, les victimes se demandent s’il y a une politique de bouz fix ou carrément du sabotage au ministère des Terres.
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L’axe Obeegadoo-sucriers intrigue
Le Premier ministre suppléant se trouve-t-il en situation délicate dans cette affaire d’expropriation des terres ? C’est la question que se posent les victimes après avoir pris connaissance que Steven Obeegadoo avait le même avocat que les sucriers dans l’affaire de pétition électorale d’Adrien Duval. En effet, on retrouve le nom de Me Patrice de Spéville sur le panel d’avocats des « Respondents 1 & 3 », à savoir les « Honourables Louis Steven Obeegadoo et Soobersingh Dhunnoo ».
Or, c’est le même avocat qui défend les intérêts d’Alteo Agri Ltd dans l’affaire logée en Cour par la famille Kisnorbo, et qui a déjà eu un premier résultat favorable. Me de Spéville est également l’avocat de Médine dans le procès intenté par la famille Sookun concernant la restitution de 120 arpents de terres à Albion.
Les victimes se demandent ainsi s’il n’y a pas un conflit d’intérêts dans cette affaire et souhaitent que le Premier ministre confie ce dossier à quelqu’un d’autre. Cette affaire n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’épisode Ricardo Ramiah, arpenteur attitré des sucriers, qui avait été recruté à la Land Research Monitoring Unit. Il aura fallu que les victimes fassent pression en haut lieu pour que ce dernier quitte cette unité, placée sous la responsabilité du ministère des Terres.
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Clency Harmon démarre une nouvelle grève
Il avait mis son projet de grève de la faim en veilleuse, espérant en effet que les réunions prévues avec le DPM allait décanter la situation. Mais Clency Harmon a quitté le bureau de Steven Obeegadoo très déçu et tout remonté. Il annonce qu’il entamera une grève de la faim à partir de mercredi prochain sur le parvis de l’église Immaculée Conception.
« Enough is enough. Je constate qu’on est en train de nous mener en bateau. Je suis déterminé à démarrer une nouvelle grève de la faim et d’aller jusqu’au bout. J’ai décidé de ne même pas boire d’eau. Advienne que pourra. Il faut que quelqu’un prenne le risque pour faire avancer les choses. Autrement, on continuera à nous mener en bateau. » Rappelons que Clency Harmon avait déjà fait deux grèves de la faim, qui ont permis de déboucher sur la création de la Land Division de la Cour suprême.
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La famille Kisnorbo « lâchée »
Son cas pourrait faire jurisprudence et aider pour les autres affaires à venir. Dans ce contexte, les victimes s’attendaient que tout le soutien nécessaire soit accordé à la famille Kisnorbo dans sa plainte contre Alteo Agri Ltd. Toutefois, lors de la réunion de cette semaine, il a été révélé que les 42 familles qui ont déjà logé une plainte en Cour ne bénéficieront pas des Rs 300 000 proposées par le gouvernement.
La famille Kisnorbo se sent ainsi lâchée, alors que la juge Raatna Seetohul-Toolsee avait, dans son jugement interlocutoire en août 2021, accepté d’aller de l’avant avec cette affaire. La défense avait fait soulever un point de droit, limitant les procès en réclamation de ce genre à 30 ans à compter de la date d’expropriation. Or, la juge a rejeté cet argument, maintenant la plainte de la famille Kisnorbo, qui réclame Rs 167 Mds à Alteo Agri Ltd pour l’avoir dépossédée de 264 arpents de terres à Olivia/Trois Ilots. Les faits remonteraient à 1809.