L’affaire Roches Noires roule depuis des mois et une réponse des autorités se fait toujours attendre. En attendant le sort de Roches Noires Smart City (RNSC), projet immobilier porté par le groupe français PR Capital, les contestataires eux ne sont pas en reste. Platform Moris Lanvironnman (PML), une des premières Organisations non gouvernementales (ONG) à avoir tiré la sonnette d’alarme, vient de rendre publics ses commentaires sur le rapport d’Environment Impact Assessement (EIA) soumis par le promoteur. Le rapport d’une centaine de pages avait été envoyé le 10 novembre dernier. D’ailleurs, d’autres collectifs ont fait de même, dont le parti écosocialiste Rezistans ek Alternativ, l’ONG Protégeons l’écosystème de Roches Noires, l’ONG MRU2025 et le Collectif mauricien pour Roches Noires.
« Nous avions déjà objecté au premier rapport EIA et au projet, et nous objectons de nouveau pour les raisons suivantes », indique PML dans un document de presse résumant les 135 pages de commentaires soumis. Ainsi, selon l’ONG, « le rapport EIA de PR Capital contient des failles fondamentales et est de ce fait non conforme aux dispositions de la Section 18, sous-section 18 (2) (d) à 18 (2) (o) de l’Environment Protection Act 2002 comme subséquemment amendé », et soutient que ce projet faramineux portera préjudice aux habitants de la localité et également au pays. De plus, PML explique que ce projet ne répond pas aux objectifs de développement durable des Nations unies, et réitère son appel de réagir et d’agir en amont de quelconques travaux sur le « site sensible » comprenant les « derniers restes de forêt côtière de Maurice. »
PML souligne que « nos commentaires s’appuient sur le concept et la démarche politique d’une hiérarchie des options d’atténuation d’un projet. Nous favorisons donc l’option au sommet de cette hiérarchie : Éviter plutôt que celle prônée par les promoteurs qui est de minimiser les impacts associés à cette déforestation (ndlr : voir encadré). Eviter veut dire ne pas réaliser ce projet : ne pas détruire une forêt renfermant qui plus est les derniers vestiges de forêt côtière originelle de Maurice pour y créer une ville avec deux parcours de golf. »
Par ailleurs, PML s’interroge sur les réelles intentions du promoteur. « En dépit d’en faire mention, ce projet ne serait même pas éligible au financement selon les lignes directrices de l’International Finance Corporation portant sur les standards de performance de nature environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) ni de celles d’autres institutions financières multilatérales par ailleurs », soutient l’ONG. En outre, cette dernière déplore aussi que plusieurs failles identifiées dans le premier rapport EIA soumis par PR Capital n’aient pas été prises en compte.
Plusieurs failles identifiées
« Ces failles portent sur un déficit dans les données de base ; des analyses déficitaires des impacts du projet lui-même ainsi que des mesures d’atténuation proposées ; des incohérences et des omissions. Une de ces omissions concerne un parallel report sur les conditions hydrogéologiques du site mentionné, mais non inclus dans le rapport EIA. » De plus, PML regrette que l’ « Economic Development Board (EDB) n’ait pas fait preuve de due diligence au regard de la solvabilité financière, des tractations et montages financiers de PR Capital ltd. »
Les contestataires tiennent aussi à rappeler que le promoteur compte procéder à la déforestation de plus de 80% du site afin de l’urbaniser et de développer du « golf tourism ». PML persiste et signe : « Le RNSC est un projet d’urbanisation par déforestation de plus de 80% d’une forêt qui renferme les derniers vestiges de forêt côtière originelle de Maurice et plusieurs autres écosystèmes naturels vitaux pour la résilience de Maurice face au changement climatique. Les impacts présentés comme positifs dans le rapport EIA sont en fait des impacts négatifs tandis que les impacts de solutions d’ingénierie proposées pour “minimiser” les impacts négatifs de la déforestation et de la destruction du fonctionnement d’écosystèmes naturels ne sont pas évalués. Si le RNSC va de l’avant, c’est tout un écosystème interconnecté beaucoup plus large que le site de la RNSC qui se trouvera fragilisé, et sans gain d’aucune sorte sauf pour les promoteurs. Nous sommes tous et toutes concernés ! »
Néfaste
Par ailleurs, MRU2025 a aussi soumis ses commentaires publics, sous forme de rapports scientifiques, dont le Socio-ecological and territorial Assessment of Roches Noires VCA commandité par le jeune chercheur mauricien Raphaël Merven et l’EIA Gap Analysis de Claude Lahausse de Lalouvière. Le parti écosocialiste Rezistans ek Alternativ (ReA) a aussi présenté ses commentaires publics sur ce projet de développement foncier, lors d’une visite à Roches Noires. Le porte-parole de ReA David Sauvage préconisait « une compulsary acquisition sous l’article 8 de la Constitution du site par le gouvernement, avec une participation active des habitants qui seront les décisionnaires pour mettre sur pied un parc naturel, voire un site écologique de restauration et de développement des activités touristiques. » Cela étant dit, les commentaires abondent dans le même sens : un projet immobilier d’une telle envergure ne peut qu’être néfaste pour la région et ses habitants.
