Sauvegarde du patrimoine de la capitale – La Vieille Prison (1839) au pied de l’échafaud

Les murs de l’enceinte se disloquent et menacent de s’effondrer

  • Osman Mahomed : « Exploitation du site à des fins touristiques, artistiques et lucratives »

Si certains édifices en pierre taillée, datant de l’époque coloniale, semblent profiter d’une protection à toute épreuve contre l’altération ou la destruction, d’autres structures à valeur historique risquent, hélas, de disparaître à jamais compte tenu de leur vétusté.

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L’ancienne prison centrale de Port-Louis, inaugurée en 1839 à la rue Maillard et close en 1953, n’échappe pas à ce « laisser-aller », dont les autorités ne semblent nullement se préoccuper. N’étant pas inscrite au National Heritage, cette œuvre architecturale sombre dans l’oubli et tombe en ruines, au point où une partie du mur longeant la rue Georges Guibert menace de s’effondrer sous l’effet des fissures profondes. Il a fallu l’intervention du député rouge Osman Mahomed, par le biais d’une question adressée au vice-Premier ministre Anwar Husnoo à l’Assemblée nationale, le 5 avril dernier, pour que la mairie ordonne la fermeture de ladite rue. Ce pan de l’histoire de la capitale est sous la menace d’un pull-down et d’aucuns craignent que la “Vielle Prison” ne subisse le même sort.

Il est le plus grand centre pénitentiaire de l’île pendant la période coloniale britannique, à en croire le contenu du livre The Old Prison Building of Port-Louis & its prisoners, c. 1836-1953 publié par l’historien Satyendra Peerthum. La construction de la “Vieille Prison”, comme on l’appelle à l’époque, ouvre ses portes en janvier 1839. En 1840, avec environ 300 prisonniers, les locaux sont déjà surpeuplés. On entreprend alors une extension du bâtiment comptant 48 nouvelles cellules, dont celle abritant l’échafaud et le rituel de la mise à mort par pendaison. La population carcérale change, passant surtout d’anciens esclaves et d’apprentis à celle de travailleurs engagés et d’anciens immigrants, dont 20% de femmes.

L’échafaud en bois utilisé pour exécuter les prisonniers
jusqu’en 1952

Entre 1946 et 1952, la plupart des prisonniers sont transférés à la nouvelle prison centrale à Beau-Bassin. La Vieille Prison, devenue désuète, ferme ses portes en 1953. La dernière exécution effectuée dans cet établissement pénitentiaire remonte au samedi 23 février 1952, quand furent pendus Noël Jérôme Juillet (Pic Pac), Paul Célestin (Paul Le Fou) et France Edwin Cangy (Le Roi), condamnés à mort le 25 janvier 1952 et enterrés après leur exécution au cimetière de Bois-Marchand. Après avoir été laissée à l’abandon durant cinq décennies, la cour de la prison se mue en parking, à la fin des années 1990, pour les fonctionnaires du ministère des Arts et de la Culture opérant dans le nouveau bâtiment Renganaden Seeneevassen. Ce chamboulement entraîne la destruction partielle de la prison, de la maison de correction et d’une partie du mur d’enceinte.

183 ans d’histoire ne suffisent pas…

En 2002, le National Heritage Fund commande un travail de recherche historique sur la Vieille Prison. Satyendra Peerthum s’y attelle et préconise une réhabilitation des lieux pour en faire un multipurpose complex avec un musée carcéral aménagé dans les anciennes cellules, des magasins, une promenade. Le projet sera rangé dans le tiroir des projets fantômes. Aux prises avec des problèmes d’humidité et laissé sans entretien, l’édifice subit au fil du temps une dégradation évidente, jusqu’à que le mur d’enceinte ne se disloque après le passage du cyclone Batsirai le 1er février dernier.

« Des paramètres légaux à respecter »

« J’avais posé une question parlementaire à Anwar Husnoo au mois d’avril sur cette structure, Ma préoccupation première était sur la sécurité des usagers de cette ruelle très fréquentée qu’est le Georges Guibert, car il y a une menace d’effondrement. La mairie a réagi promptement en érigeant des barrières », confie le député Osman Mahomed. Durant lesdits débats avec le vice-Premier ministre, Anwar Husnoo suggère que le mur d’enceinte soit restauré et préservé, et qu’on évite qu’il soit détruit. Sauf que dans sa réponse, ce dernier souligne d’une part que le site de la prison centrale ainsi que les structures qui la composent appartiennent à un groupe du secteur privé, et qu’il n’est pas « registered with the National Heritage. » Les 183 ans d’histoire que renferment ses murs et sa proximité avec l’ancienne Cour suprême ne suffisent donc pas à en assurer sa pérennité. La démolition du mur laissera irrémédiablement des ruines dans le paysage, tout en entraînant une défiguration de cette structure de valeur patrimoniale exceptionnelle.

Ne vaudrait-il pas mieux que le gouvernement oriente les dépenses vers la restauration des édifices historiques mal entretenus, plutôt que vers des constructions neuves ? À en croire Jameer Yeadally, l’attaché de presse d’Anwar Husnoo, « il est triste de constater le déclin d’un tel édifice situé au cœur d’un secteur de valeur patrimoniale exceptionnelle mais, malheureusement, il y a des paramètres légaux à respecter avant de procéder, avant que l’État ne puisse s’emparer du site, dans la mesure où il appartient à un groupe privé, contrairement à la quasi-majorité du patrimoine de la capitale. En vertu de la section 22 de la Building Control Act, un avis légal a été servi au directeur dudit groupe privé pour restaurer son mur ou de le détruire. »

Sauf qu’Osman Mahomed ne l’entend pas de cette oreille et milite avec des associations comme SOS Patrimoine en Péril “Save our Heritage pour sauver la Vieille Prison au pied de l’échafaud : « J’ai été très ravi de lire dans vos colonnes que le lord-maire a lancé un appel pour qu’on se mettre au diapason tout en rénovant les bâtiments dont beaucoup datent de l’époque coloniale. Je lui demande donc de faire faire preuve de cohérence et de demander au ministère de la Justice de tout faire pour préserver au lieu de démolir ce vestige qui donne à la ville de Port Louis cette aire d’antan à quelques endroits restants. Il s’agit aussi de renforcer les moyens financiers, en mobilisant, en plus des aides publiques, les financements privés. »

Le site appartient à un groupe du secteur privé et ne figure pas sur la liste du patrimoine national

Le député préconise l’exploitation du site à des fins touristiques, artistiques et lucratives. « Je lance aussi un appel aux ministres de la Culture et du Tourisme afin de considérer la conversion de ce bâtiment connu historiquement comme la prison de Port-Louis en musée. À Perth et à Kuala Lumpur, des prisons historiques ont été converties en musées que moi-même j’ai visités durant des voyages passés dans ces deux pays. Un tel musée sera un atout pour la ville de Port-Louis. »

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