Santé mentale de l’ado mauricien : Inquiétude autour de la hausse des comportements suicidaires

Au-delà de tous les déboires du monde des adultes, qui ont récemment dominé l’actualité, entre cas de torture et discours budgétaire, il y a un sujet qui concerne une fraction importante de la société et qui reste sur le banc de touche : la santé mentale des adolescents de la République. Les professionnels de santé mentale tirent encore une fois la sonnette d’alarme sur la hausse des comportements suicidaires chez les étudiants mauriciens. La société Action for Integral Human Development (AIHD), travaillant sous l’égide du diocèse de Port-Louis dans plusieurs écoles et collèges de l’île, propose quelques pistes pour aider celles et ceux qui gérent un adolescent présentant un comportement à risque.

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Un cas de trop. « Nous avons eu vendredi dernier une adolescente de grade 13 qui s’est donné la mort par suicide dans un de nos collèges… et ça, ce sont uniquement les cas qui viennent à nous. Combien de tentatives ? Ou de suicides complétés dont nous n’avons pas connaissance ? » indique la Dr Émilie Rivet-Duval, manager de l’AIHD. Si l’équipe de professionnels travaille en étroite collaboration avec les enseignants des écoles catholiques de l’île, depuis 2018, pour la mise en place d’un protocole pour gérer les situations de crise, l’AIHD déplore que cette initiative ne soit pas généralisée dans toutes les écoles de la République, et ce, sans exception. Elle préconise ainsi certaines choses, à destination des enseignants ou des parents pour agir face à des comportements suicidaires des adolescents.

L’AIHD indique que la première chose est d’évaluer les niveaux de risque suicidaires chez l’adolescent et d’intervenir. « Le risque suicidaire se définit par : les idées suicidaires (IS) et son intensité ; l’absence d’alternatives autres, pour moins souffrir, que de se donner la mort par suicide ; l’accès et la dangerosité du moyen (comment ?) ; l’imminence du passage à l’acte (quand ?) et le scénario suicidaire (où ?) » souligne l’AIHD. Pour ce faire, trois niveaux de risque sont à évaluer (voir encadré). Par ailleurs, les professionnels de santé mentale précisent que le « risque suicidaire est temporaire et réversible. »

De plus, parmi les signaux d’alerte associés aux comportements suicidaires chez l’adolescent, l’AIHD cite les changements radicaux dans les attitudes et comportements, la démotivation pour les loisirs, l’isolement et retrait, la consommation inhabituelle de drogues, d’alcool ou de médicaments, les comportements dangereux, la baisse de performances scolaires, les maux de tête-ventre et la crise de larmes. Sur le plan émotionnel, les signes à ne pas ignorer sont la perte-absence de plaisir, le désintérêt, la faible estime de soi, l’irritabilité, l’absence d’émotions, le brusque changement d’humeur, l’indécision, l’anxiété accrue, l’hyperactivité et les émotions contradictoires et changeantes, entre autres. En outre, les adolescents peuvent aussi montrer des difficultés de concentration, une perte de mémoire et une incohérence et confusion dans le langage, entre autres.

Rester attentif et observer

Ainsi, pour prévenir les comportements suicidaires chez les ados, l’AIHD conseille de « rester attentif et d’observer les adolescents qui sont autour de vous, et les signaux d’alerte qui pourraient indiquer un mal-être. N’attendez pas que l’adolescent vienne vous voir si vous ressentez de l’inquiétude pour lui. Engagez la conversation avec lui, osez poser des questions, par exemple : Je suis inquiet parce que j’ai remarqué que ton comportement a changé ces derniers temps. Parfois, quand certaines personnes traversent une période difficile, elles peuvent avoir des idées noires ou même des pensées suicidaires, est-ce le cas pour toi ? Dites à l’adolescent que vous êtes disponible pour l’écouter ou proposez-lui de parler à une personne de confiance de son choix. Prêtez une oreille attentive au discours de l’adolescent et prenez au sérieux tout geste d’exploration du suicide ou tout signe de tentative de suicide. C’est un signal d’alarme, une souffrance profonde, pas un moyen d’attirer l’attention. Aussi, n’hésitez pas à demander le soutien et l’aide d’un professionnel en psychologie pour vous-mêmes afin de vous aider à mieux gérer une situation qui vous préoccupe. »