PR Capital se défend
Dans un article publié le mois dernier, les représentants de PR capital, dont Nicolas de Chalain, et le conseiller du porteur du projet, Jean Beauvillain, géographe de son état et expert en aménagement du territoire et en développement des petites métropoles d’équilibre, s’exprimaient sur le projet.
« Il s’agit d’un projet de développement durable et d’intérêt général pour le territoire où il se situe et pour le pays avec un engagement auprès du gouvernement pour l’environnement », expliquait alors Jean Beauvillain. Le projet RNSC se déclinera sur deux pôles : le premier foncier avec la construction de villas, de golf, de commerce et autres, et le second environnemental avec la création d’un parc et de bureaux de recherche et de développement autour de l’environnement et de la conservation, ouverts aux universitaires, chercheurs et étudiants locaux. Jean Beauvillain précisant que, « d’ailleurs, seulement 10,5% du projet global seront consacrés aux bâtiments et tout le reste sera vert, voire plus vert que ce qu’il est aujourd’hui. »
Rappel des événements
C’est une affaire qui ne date pas d’hier. Les premières tentatives remontent à 2005, où une entreprise sud-africaine, Elan Group, avait reçu un certificat IRS pour Roches Noires Resorts and Residence Ltd. Le 9 octobre 2006, Elan Group décide de se retirer pour laisser place à un consortium dirigé par Jean Marie Bain. Le projet obtient son permis EIA et son certificat IRS le 13 novembre 2007.
Le 11 février 2010, le consortium informe les autorités de ses difficultés financières et fait une demande pour vendre 90 hectares à des investisseurs locaux pour la construction d’un morcellement. La demande est rejetée. La compagnie passe sous administration et en avril 2011, MM. Bonieux et Lutchumun sont nommés « receivers and managers » de Roches Noires Resort and Residence Ltd. Le 5 avril 2012, la compagnie perd son certificat IRS. En 2013, un groupe chinois YIHE Group crée Island Summer Palace Ltd, projet IRS en trois phases : la première un hôtel ; une zone commerciale, une business zone, un convention centre et une marina ; la deuxième un terrain de golf, des villas de golf et un club-house et troisièmement des low-side residential units, un retirement village et un education hub. Tout cela pour un total de Rs 44 milliards. En 2015, l’affaire Roches-Noires faisait l’objet d’une question parlementaire posée par le leader de l’opposition d’alors, Paul Bérenger, et à laquelle répondait le ministre des Finances, Vishnu Lutchmeenaraidoo. Dans la réponse de ce dernier, tous les projets sont cités, y compris le projet de construire une deuxième piste d’atterrissage qui finira par être abandonné la même année. Depuis quelques années, les derniers propriétaires en date, soit le YIHE Group, se sont retrouvés en difficulté financière… pour finalement laisser place à PR Capital. D’ailleurs, ce sont les banques BPCE et ABSA qui détiennent les actifs de ce site.
En début d’année, un consortium de conglomérats locaux, dont Eclosia, IBL, Currimjee, Scott et autres, forment le Collectif mauricien pour Roches Noires, proposant la construction d’un parc naturel. En même temps, PML émet un communiqué signalant l’absence du rapport hydrogéologique du site. Affaire à suivre…