“Mens sana in corpore sano” (un esprit sain dans un corps sain). Aujourd’hui plus qu’avant, ce vieil adage résonne. Face à la pandémie et au flux de nouvelles anxiogènes et déprimantes, les professionnels de la santé mentale du monde entier lèvent les boucliers et tirent la sonnette d’alarme : santé mentale et santé physique marchent ensemble. À Maurice, l’Action for Integral Human Development, mobilisant une dizaine de professionnels de la santé mentale et de la psychologie, vient de lancer une campagne nationale qui s’échelonnera sur 10 semaines. Ainsi, pendant cette période, une ligne d’écoute gratuite est mise à la disposition de tous ceux qui souhaiteraient avoir une oreille attentive.
« Depuis 2020, nous observons une plus grande vulnérabilité de la population mauricienne ; une hausse des risques suicidaires, une augmentation des états dépressifs, un important état d’anxiété, un niveau de stress accru… La situation est alarmante. » C’est ce que constatent les psychologues Émilie Rivet-Duval et Mélanie Vigier de Latour-Bérenger. En ces temps de Covid, une quinzaine de professionnels ont décidé de prendre les choses en main pour venir en aide aux personnes qui se sentent dans le besoin et proposent depuis quelques jours « un service d’écoute psychologique ». Les personnes souhaitant parler à un professionnel pourront ainsi appeler sur le 5450 8888. « Nous sommes aussi sur WhatsApp et la personne peut nous envoyer un message. Nous la rappellerons pour la mettre en contact avec la personne concernée », explique Émilie Rivet-Duval, responsable des projets d’AIHD. Pour ce qui est des adolescents qui souhaiteraient se confier, eux aussi peuvent prendre contact avec l’équipe d’écoute, à condition d’avoir un accord parental.
Un service essentiel, selon la psychologue, qui constate avec tristesse l’impact de la pandémie sur les Mauriciens, jeunes et moins jeunes. Elle explique ainsi que ce service d’écoute, aussi simple soit-il, peut déjà donner des pistes aux personnes se sentant envahies ces derniers temps. « Déjà, pour écouter et pour mettre en mots ce que la personne vit, c’est beaucoup », dit-elle. « Il s’agit dans un premier temps d’écouter l’autre et de l’aider à identifier et à nommer les sentiments qui l’habitent, sans juger et sans rabaisser l’autre. Et ensuite voir avec la personne ce qu’elle fait pour aller mieux dans sa vie de tous les jours et ce qu’elle pourrait faire pour l’apaiser encore plus. » Émilie Rivet-Duval parle ainsi de psychoéducation, soit sur comment sensibiliser, informer et apporter des éléments pour aller mieux. « Ainsi, au lieu de dire “j’ai peur”, je dirai “il y a une part de moi qui ressens de la peur”. Je ne suis pas la peur, et je ne me laisse pas envahir et je ne m’identifie pas à ce que je ressens », dit-elle.
Des fenêtres qui vont aider à survivre et à subir
En effet, Émilie Rivet-Duval est bien consciente du climat de peur actuellement dans le pays et invite à l’acceptation de ces sentiments envahissants qui peuvent rendre la vie moins supportable. « Il est important de prendre le temps d’écouter cette peur. Je prends souvent l’exemple d’un invité qui vient chez soi. On prend le temps de l’accueillir, de l’écouter et c’est la même chose pour nos sentiments, qui sont comme des amis, que nous invitons chez nous. Et quand on explore ces sentiments-là, cela soulage, cela apaise. » Émilie Rivet-Duval explique aussi que quand on refoule ces sentiments désagréables, qu’on nous a appris à cacher et à rejeter, le sentiment revient encore plus fort, mais qu’il est nécessaire de l’accepter. « Il faut trouver du confort dans l’inconfortable et il faut s’occuper de nos sentiments avant qu’ils ne s’occupent de nous », dit-elle. Reprenant les paroles de Thomas Ansembourg, auteur de plusieurs ouvrages sur la santé mentale, entre autres, elle explique qu’il faut voir tout cela comme une voiture. « Les sentiments sont comme les clignotants sur le tableau de bord d’une voiture et je dois y faire attention, m’arrêter et écouter. »
Par ailleurs, Émilie Rivet-Duval soutient qu’il est aussi possible de mieux appréhender ce sentiment envahissant de peur qui est généré par des facteurs extérieurs, dont la peur de contaminer ses proches, l’augmentation du coût de la vie, des enfants qui ne sortent plus, et ce, grâce à de petits gestes anodins. « Ce sont des choses qu’on ne contrôle pas, comme le Covid ou la fermeture des écoles, mais à l’intérieur de ce chaos, l’on peut tenter de trouver des lieux pour reprendre le volant de notre vie. Par exemple, mon salaire a diminué, qu’est-ce que je peux faire pour améliorer ma vie ? Ou encore je n’ai pas vu mes grands-parents qui se sentent seuls, est-ce que je peux leur envoyer une lettre, aller les voir, ne serait-ce que par la fenêtre ? En somme, face à ce sentiment d’impuissance et de peur, l’on choisit d’être en vie dans sa vie. »
Émilie Rivet-Duval est unanime : prendre soin de notre sa santé mentale est aussi important que prendre soin de notre santé physique. Elle invite ainsi à développer une « hygiène de bien-être », comme il existe une hygiène dentaire, nécessaire au bon fonctionnement du corps. « Il suffit de faire des choses simples qui vont vous procurer de la joie, et qui seront des fenêtres qui vont aider à survivre et à subir, pour certains, mon quotidien. » Pour rappel, l’an dernier, la société des professionnels en psychologie, avec l’aide de plusieurs partenaires, avait mis en place une hotline pour être au plus près des Mauriciens pendant le confinement. Un exercice réussi, mais néanmoins inquiétant au vu du nombre de personnes en détresse.