Travailleur social engagé de longue date, ancien ministre de la Sécurité sociale au début des années 2000, Samioullah Lauthan est celui qui a été désigné, pour chapeauter la National Agency for Drug Policy and Coordination. L’annonce a été faite au Parlement par le Premier ministre, Navin Ramgoolam.
Salué par ses pairs comme étant « le candidat tout indiqué à occuper ce poste, de par non seulement sa longue contribution et ses connaissances solides dans ce combat, mais pour sa sincérité et sa passion à sauver des vies », Sam Lauthan dit être « convaincu, avec l’équipe que nous allons mettre en place parvenir à faire la différence ». Plus que jamais motivé et déterminé, l’homme pèse ses mots quand il déclare que « la situation est extrêmement grave et dangereuse ».
Comment avez-vous accueilli la décision du gouvernement de vous nommer à la tête de la National Agency for Drug Policy and Coordination ?
J’ai été très surpris, je l’avoue. Je ne m’y attendais pas du tout. Et j’ai été extrêmement touché surtout quand Navin Ramgoolam, le Premier ministre, et le Deputy Prime Minister, Paul Bérenger, m’ont appelé pour m’informer de leur décision. Je les remercie du fond du cœur de reconnaître et d’apprécier mon travail de longue haleine, ma modeste contribution dans cette énorme bataille que nous menons depuis plusieurs décennies.
Parallèlement, le vice-président de la République, Robert Hungley a pris l’initiative de s’engager dans ce combat. Cela me réconforte par rapport à la volonté solide et ferme de nos politiques et ceux qui sont au plus haut sommet de l’État face à ce problème épineux qui gangrène notre société et ravage nos jeunes.
Chapeauter une structure nationale comme la National Agency for Drug Policy and Coordination représente un gage d’immense confiance qu’ils me font quand ils m’ont expliqué qu’ils me donnent carte blanche de choisir ceux et celles que je veux pour m’entourer et faire de cette agence nationale une unité solide, efficace et qui produira des résultats ! Je n’aurais jamais pensé avoir un tel capital de confiance de la part de nos politiques.
Nous avons devant nous un énorme défi à relever. Ces dernières années, la situation est devenue extrêmement alarmante et grave. Nous ne sommes plus dans une conjoncture comme il y a quelques décennies, où certaines banlieues de certaines villes, certaines communautés étaient les plus touchées et à risque.
Ces derniers dix et quinze ans, c’est toute l’île Maurice qui a été envahie par le Brown Sugar et toutes sortes de substances psychoactives, comme les drogues synthétiques, mais aussi des produits dangereux comme la métamphétamine, le LSD, la cocaïne, le crack, et bien d’autres encore qui sont très néfastes et qui sont, pour nous Mauriciens, nouveaux.
Quelle sera la mission phare de la National Agency for Drug Policy and Coordination ?
Nous allons attaquer le problème dans sa globalité. La répression, uniquement, nous l’avons bien réalisé, n’est pas l’unique solution et contribue même à compliquer la donne. Car, comme je le répète toujours, les trafiquants sont des personnes très rusées et qui ont toujours une longueur d’avance sur les autorités. Nous devons donc adopter des approches et des méthodes en ce sens. Quand nous voyons des pays développés et modernes, prenons la super puissance que sont les États-Unis et qui n’arrivent pas à contrôler le trafic, nous réalisons à quel point cette entreprise réclame des attitudes bien spécifiques et définies.
Dans la même veine, ces dernières semaines, il y a une profusion de vidéos sur les réseaux sociaux mettant en exergue des jeunes sous l’emprise des drogues synthétiques et comment cela les affecte dramatiquement. Une des choses que nous allons faire, c’est justement montrer à chaque Mauricien les larmes de ceux qui souffrent. Qu’il s’agisse des victimes, des toxicomanes eux-mêmes, de leurs parents et proches qui vivent l’enfer auprès d’eux.
Depuis toujours, ce sont les travailleurs sociaux engagés dans ce combat qui voient les larmes des mamans et des victimes qui veulent en finir avec cet enfer. La situation est telle dans notre pays que chaque Mauricien doit être témoin et comprendre à quel point ces substances sont en train de nous pourrir la vie ! Il faut en finir avec cette indifférence, cette mentalité qui est courante, que « ça ne me concerne pas, parce que chez moi, il n’y a pas de toxicomane ». Pa kapav zis kan gagn problem la dan ou fami, ou lakaz ki ou reazir ! Ce problème nous concerne tous, chacun de nous, de chaque enfant à chaque grand-père, grand-mère en passant par les politiques, les directeurs de compagnies… tous !
Quelles en sont vos priorités ?
D’abord et surtout, une mobilisation massive, nationale et générale ! Je l’ai dit, la situation est urgente et dangereuse. Actuellement, nous avons un problème d’ordre national. Nous allons donc devoir agir très vite certes. Mais aussi, nous devons agir efficacement.
La topographie n’est plus comme il y a quelques décennies, où nous avions principalement le brown sugar qui était consommé, et encore principalement dans des banlieues de certaines villes. Certaines communautés étaient plus vulnérables que d’autres. Ce qui a amené, dans une certaine mesure, cette mentalité que le problème des toxicomanes ne concerne pas tous les Mauriciens…
Mais pendant ces derniers dix à quinze ans, la donne a totalement changé. La venue des drogues de synthèse, l’entrée de substances psychoactives, la présence de plus en plus remarquable de drogues jusqu’ici encore inconnues des Mauriciens comme la cocaïne, le LSD, la méthamphétamine, l’ecstasy, pour ne citer que celles-là, font que nous n’avons plus un profil type du consommateur. Donc, pour pouvoir bien riposter à ces complexités, nous devons être bien armés. Pour faire cela, nous allons commencer par une formation des formateurs.
Comme je l’ai dit, la situation sur le terrain aujourd’hui est bien loin de celle que la plupart ont connue avant l’avènement de toutes ces substances que j’ai mentionnées. Il nous faut donc nous documenter et nous éduquer pour mieux cerner les enjeux et comprendre contre quoi nous allons nous battre.
Personnellement, je me fais un devoir de rester toujours au courant des recherches, études, et projets qui se font à l’étranger par des institutions comme l’UNODC, les Nations unies, les grandes universités du monde. Avec ces données, nos formateurs seront mieux préparés à affronter la situation.
Vous avez également signalé que ces dernières semaines sur les réseaux sociaux, le grand public n’arrête pas de poster des vidéos et de déplorer les ravages des drogues synthétiques, surtout sur nos jeunes. Quelle est votre lecture ?
Je trouve que cette montée au créneau public exprime justement toute l’urgence de la situation ! Face à cela, nous ne pouvons qu’agir vite et bien, comme je l’ai dit.
Mais ce problème des drogues synthétiques n’est nullement nouveau. En 2018, quand nous avons déposé notre rapport de la commission d’enquête présidée par Paul Lam Shan Leen, nous y avions inclus des recommandations destinées en ce sens. Si le gouvernement d’alors avait pris le soin de mettre en application celles-ci, aujourd’hui nous ne nous serions pas retrouvés face à un problème aussi énorme ! Je ne dis pas que nous aurions résolu le problème, mais tout au moins, nous aurions pu diminuer ces ravages et contribuer à ralentir l’envahissement de toute l’île par ces produits nocifs !
Parallèlement, il y a un énorme travail de sensibilisation à faire sur ce que sont les drogues de synthèse. La raison pour laquelle ces produits se vendent comme de petits pains, c’est parce que ceux qui les fabriquent y rajoutent toutes sortes de substances qui ne sont pas destinées à être ingérées dans le corps, comme des produits pour la construction, des poudres et autres qu’on trouve dans des quincailleries !
Le vice-président de la République, Robert Hungley, a récemment fait état de ses craintes d’une éventuelle emprise du narcotrafic sur le pays. Qu’en pensez-vous ?
Je suis extrêmement content du fait que le vice-président de la République ait pris comme engagement prioritaire le combat contre la drogue. Comme je le disais plus haut, il y a la volonté ferme et sérieuse du gouvernement, et voilà encore un exemple du leadership important dans ce dossier. J’ai rencontré le vice-président avant que mon nom ne soit cité pour assumer la responsabilité de la National Agency for Drug Policy and Coordination. Nous avons beaucoup échangé et sommes tombés d’accord sur le fait que nous allons tous travailler en complémentarité. C’est un aspect très important car nous avons sur le terrain plusieurs Ong, associations, regroupements de la société civile et la plupart travaillent en isolement, dans sa partie de l’île. Nous devons développer une synergie de nos efforts et mettre en commun tout cela.
Est-ce que la National Agency for Drug Policy and Coordination s’occupera principalement de la prévention, du traitement, de la réhabilitation et de la réinsertion des toxicomanes ?
Nous aurons un rôle déterminant à jouer sur tout ce qui est relatif à cette immense problématique que sont les drogues, leur consommation et le trafic. Nous sommes pleinement respectueux de nos institutions, il faut absolument que cela soit bien clair. Et c’est en concertation et dans le respect de chacune d’entre elles que nous allons travailler.
Je ne peux, à ce stade, vous dire qui sont les personnes qui font déjà partie de la National Agency for Drug Policy and Corruption. Avec le savoir-faire et la connaissance des personnes ressources, nous allons pouvoir abattre un travail concret !
Cette entreprise n’est pas sans danger. En avez-vous évalué les risques et êtes-vous conscient de ce que cela représente ?
Pendant le déroulement des travaux de la commission d’enquête sur la drogue, j’avais eu des menaces de mort à trois reprises. Et même avant que je ne m’engage dans la commission, j’avais eu des menaces de mort. Je dois dire que je me rends pleinement compte qu’avec les nouvelles données sur le terrain, en matière de trafic, cela ne sera évidemment pas du gâteau. Les rapports sont très compliqués et les moyens d’intimidation sont aussi légion.
Cependant, je suis un croyant et je ne crains qu’Allah le tout-puissant. Ce cheminement, cette lutte dans laquelle je me suis engagé, en mon âme et conscience, je le fais avec mon coeur, pleinement conscient de tout ce que cela représente.
Propos recueillis par Husna Ramjanally