Les soins palliatifs s’imposent de manière graduelle dans le paysage de la santé. Et surtout pour permettre à des patients, faisant face à la détresse des maladies incurables d’assurer ce passage incontournable. Pour mieux appréhender cette étape ou encore comprendre le concept de soins palliatifs, Le-Mauricien a rencontré le Père Alain Romaine à la clinique Ferrière de même qu’un couple de bénévoles, Pierre et Monique Ah-Fat pour entamer ce parcours initiatique.
Il y a des personnes volontaires qui font partie de l’unité de soins palliatifs de la clinique Ferrière. Pourquoi est-ce important ?
Ce sont des bénévoles et non des volontaires. Ils font effectivement partie de la prise en charge de l’accompagnement des patients en soins palliatifs qui sont la troisième médecine comme le dit le Dr Grange (ndlR : il accompagne la mise en place de l’unité des soins palliatifs à la clinique Ferrière) et qui fonctionne dans l’interdisciplinarité. Il y a des médecins, infirmiers, psychologues et représentants de la société civile qui apportent aussi un soutien spirituel.
Les bénévoles sont les représentants de la société civile auprès de ces personnes en fin de vie, en souffrance pour leur dire que la société ne les a pas oubliés. Cet accompagnement est global et répond à des besoins physiologique, moral, psychologique et spirituel.
Pouvez-vous nous éclairer sur la différence entre volontaire et bénévole ?
Dans le langage social, le volontaire a un point de vue pour une cause. Les bénévoles travaillent à titre volontaire pour faire du bien en apportant une présence mais ils ne sont pas rémunérés. Dans le cadre des soins palliatifs, ils apportent un soutien moral et spirituel qui dépasse la dimension des religions.
Comment intégrer les confessions religieuses dans cette cellule d’accompagnement ?
Si, par exemple, il y a un patient de confession musulmane, il peut demander à avoir un imam à son chevet, un hindou peut demander la visite d’un pandit. Cela existe déjà dans les hôpitaux publics et privés. Les bénévoles reçoivent une formation incluant un accompagnement spirituel interreglieux. Puisque la clinique Ferrière est tenue par des religieuses catholiques, nous commençons par un Core Group catholique.
Nous avons une quinzaine de volontaires dont deux ou trois d’autres confessions ou sensibilité spirituelle. L’unité fonctionne depuis 18 mois. S’il y a un pandit ou un imam par exemple qui souhaite se joindre à l’équipe, il peut venir mais il faut qu’il fasse la formation initiale pour être d’accord sur ce que sont les soins palliatifs.
En quoi est-ce qu’un accompagnement spirituel est important dans les soins palliatifs ?
Au moment de la mort, nous sommes tous confrontés à ces grandes questions spirituelles sur le sens de la vie qui va s’arrêter. Nous avons alors recours à des rites et des questions qui relèvent de la foi. Dans un tel moment, nous ne pouvons pas ignorer ou mettre de côté ce besoin-là, qu’il soit celui du patient ou de la famille. Les soins palliatifs comprennent également l’accompagnement des familles.
L’OMS, dans sa définition des soins palliatifs, inclut clairement l’accompagnement spirituel. C’est inscrit dans les textes : nous voyons la personne dans toute sa dimension.
Quel est le profil du bénévole en soins palliatifs ?
Normalement, c’est une personne disponible avec un parcours comprenant une formation spirituelle dans sa confession. Elle doit être ouverte à tous et être disposée à bien comprendre sa place et son rôle dans cette équipe pluridisciplinaire. Par exemple, le côté médical n’est pas son domaine, cela relève de celui du médecin. Elle suit ensuite un parcours de formation pour être initiée aux soins palliatifs. Il y a plusieurs types de formations qui se font avec les infirmiers, les médecins, moi-même…
Et vous-même, avez-vous une formation spécialisée à l’accompagnement spirituel en soins palliatifs ?
Oui, je fais partie des formateurs des bénévoles pour un accompagnement spirituel et moral. J’ai suivi les fondamentaux et je me suis spécialisé. J’ai passé un examen et soumis un travail d’analyse à partir d’une étude des cas. Les médecins, les infirmiers, bref tous ceux impliqués suivent des formations avec des nombres d’heures qui diffèrent.
Vous animez des réunions régulières avec les bénévoles. À quoi servent-elles ?
Ce sont des réunions mensuelles. Nous travaillons sur l’approfondissement des rôles et des missions. Nous faisons une relecture des situations et de l’accompagnement des uns et des autres. Nous nous formons dans ces relectures. S’il y a certains malades qui disent qu’ils n’ont pas besoin d’être accompagnés, il y a d’autres qui trouvent chez les bénévoles une oreille attentive : ils peuvent dire des choses qu’ils n’ont pas forcément envie de dire aux médecins ou à quelqu’un d’autre.
Les bénévoles sont là en soutien pour que la personne ne se sente pas seule : ils ne s’imposent jamais. Le médecin discute avec eux quand ils ont une décision à rendre. Il recueille leur point de vue comme ceux du patient et d’autres membres de l’équipe. Cependant, il est important de noter que ceci n’est pas obligatoire et que la décision du médecin est toujours médicale. Par exemple, le Dr Naga de la clinique Ferrière participe à nos réunions. Nous tenons une permanence (24/7) des bénévoles et ils travaillent toujours en binôme. Parfois, ils rencontrent le malade pendant quelques minutes, parfois c’est plus longtemps et parfois, rien ne se passe. Les bénévoles doivent être disponibles sur un système de Roster. Tout le travail d’accompagnement est consigné. Cela permet au prochain binôme qui rend visite au malade d’assurer le suivi dans les meilleures conditions possibles.
