SIDA – Nicolas Ritter : « Pas de place pour le Bat Bate, l’épidémie se généralise par voie sexuelle »

  • « En Afrique et en Europe, l’épidémie en régression; en revanche, à Maurice, elle explose, avec 400 nouvelles infections et une centaine de décès par an »

Nicolas Ritter est le premier Mauricien à avoir admis publiquement vivre avec le virus du sida. Il y a 30 ans, il apprenait qu’il était atteint de cette maladie. Lors de la journée portes ouvertes de PILS, à Port-Louis, mercredi, l’infatigable militant en faveur du respect des droits des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) et contre la discrimination à leur égard, n’a pas manqué de relever une multitude de failles et dysfonctionnements, qui font que l’épidémie, à Maurice, ne diminue pas. « Comme c’est aussi le cas en Afrique et en Europe. Au contraire, elle explose au sein de l’ensemble de la communauté », constate-t-il.

- Publicité -

Le fondateur de PILS souligne : « Maurice étant un High Income Country, d’ici à fin 2026, le Fonds mondial ne sera plus disponible. Les bailleurs de fonds s’en vont. Il faudra que PILS aille frapper aux portes d’entreprises et trouve de nouveaux moyens de financement pour maintenir ses efforts, autant que ses équipes. » Mais entre-temps, la situation se corse. « Quand nous travaillons avec des groupes vulnérables, dont des personnes à risque comme les PVVIH, les victimes du commerce sexuel, et les injecteurs de drogues, nous ne pouvons faire de la demi-mesure. Nous ne donnons pas une demi-seringue à un toxicomane. Nous n’accordons pas la moitié de ses droits à un membre de la communauté des LGBTQIA+. Il n’y a pas de place pour le bat bate. Il faut une approche directe, franche et complète. Autrement, on rate le coche, et c’est dans ces circonstances que les problèmes traversent les mailles du filet », affirme-t-il.

Nicolas Ritter tire la sonnette d’alarme: « nous sommes passés d’une épidémie concentrée à une épidémie qui se généralise rapidement. Nous avons aujourd’hui à Maurice 1,5% de la population porteuse du virus. Cela veut dire que quand vous entrez dans un bus de 60 places, il y a une personne qui est atteinte de la maladie. Voilà ce que nous redoutions toujours, et qui est malheureusement arrivé ! » Il ne manque pas de déplorer que Maurice enregistre entre 300 à 400 nouvelles infections, chaque année, de même qu’une centaine de décès parmi les patients. « Cela implique autant de familles impactées, affectées et qui requièrent accompagnement et soutien », dit-il.

En plus de cela, poursuit Nicolas Ritter, « les chiffres, compilés par les services de la Santé régulièrement démontrent que l’épidémie n’est plus concentrée auprès de la communauté des injecteurs de drogues, et qu’elle se propage par voie sexuelle dans l’ensemble de la communauté ».

Il ajoute : « ces mêmes chiffres attestent du fait que les jeunes et les femmes sont parmi les plus à risques. Une telle situation est tout sauf rassurante ! Je suis triste… Triste que PILS n’ait pas accès aux écoles et collèges de manière générale pour que nous puissions y faire de la prévention auprès des jeunes, leur donner les vraies et bonnes informations sur la santé sexuelle, afin qu’ils fassent des choix réfléchis et en connaissance de cause. Triste que, de la réputation de bon élève de cette région du monde, en matière de mesures de réductions de risques, de contrôle de l’épidémie, et que nous sommes devenus, hélas, nous sommes devenus le mauvais élève ! Le VIH est un vecteur de dysfonctionnements au sein d’une société. »

Résolument optimiste, Nicolas Ritter ne baisse pas les bras : « Une forte mobilisation, totale et entière, de tous, État, secteur privé et société civile, est indispensable pour un sursaut spectaculaire et sauver notre pays. »

« N’ayez pas peur ! »
C’est un Nicolas Ritter toujours aussi ému et bouleversant qui a refait le cheminement de sa maladie. Down Memory Lane, le premier Mauricien à avoir bravé les interdits et déclaré publiquement vivre avec le sida dans les années 90, revient sur sa peur : « Évidemment que j’avais peur de dire à mes parents que j’étais positif au sida ! Heureusement, mes parents étant très aimants, et avec le soutien de mes amis, qui ont été aux petits soins, j’ai appris à vaincre cette frousse. »

De fait, lance l’ardent défenseur des droits des PVVIH : « je demande à tous ceux qui se font tester et qui expérimentent ces sentiments : n’ayez pas peur de parler avec vos parents ! Oui, je sais, nous partons tous avec l’idée que nos parents seront extrêmement déçus, voire en colère. Mais nos parents nous aiment, surtout. Alors n’ayons pas peur ! Parlons avec nos parents et nos proches ! Ils peuvent nous réserver de très grandes surprises. »

