Société : Les jeunes galèrent de plus en plus à se faire des amis

Alors que la génération Z est souvent décrite comme étant la plus seule, les témoignages de jeunes sans amis se multiplient sur les réseaux sociaux. Un isolement qui n’est pas sans conséquence sur leur bien-être mental et physique. Week-End vous partage, cette semaine, un article publié sur slate.fr sur nos jeunes.

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« Je trouve qu’il y a des gens qui ne se rendent pas compte de la chance qu’ils ont d’avoir plein d’amis. Parce que clairement, aujourd’hui, ce n’est pas mon cas », regrette d’emblée Sniéjana, 27 ans, dans une vidéo vue près de 554 000 fois et publiée en décembre 2023 sur son compte TikTok (@lejournaldemaguérison). « Je pense que c’est le cas de plein de gens de pas avoir d’amis ou d’avoir une vie sociale bien pourrie », avance-t-elle.

Une hypothèse qui semble se confirmer en voyant les quelque 1 650 commentaires sous sa vidéo. « Merci d’en parler. Personnellement, je le vis vraiment comme une honte et entendre des témoignages d’autres personnes, ça aide beaucoup », commente un ou une autre internaute (@nemocrevette). Des commentaires que l’on peut aussi retrouver sous une vidéo de l’influenceuse Marie Lopez (EnjoyPhoenix), suivie sur YouTube par plus de 3,6 millions de personnes. Dans cette vidéo, EnjoyPhoenix se confie sur ses amitiés et les difficultés qu’elle rencontre pour les garder, ce qui a fait réagir ses abonnés. « J’ai 25 ans, je rentre dans la vie adulte et je ne me suis jamais sentie aussi seule. J’ai l’impression que l’amitié est un rêve inatteignable », témoigne ainsi une internaute (@ruthy4550).

#nofriends

Il n’y a pas qu’en France que les témoignages sur le manque d’amitiés solides chez les moins de 30 ans (millennials et gen Z) affluent sur les réseaux sociaux. Du côté du TikTok anglophone, les hashtags #loneliness (« solitude ») ou #nofriends (« pas d’amis ») cumulent respectivement plus de 415 000 et 245 000 publications. Parmi elles, celle d’une jeune femme prénommée Jess (@jesswalters24): « Je sais que les gens disent que se faire des amis durant sa vingtaine, c’est dur. Mais je n’avais jamais réalisé à quel point. »

« Le sentiment d’isolement social est une donnée évaluée, pas seulement au niveau de la France, mais aussi au niveau international », confirme la psychologue Aude Caria, également directrice de Psycom, un organisme national public d’information sur la santé mentale. Cette donnée est d’autant plus alarmante que cet isolement, souvent associé aux personnes âgées, touche principalement les jeunes.

« Ça brise un certain cliché », reconnaît la spécialiste. En France, 62% des jeunes de 18-24 ans se sentent régulièrement seuls (contre 37% des 65 ans et plus) et 63% d’entre eux déclarent souffrir de cette solitude, a révélé une étude de l’Ifop publiée en janvier 2024. Les associations, lignes d’écoute et organismes spécialisés, et surtout leurs bénévoles, sont en première ligne pour le constater. C’est le cas de Catherine Krebs, écoutante depuis dix ans chez SOS Amitié. On aurait pu croire qu’après le Covid le nombre d’appels allait redescendre, mais non. Ça ne se tarit pas », s’alarme-t-elle.

Les conséquences néfastes de l’isolement social

Avant la crise sanitaire, SOS Amitié recevait en moyenne 2,7 millions d’appels par an. En 2023, ce chiffre est passé à 3,5 millions, ce qui équivaut à un appel toutes les neuf secondes. « Il y a une montée en puissance des appels de ces jeunes, en plein mal-être depuis le Covid-19, précise Catherine Krebs. Désormais, 25% des contacts (appels téléphoniques, tchats ou mails) sont passés par les 18-30 ans. Avant le Covid, ils ne représentaient que 6% des prises de contact. »

Chez SOS Amitié, le relationnel est l’une des trois raisons principales des appels. Preuve que cet isolement social subi par les jeunes n’est pas sans conséquence sur leur santé mentale, à une période importante de leur vie sociale. « C’est entre 15 et 25 ans que l’on crée un réseau relationnel et social différent de l’environnement familial », indique Aude Caria. Mais l’isolement social a également d’autres effets néfastes. « Il est un facteur majeur de mauvaise santé physique et mentale et ce, quel que soit l’âge, alerte la psychologue de formation. Même l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis la question des liens sociaux de qualité à l’agenda et a considéré que c’était un problème de santé global. »

Dans une étude parue en 2023, le ministère de la Santé et des Services sociaux des États-Unis a d’ailleurs révélé que l’isolement social était aussi mauvais pour la santé que le tabac, avec un risque de mortalité équivalent à celui causé par le fait de fumer quinze cigarettes par jour. Pour les professionnels, les raisons de cet isolement sont multiples. Un « certain usage des réseaux sociaux où l’on regarde des vidéos de personnes inconnues » ou la précarité qui empêche d’« assurer financièrement les moments où l’on peut créer du lien social » en font partie.

Tabou et impasses

à surmonter

L’un des plus gros problèmes reste que cette solitude et cette souffrance ne sont pas toujours faciles à (s’)avouer. « Dans l’imaginaire collectif, si on est jeune, c’est super. On a la vie devant soi, on a plein d’amis, on sort tous les soirs… Dire “non, ma vie ce n’est pas ça” renforce le point de vue négatif sur la situation et le sentiment de honte ou de culpabilité », développe la psychologue Aude Caria.

Le regard des autres et de la société sur sa vie joue énormément dans la perception qu’ont les jeunes de leur propre existence. « J’ai le sentiment qu’il y a cette question d’être intégré dans un monde où c’est plus dur et plus exigeant, confie Catherine Krebs. Où l’on doit tout réussir dans sa vie, aussi bien professionnelle que relationnelle. Je suis surprise de voir ce côté réussite/échec ressortir aussi souvent dans les appels. Les jeunes se sentent dans des impasses. » C’est à ce moment-là qu’en parler à des personnes inconnues, comme les bénévoles, peut aider. « Quand on est seul, on peut développer une sorte de complexe qu’on a beaucoup de mal à dire autour de soi, à sa famille ou à ses proches, explique l’écoutante. Une fois qu’on a intégré qu’on est plus seul que les autres, qu’on est isolé, ça devient une honte, donc on n’en parle pas. Mais la honte n’a pas lieu d’être dans l’anonymat. »

Pour lutter contre l’isolement et rencontrer de nouvelles personnes, il existe plusieurs solutions. S’engager dans des associations pour renforcer son sentiment d’utilité sociale, se diriger vers des lieux d’écoute (comme les Maisons des adolescents), pratiquer des activités (dont certaines sont gratuites et proposées par des municipalités ou des associations), etc.

Mais certains décident aussi de se tourner vers des applications de rencontre dédiées aux amitiés comme Bumble BFF ou Frimake, par exemple. Dans une étude réalisée par Bumble en février 2023, 62% des sondés ont même déclaré que se faire des amis en ligne permettait de se sentir moins seul. Cette manière de lier des amitiés grâce à des applications est une piste qui revient souvent dans les vidéos sur TikTok et permet de rapprocher deux ou plusieurs personnes qui veulent la même chose: sortir de cette solitude subie et pouvoir compter sur de vrais amis.

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