Écoliers prépubères : pas une mince affaire pour les enseignants

D’un côté la puberté commence de plus en plus tôt. Fini l’époque des premières règles pour les filles après l’âge de 12 ans. De l’autre côté, le Covid-19 a bouleversé leur scolarité pendant deux ans, avec pour conséquence qu’ils passent le cap de l’enfance à l’adolescence à l’école primaire, et non au secondaire. Aux enseignants de s’adapter et de gérer cette phase transitoire et ses métamorphoses physiques chez leurs jeunes élèves. Une situation qui n’est pas toujours facile pour les enseignants.

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« Miss, Miss… Ou pa kone ou, Y kontan sa garson ki dan Grade 6 Blue-la. Kan Y al twalet tifi dan break, zot zwenn derier twalet », murmure une élève de Grade 6 sur le ton de la confidence à son enseignante. Snelata, la “Miss”, a les oreilles grandes ouvertes. Quand elle avait retrouvé ses élèves de Grade 6 en février dernier, après plusieurs mois loin de l’école à cause de la situation sanitaire, elle avait alors réalisé qu’ils avaient bien grandi. Elle avait en face d’elle des préadolescents. Ce changement n’impliquait pas uniquement la métamorphose physique des filles et garçons de sa classe, mais également des comportements significatifs qui annoncent la puberté.

« Miss, mo pa  per ou mwa »

Snelata, qui est aussi mère d’une fille de 11 ans, était consciente que ses 30 élèves en phase de transition n’allaient pas lui faire de cadeaux. Alors, quand on lui a rapporté les petits rendez-vous cachés entre une de ses élèves et un garçon d’une autre classe, elle n’a pas surréagi. Elle a décidé de régler la chose à sa manière. « Depuis, pendant le break, j’accompagne les filles aux toilettes. Je préfère que ce soit ainsi pour éviter des incidents », dit-elle. Et de soupirer : « C’est compliqué de faire la classe à des enfants qui arrivent à la puberté. »  L’époque où l’adolescence commençait à 12-13 ans est finie ! La puberté commence de plus en plus tôt et de nombreux enfants vivent la phase de transition dès l’âge de 8 ans.

Quant à l’âge des règles chez les filles, il ne cesse de baisser. De nos jours, l’apparition des premières règles avant 10 ans n’a rien d’exceptionnel. D’ailleurs, les écoles primaires mettent des serviettes hygiéniques à la disposition des filles qui n’en disposent pas au moment de leurs menstruations. En classe, on parle ou pas des règles. Quand une fille a des maux de tête et des douleurs à cause de ses règles, l’école appelle ses proches et elle rentre chez elle. Les absences liées aux règles douloureuses ou abondantes ne sont pas rares non plus.

Entre l’enseignement des matières et la préparation pour les épreuves du Primary School Achievement Certificate, Snelata raconte qu’elle doit intervenir pour calmer les comportements qui découlent des modifications qu’entraîne la prépuberté. « Zot vif. Zot langaz sanze. Ou pou kriy ar zot, zot reponn. Zot pou dir mwa : Miss, mo pa per ou mwa ! »,confie Snelata. « Mais quand ils dépassent les bornes, je les envoie directement au bureau du maître d’école. Quand les parents sont convoqués, ceux-ci font preuve de compréhension vis-à-vis de nous. Ils savent que leurs enfants ont grandi et que les ennuis commencent à cet âge », explique l’enseignante. « Les garçons sont un peu plus indisciplinés comparé aux filles », dit-elle.

« Une affaire  de filles »

Si d’autres enseignants sont du même avis, ils disent toutefois reconnaître que ce comportement s’explique aussi par la lassitude installée après presque deux années passées dans la même classe. Enseignante de Grade 6 dans une école en Zone d’Éducation Prioritaire, Shirin confie que la prépuberté et l’historique social difficile d’un élève peuvent être une association explosive. C’est le cas dans des classes de son établissement, assure-t-elle. « Quand ils ne veulent pas travailler, ils manifestent leur désintérêt. Une collègue m’a raconté qu’un de ses élèves l’a frappée à coup de bouteille d’eau dans le dos. Certains enfants vont même jusqu’à me dire qu’ils ne souhaitaient pas venir à l’école, mais qu’ils auraient été forcés par leurs parents », dit Shirin.

Confrontée aux émotions qui surgissent pendant ces petits remaniements biologiques et psychiques de ses jeunes élèves, Snelata confie que les premiers émois amoureux et platoniques de ceux-ci donnent lieu à des situations cocasses. Elle a en tête cette fille « très mignonne et populaire à l’école ». « Elle est amoureuse d’un élève de ma classe. Elle lui a écrit une lettre d’amour, mais il ne lui a pas répondu. Un autre élève serait amoureux d’elle, mais ce ne serait pas réciproque », raconte Snelata. « Ce sont les filles elles-mêmes, de vraies petites pipelettes, qui viennent me raconter ce qu’elles savent à propos de leurs camarades. Et c’est comme ça que je suis au courant de certaines histoires », explique l’enseignante. Cette dernière affirme que les filles seraient les plus expressives quand il s’agit de sentiments et de faire des confidences. Ce qui permet aussi à Snelata d’intervenir quand elle sent la nécessité. Notamment lorsque la fille “populaire” de son école avait commencé à appeler son amoureux insensible le soir sur une application. Les parents ont été convoqués à l’école.