Nicolas Ritter ne pouvait pas ne pas évoquer « la noirceur » qui a de tout temps été associée au sida. « Quand je suis parti faire mon test, il y a 30 ans, le service de dépistage se trouvait à côté… de la morgue, à l’hôpital de Candos. » Le processus pour savoir si l’on est séropositif ou négatif « durait 15 jours, durant lesquels toutes les idées noires et pensées affluent ». Pour démontrer à quel point la maladie suscitait la peur, par ignorance, surtout, Nicolas Ritter affirme que le premier centre de dépistage était situé à côté du cimetière de l’Ouest. « C’est effectivement un épisode pas très joli joli pour les PVVIH. »
Le Dr Nan Pyndiah, virologue, avait reçu Nicolas Ritter quand celui-ci avait eu la confirmation qu’il était porteur du virus. « Le Dr Pyndiah m’avait conseillé, comme j’ai la double nationalité, mauricienne et française, d’aller me faire soigner à La-Réunion ou en France. Il m’avait clairement dit qu’à Maurice, il n’y avait ni soins, ni traitements, ni association. »

Nicolas Ritter se retrouve ainsi au service immunologie de Belle-Pierre, à l’île sœur. « Je rencontrais d’autres patients. Nous étions installés dans un salon où nous recevions des soins et prenions un café, des croissants en partageant nos idées », se souvient-il. C’est aussi de cette manière qu’il découvre une association créée par les PVVIH, qui étaient les premiers activistes. « Le soutien et la prise en charge par les pairs, c’était un élément très important déjà. »

Mais le désir de rentrer dans son pays, d’y aider les PVVIH, est très fort chez lui. Ce qui le ramène rapidement au bercail où, avec l’aide de ses parents et d’autres proches, PILS voit le jour. « Maurice est mon pays. Mes parents et ceux que j’aime et qui m’aiment s’y trouvent. Je ne pouvais faire d’autre choix. »

La grande aventure de PILS démarre alors. Nicolas Ritter n’oublie pas de remercier « Geeta Currimjee et son organisation, United Way, qui ont été les premiers à nous aider financièrement, et grâce à qui nous avons pu payer notre premier salarié ». Il ne peut s’empêcher de redouter le départ du Fonds mondial fin 2026. « Il faudra continuer à naviguer, et PILS compte sur les soutiens du privé comme de l’État pour poursuivre ses efforts auprès des PVVIH. »

Portes ouvertes sur la lutte menée par PILS
Plus d’une centaine de t-shirts, suspendus sur des cordes, arborant des logos et des mottos. Mais tous, à l’unanimité, portant le sigle du sida. Ces t-shirts appartiennent tous, sans exception, à une seule et même personne.
Nicolas Ritter. « Ce sont des t-shirts que j’ai collectionnés au fil des années de mon engagement et activisme sur différents plans et dans plusieurs pays du monde. Chacun de ces t-shirts a une histoire à raconter… »

Autour des vêtements suspendus, des tentes abritaient des animateurs, munis tantôt de livrets de documentation, de préservatifs et d’autres outils d’information et de prévention. Des vidéos et des affiches, ayant marqué les multiples campagnes de l’ONG, étaient aussi présentées.

PILS organisait ce 4 septembre une journée portes ouvertes dans les locaux de Nou Vi La, à Port-Louis. Il s’agit de la structure opérée par PILS où sont accueillies les PVVIH. Plusieurs prestations sont offertes ici à ces patients, dont des traitements médicaux, avec le soutien du ministère de la Santé, nommément au sein du Centre Banian.

Nicolas Ritter a salué la collaboration entre PILS et le ministère de la Santé. « Le pays a grand besoin de structures comme le Centre Banian. Nous savons tous que la problématique de la drogue est l’une des urgences de notre population, avec le pouvoir d’achat et l’insécurité montante », dit-il.

Avant lui, la directrice de PILS, Annette Ebsen-Treebhoobun, devait faire un rapide historique du parcours de l’ONG. Dans la même veine, Jean-Daniel Wong, vice-président du conseil d’administration de l’ONG, a évoqué « les innombrables défis et victoires que PILS a relevés et gagnés ». Et ce, « bien que le chemin soit encore très long ». Rejoignant Nicolas Ritter, il devait souligner « d’innombrables manquements » qui doivent être pris en considération. « Nous avons encore plein de défis à relever. Dans deux ans, PILS soufflera ses 30 ans. Ce sont autant d’années de combats, de défis relevés et d’aventures humaines inoubliables. »

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -