Sécheresse de grande envergure : À quand la délivrance ?!

Ne nous voilons pas la face. Les « grosses » averses qui arrosé ces derniers jours n’ont rien changé à l’état critique des réservoirs qui affichent un taux de 37,7%. Des pans entiers des réserves sont asséchés, et face à la crise, le Conseil des ministres a procédé, vendredi, à la modification du règlement de la Central Water Authority (Dry Season) 2025, qui entrera en vigueur à partir du lundi 17 février. Ce règlement interdit l’usage de l’eau provenant du réseau de la Central Water Authority (CWA) ou de tout autre cours d’eau pour des activités jugées non essentielles, comme le lavage de véhicules, le nettoyage des trottoirs et des bâtiments, l’arrosage des jardins et des pelouses, et le remplissage des piscines.

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C’est un exercice d’équilibriste auquel le ministre des Utilités publiques et de l’Énergie, Patrick Assirvaden, doit se livrer pour son début de mandat, avec d’un côté la colère de ceux vivant au rythme des coupures d’électricité et des délestages, et de l’autre, la crise de l’eau qui risque de tourner au vinaigre si le pays n’est pas arrosé à profusion durant les prochains jours. « Il a plu vendredi, mais la pluviosité reste insuffisante. La WRC et mon ministère ont décidé d’examiner 174 nappes phréatiques. Nos réservoirs et nos rivières s’assèchent. L’eau souterraine, autrement dit celle des nappes phréatiques, est notre dernier recours », a fait ressortir le ministre Patrick Assirvaden, vendredi, au lancement de l’exploitation d’une nappe phréatique à Fond-du-Sac.

De faibles relevés pluviométriques

Il a effectivement plu des cordes sur certaines parties de l’île vendredi, sauf que cette lueur d’espoir est à prendre avec des pincettes, car les relevés pluviométriques indiquent de faibles averses dans les régions où se situent les réservoirs, comme à Mare-aux-Vacoas (1,4mm), Midlands (0,2 mm) et Mare-Longue avec (on0, 1 mm), après 0,8 mm de pluie la veille. Le taux de remplissage global des réservoirs est de 37,7%, un chiffre préoccupant lorsqu’on le compare aux 93,9% enregistrés à la même période en 2024. Mare-aux-Vacoas, qui affichait un taux de remplissage de 100% le 14 février 2024, pointe à 40,8% de sa capacité. La Nicolière est actuellement rempli à 39,2%, contre 100% à la même période l’année dernière. Le taux de remplissage de Piton-du-Milieu a chuté drastiquement, passant de 98,7% en 2024 à 37,8% cette année. La Ferme a le niveau le plus (26%), bien en dessous des 54,3% observés en 2024. Le réservoir de Mare-Longue est relativement mieux loti (53,2%), bien loin toutefois des 98,1% de l’année dernière. Les barrages de Midlands et Bagatelle sont remplis respectivement à 35,9% et 37,5%, alors qu’ils étaient à ras le bord en février 2024.

De lourdes sanctions

Il incombera à la police de faire respecter les mesures anti-gaspillage d’eau en qui seront en vigueur ce lundi. Des directives ont été données par le bureau du commissaire de police à ses officiers pour faire respecter à la lettre ces règlements. Les patrons des entreprises d’État devraient songer à donner le bon exemple. Comment ne pas s’indigner devant la vidéo qui circule sur la toile, depuis vendredi, montrant le lavage à haute pression d’un bâtiment de la Wastewater Management Authority (WMA). Mis au parfum du contenu de la vidéo, Patrick Assirvaden aurait passé un savon au directeur de ladite instance.

Outre l’interdiction liée au lavage de véhicules, au nettoyage de pavements et bâtiments, et l’arrosage de jardins ou de pelouses, ainsi que le remplissage de piscines, le Water Resources Monitoring Committee déterminera et révisera la fréquence d’irrigation des légumes et des cultures en fonction de la disponibilité de l’eau. L’irrigation de la canne à sucre reste quant à elle suspendue. Les contrevenants à ces nouvelles réglementations s’exposent à de lourdes sanctions. Les consommateurs domestiques risquent une amende pouvant aller jusqu’à Rs 50 000 et une peine de prison de deux ans. Dans les autres cas, l’amende peut atteindre Rs 200 000 avec la même peine de prison.

L’approvisionnement en eau

Quelques heures… ou pas du tout

Contrairement à ce que chante Nitish Joganah, « dilo pou arete 9-er », le précieux liquide ne coule plus du tout dans certains quartiers de l’île, voire à compte-gouttes, comme à Triolet, Bambous-Virieux, Bambous, Baie-du-Tombeau et d’autres villages sis dans le Nord.    

Dans la cour des habitants de Bambous-Virieux, la végétation est verdoyante, alors que les fleurs semblent s’épanouir sous l’éclat constant du soleil qui a succédé à de longues heures de pluies diluviennes. « Mo kone sitwasyon pou rest parey. Cette pluie passagère ne remplira pas les réserves d’eau pour mettre un terme à la sécheresse, mais c’est un début. Il faut prier », confie Marjorie, qui était descendue dans la rue en décembre 2021 pour manifester contre les pénuries d’eau qui faisaient rage dans le village. Après avoir retrouvé un semblant de vie normale depuis deux ans, elle doit de nouveau se contenter de deux heures d’approvisionnement en eau depuis quelques semaines. « La seule différence par rapport à 2021 et avant, c’est que l’eau coule à une heure fixe. On fait avec », dit-elle.  