“Il y a deux ans, je ne comprenais pas pourquoi les filles de la classe me demandaient souvent la permission de se rendre aux toilettes », raconte Loïc, jeune enseignant de Grade 6 dans une école de la Roman Catholic Education Authority. À cette époque, Loïc enseignait aux élèves en Grade 5, lesquels il a d’ailleurs retrouvés l’an dernier et cette année en Grade 6. « Cela m’intriguait », poursuit-il. « À la fin, en voyant mon étonnement, un de mes élèves m’a lancé : Monsieur c’est une affaire de filles. C’est à ce moment que j’ai compris que les filles avaient besoin de quitter la classe parce qu’elles avaient leurs règles. » Cette anecdote, explique l’enseignant, a été le déclic qui lui a fait prendre conscience que les “petits”, principalement les filles, qu’il avait connus en Grade 4 avaient bien grandi et que la puberté était déjà en route. Depuis, ce sont quasiment des adolescents qu’il a en face de lui et qu’il prépare au prochain Primary School Achievement Certificate.

Mixité et prépuberté  forgent le respect

Mais retour en arrière. Lorsque “Monsieur” Loïc découvre les vraies raisons des “permissions” des filles, il en profite pour aborder le sujet des règles et de la sexualité en classe. « Au commencement, les garçons rigolaient. J’ai été assez ferme et je leur ai expliqué que le sujet était important, puis ce que je savais à propos des règles. Je leur ai parlé de spermatozoïdes et petit à petit on a abordé la sexualité. Aujourd’hui, quand mes élèves ont des questions sur ce sujet, ils se sentent en confiance et m’en parlent ouvertement. Parfois, ils me demandent : Monsieur, c’était comment les filles et les garçons avant, quand vous étiez jeune ? Je leur réponds que le plus important c’est ce qu’ils doivent savoir maintenant », raconte Loïc.

Ce dernier a également encouragé ses jeunes élèves à développer un réflexe, celui de s’essuyer sous les aisselles après la récréation. À la puberté, la transpiration augmente et incommode. Sur le plan académique, le bouleversement hormonal chez ses jeunes élèves ne compromet pas pour autant leur apprentissage et leur capacité de concentration, avance Loïc. S’il arrive à appliquer son autorité en classe, de leur côté, Snelata et Shirin admettent passer sur des comportements d’ados rebelles chez certains et qui relèvent de l’indiscipline « pour éviter des problèmes avec les parents. »

Si Snelata et Shirin laissent le soin aux Holistic Teachers de parler de développement corporel à leurs élèves, elles soulèvent toutefois des questions sensibles avec ceux-ci, quand le contexte l’exige. « Dépendant du sujet, ils m’écoutent ou m’interrompent quand je sens qu’ils sont intimidés pour me dire : Eh, Miss ! Quand je leur explique ce qu’est un attouchement et qu’il leur faut distinguer entre le bon et le mauvais toucher, je voyais que certains étaient gênés », concède Shririn.

Pornographie  sur le portable

En choisissant d’informer et sensibiliser leurs élèves, les enseignants ont établi un lien de confiance avec ceux-ci. À leur tour, ils recueillent des informations auprès des enfants, souvent à l’heure de la récréation. Ce qui les pousse à être vigilants. La mixité en classe au moment de la prépuberté, observe Loïc, est une situation qui s’avère intéressante, car la cohabitation entre filles et garçons dans la classe et le respect des uns et des autres se font de manière naturelle.

Père d’une fille de neuf ans, Loïc confie qu’il s’appuie sur son expérience de la paternité pour discuter de la sexualité en classe quand le besoin se fait sentir. Et gérer ces préadolescents aux hormones en ébullition, comme la fois — tout récemment — où une vidéo à caractère pornographique avait été partagée par un élève. Des incidents du genre — parce que des enfants ont accès à des contenus pour adultes — dans des écoles primaires n’étonnent personne. Pour cause, même si le portable est strictement interdit, il est cependant toléré pour des raisons pratiques. « C’est le seul moyen pour les enfants et leurs parents de communiquer à la sortie de l’école et des leçons particulières », concèdent des enseignants. « Me kan mem zot get kiksoz ki pa bizin gete », ajoute Shirin.

À l’école de Loïc, l’incident de la vidéo pornographique a été traité avec sérieux, certes, mais dans la quiétude. Des parents ont été convoqués. « J’étais même étonné d’entendre une mère dire à son enfant qu’elle allait visionner une vidéo en sa présence pour lui expliquer pourquoi ce genre de film ne véhicule pas les bons messages sur l’amour », confie Loïc.

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