Les binômes ne voient pas les mêmes patients pour ne pas s’attacher. Pourquoi est-ce important ?
Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, ils sont dans un service, comme les infirmiers et les médecins : ils soignent les patients, ils ne s’y attachent pas. Il y a ce qu’on appelle l’alliance thérapeutique. Une fois que le patient part, il ne maintient pas de lien. Ensuite, c’est un lieu où les gens sont en grande souffrance, que ce soit sur les plans physiologique, psychologique ou spirituel. Il faut avoir le sens de l’altérité dans l’accompagnement. Quand un psy voit un patient, il doit faire les choses de sorte qu’il n’y ait pas de transfert : c’est le b.a.-ba du métier. Il ne faut pas rentrer dans le mode affectif.
Les soins palliatifs, c’est accompagner une personne en fin de vie dans sa souffrance et sa déchéance, nous ne pouvons pas apporter cela chez nous, à notre famille. Il y a une distance à préserver. Il faut pouvoir prendre du recul. Un accompagnement en fin de vie, c’est aussi affronter la mort, qui veut dire affronter notre propre mort.
Est-ce que les bénévoles sont suivis par un psy ?
Si jamais quelqu’un a vécu un événement traumatisant, toute l’équipe est là pour l’accompagner, y compris un psychologue. Il prend du recul pendant un moment, cela peut durer quelques mois, et il règle ses problèmes personnels.
Témoignage – Pierre et Monique Ah-Fat : « Cela nous enrichit »
Le couple Pierre et Monique Ah-Fat fait partie de l’équipe de bénévoles qui prodiguent des soins palliatifs aux malades en fin de vie à l’unité des soins palliatifs de la clinique Ferrière à Curepipe. Pour eux, « l’écoute active offerte aux patients les enrichit ». Les bénévoles engagés auprès de l’équipe des soins palliatifs de la clinique sont formés et suivis par le père Alain Romaine.
« Cela fait trois ans que nous suivons la formation. Nous avons des réunions régulières auprès du père Alain Romaine. Nous accompagnons les patients qui ont des maladies incurables lorsque tout a été fait pour eux en termes médicaux. Quand on dit qu’il n’y a rien à faire, il y a tout à faire dans le sens où on donne toute la plénitude de vie à la personne qui va partir pour qu’elle puisse vivre pleinement les jours qui lui restent. De notre côté, cela nous enrichit. Nous ressentons quelque chose de très profond qui n’est pas ni tangible ni monnayable », témoigne à Le-Mauricien Pierre Ah Fat qui fait ressrtir que « l’unité des soins palliatifs n’est pas un mouroir. »
L’accompagnement prodigué aux patients et à leurs familles relève d’une écoute active, d’une relation de confiance entre les parties concernées et de confort sans ou avec un minimum de douleurs, affirme, pour sa part, Monique Ah Fat, en ajoutant: « parfois, les patients ou leur famille viennent et nous partageons une tasse de thé ou un repas ensemble. Les malades peuvent aussi bénéficier d’un bain thérapeutique et nous leur offrons aussi un accompagnement spirituel. Parfois les malades veulent que nus prions avec eux, parfois, nous chantons. »
Elle met l’accent sur le fait que les bénévoles travaillent toujours en binôme mais jamais en couple. Ils effectuent environ trois visites par mois et ne voient pas les mêmes patients. Pierre Ah Fat infdique qu’il est important qu’il n’y ait pas d’attachement entre les bénévoles et les patients. « Aussi, nous ne faisons pas les visites ensemble. Nous n’apportons pas non plus cela à la maison. On n’en parle pas. Les échanges se font lors des rencontres avec le père Romaine et les autres bénévoles. C’est aussi une occasion pour nous de nous ressourcer. » Selon M. Ah Fat dans beaucoup de cas, les soins palliatifs sont complémentaires à la médecine curative.
Monique Ah Fat se souvient avec émotions : « un jour, une dame m’a dit qu’elle avait fini de faire tout ce qu’elle avait à faire, il lui restait juste à écrire à ses petits-enfants. Là, j’ai pris un stylo et du papier et j’ai écrit une lettre à ses petits-enfants qu’elle m’a dictée. Voici ce qu’elle voulait écrire : “Souviens-toi, quand grand-mère ne sera plus là, tu penseras à mes macaronis au beurre et mes crêpes à la confiture.” La dame est décédée quelques jours plus tard et les enfants avaient entre les mains un souvenir de leur grand-mère. »
Selon l’Organisation mondiale de la Santé, les soins palliatifs « permettent d’améliorer la qualité de vie des patients (adultes et enfants) » en fin de vie, et celle de leur famille. Ils consistent « à prévenir et à soulager la souffrance en identifiant précocement et en évaluant et traitant correctement la douleur et d’autres problèmes, qu’ils soient physiques, psychosociaux ou spirituels ». Ils s’attachent également « à respecter les choix des patients et aident leur famille à gérer des problèmes pratiques, y compris à faire face à la perte et au chagrin, tout au long de la maladie et en cas de deuil ».