Autre son de cloche du côté de Triolet, où Iqbal nous montre d’un geste dépité les récipients vides entassés sous son lavabo qui lui servent pour sa toilette matinale avant de partir au travail. « C’est bien parti. Durant une semaine, l’eau a coulé tôt le matin durant trois heures. Zordi pena. On comprend que la situation est critique, mais l’heure c’est l’heure. Il faut un minimum de respect », dit-il. Ce détail, auquel s’ajoute la chaleur accablante, pèse lourd dans la montée des tensions au sein de sa famille. « La communauté musulmane commémore la Shab-E-Barat ce samedi. J’espère que la situation sera autre. On a besoin de plus de camions-citernes », conclut Iqbal.

La vente illégale de l’eau

Au-delà d’une prestation de service laissant parfois à désirer du côté desdits camions, les mauvaises langues prétendent que leur calvaire aurait ouvert la brèche au commerce et à la vente de l’eau à partir des citernes, dans certains villages. Ce constat révèle, une nouvelle fois, les inégalités d’accès aux services publics dont sont victimes ces zones comparativement à d’autres endroits huppés. « Ena bann gran misie dan Goodlands ek Bois Rouge kot ou ena limpresion kamion pe kanpe la-ba ! », confie un riverain. Les habitants ne savent plus à quel saint se vouer pour trouver une solution à la pénurie d’eau à laquelle ils sont confrontés depuis des lustres.

Les pénuries d’eau ont pris des proportions alarmantes à Baie-du-Tombeau. L’eau ne coule pas depuis trois semaines et demie. Après plusieurs appels à la CWA, une citerne a été fournie, mais l’eau était sale, bloquant la pompe. Au courant de la situation, le ministre des Utilités publiques et de l’Énergie, Patrick Assirvaden, a promis que la situation retournerait très vite à la normale. L’approvisionnement en eau se raréfie de manière alarmante dans l’ouest, à l’instar de Bambous, où les habitants sont approvisionnés uniquement entre deux à trois heures par jour…ou pas du tout. « Là où le bât blesse est que les camions-citernes n’arpentent pas certaines rues. Nou pa kone kan zot pase. Bizin ena kominikasion », confie un habitant.

Au-delà de la crise profonde, c’est toute une série de réflexions qu’il faudra mener à plus long terme pour améliorer la fourniture d’eau qui vire au cauchemar pour des centaines de milliers d’abonnés à travers le pays, où les signes qu’un mélange de colère, encore contenue, commence à se cristalliser. Ce problème, qui dure depuis 10 ans, ne se réglera pas d’un coup de baguette magique, mais les actes doivent suivre les paroles.

 

1999, lorsqu’on a frôlé le pire

Le record de 27% de taux de remplissage sera-t-il battu ?

10 janvier 1999. Week-End barre sa une avec le titre « Eau : Perdue de vue », qui s’accompagne d’une photo glaçante du réservoir La Ferme rempli à seulement… 2,34%. La Nicolière, source d’alimentation du Nord de l’île, enregistrait un taux de 16% le 24 janvier 1999. Au global, les cinq réservoirs disponibles à l’époque présentaient un pourcentage catastrophique de 29% ! Les choses ont empiré 10 jours plus tard (27%). C’est finalement le passage de la dépression tropicale Chikita, nous apportant son abondance de pluie, à partir du 3 février 1999, qui mettra fin à cette crise hydrique sans précédent.

Maurice a connu plusieurs épisodes de sécheresse extrême gravés dans le marbre. Les saisons 1960-61 1998-99, 2011-12, 2020-21 et plus 2022-23 sont celles qui ont le plus défrayé la chronique. On pourrait désormais y greffer la saison 2024-25. Se dirige-t-on vers le même scénario que la grande crise de la période 1998-99 où le niveau global avait oscillé entre 27% et 29% ? On sera forcément fixé dans les 10 prochains jours… Toujours est-il qu’on se rapproche de plus en plus des 33% enregistrés en 2023, un niveau qui restera aussi dans les annales.

La sécheresse de 1998-99 fut d’autant plus préoccupante que le Midlands Dam et le Bagatelle Dam n’existaient pas encore, mais fort heureusement, Mare-aux-Vacoas et Piton-du-Milieu, comme par miracle, étaient asséchés de seulement 55% lorsque la crise a pris fin à la mi-février. Avec seulement 39% de la pluviosité moyenne entre le 1er octobre 1998 et le 10 janvier 1999, dont un très faible pourcentage dans le Nord, les autorités avaient pris la décision de basculer une partie des réserves de Piton-du-Milieu vers La Nicolière pour alimenter certaines zones comme Piton et les haut de Port-Louis, où l’eau avait cessé de couler des robinets.

Le 3 février 1999 a été la date de la délivrance, la dépression tropicale Chikita apportant, ce jour-là, 86,3mm de pluie en 24h. Cette tendance s’est confirmée les jours suivants avec l’arrivée des averses estivales. Croisons les doigts pour les choses se répètent dans les prochains jours.

 

 

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