Et dans la catégorie des « do’s and don’ts », l’AIHD préconise « d’aborder le sujet du suicide ouvertement ; de prononcer le mot suicide, et poser des questions claires ; de poser des questions sur les intentions suicidaires ; d’expliquer les prochaines étapes à suivre, selon le niveau de risque suicide, et le tenir informé tout au long du processus de la prise en charge ; d’écouter et reformuler et de valider les sentiments, pensées et comportements de l’adolescent. » Et quant aux choses à ne pas faire dans une telle situation, les psychologues conseillent de ne pas dire à l’adolescent que ce qui sera partagé restera un « secret », car cela ne peut l’être dans les cas où sa vie ou celle d’autrui est en danger et de juger en disant, par exemple : « Ce n’est pas bien d’avoir des pensées comme ça. » Il est aussi préconisé de ne pas interpréter avec des phrases comme : « Tu es sous pression avec les examens nationaux qui arrivent » ou de rassurer en disant à l’ado que ce n’est qu’un « mauvais moment, ça passera, tu verras. » Il faut aussi éviter de minimiser, banaliser, et d’éviter le sujet.

Dr Émilie Rivet-Duval :

« Il n’y a rien sur la santé mentale dans le budget ! »

Dr Émilie Rivet-Duval est déçue du rapport budgétaire, car « il n’y a rien sur la santé mentale », alors que les professionnels de psychologie et autres ont soumis plusieurs recommandations dans l’intérêt de la population. « Nous avons à Maurice un seul hôpital psychiatrique avec un seul pédopsychiatre ! Nous déplorons que la santé mentale soit toujours le parent pauvre. » Consciente qu’il est important de redémarrer l’économie et que plusieurs mesures annoncées vont en ce sens, force est de constater que l’humain est relégué au second plan. « Quid de l’humain acteur de cette économie ? Qu’en est-il de la santé mentale de la population ? » Émilie Rivet-Duval se dit déçue, car après tout ce temps, il n’y a toujours pas de plan stratégique sur la santé mentale et rien n’est fait concrètement pour améliorer la prise en charge psychologique des adolescents de la République, lourdement impactés par le Covid.

Fiche d’aide : les niveaux de risque

1) Faible

Idées suicidaires pas fréquentes

Mise en place de diverses solutions pour apaiser la souffrance

  Sentiments possibles : tristesse, colère, déception, etc.

L’élève demande de l’aide et accepte de se faire aider par un professionnel.

Que faire ?

Oser en parler avec l’élève et poser des questions afin d’évaluer le risque suicidaire

Mettre l’élève en lien avec un membre de l’équipe thérapeutique pour un suivi au collège (avec le consentement de la personne responsable).

2) Moyen

Idées suicidaires fréquentes

L’élève parle d’une action à venir ou fait des déclarations d’affection disproportionnées (ex. : « Bientôt vous allez avoir la paix. »)

Sentiments possibles : tristesse, découragement, frustration, solitude, etc.

Préparatifs en vue de leur mort (exemple : mise en ordre de ses affaires personnelles, lettres d’adieu, dons d’objets significatifs, etc.).

Le plan suicidaire : « Où, quand et comment » n’est pas clairement défini.

Que faire ?

Oser en parler avec l’élève et poser des questions afin d’évaluer le risque suicidaire.

Informer le chef d’établissement scolaire.

Contacter la personne responsable de l’élève.

Identifier un réseau de soutien avec l’élève.

S’assurer auprès d’eux que l’élève soit vu par un professionnel en psychologie.

Rester vigilant, observer et s’assurer que l’élève soit dans un environnement sécurisant (ex : surveiller l’accès à des médicalement/objets pointus, etc.)

3) Urgent

Idées suicidaires envahissantes.

L’élève parle de son intention de se donner la mort clairement (ex. : « Je veux mourir, je vais aller rejoindre », etc.).

La perception qu’aucune « solution » ne peut apaiser la grande souffrance ressentie à part se donner la mort.

Sentiments possibles : profond désespoir/impuissance/solitude, etc.

Intérêt soudain pour le suicide, les choses morbides, la réincarnation, les cimetières, etc.

Bonne humeur soudaine après une période dépressive.

Élaboration d’un plan suicidaire quasiment final, le « où, quand et comment » est clairement défini.

Que faire ?

Oser en parler avec l’élève et poser des questions afin d’évaluer le risque suicidaire.

Informer immédiatement le chef d’établissement scolaire.

Contacter la personne responsable de l’élève dans l’urgence.

Identifier un réseau de soutien avec l’élève.

S’assurer que l’élève soit examiné dans les 24 heures par un médecin/psychiatre et professionnel en psychologie.

Rester vigilant, observer et restreindre l’accès aux moyens pour que l’élève soit dans un environnement sécurisant (ex : placer les médicaments dans un endroit fermé à clé, surveiller l’accès à des objets pointus, etc.).

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