Juchée à 300 mètres d’altitude au Sud-Ouest de Maurice, la Rhumerie de Chamarel célébrera ses 14 années d’existence en août. Elle reste une belle attraction touristique et à travers ses guides, toute son histoire est mise en éveil.
Le Covid l’avait plongée dans un état léthargique, mais avec l’ouverture des frontières, la rhumerie a repris des couleurs, et entraîne le visiteur, par le truchement de ses guides, dans les couloirs de sa distillerie avec des anecdotes intéressantes autour de sa technique de fermentation unique, soit d’un bon rhum agricole fabriqué à partir du jus de canne.
La force de la Rhumerie de Chamarel repose sur ses vastes plantations de cannes qui l’entourent. Soit 45 hectares de plantation de cannes qui s’étendent tout autour de la rhumerie et qui permettent en temps de récolte de ramasser jusqu’à 20 tonnes de cannes.
À l’entrée, le visiteur est happé par une magnifique œuvre sculpturale qui semble voguer en toute quiétude dans un bassin d’eau, provoquant ainsi une sorte de reflet miroitant aux visiteurs qui s’attardent devant cette vue imprenable. Il y apprendra au détour de ces différentes haltes, à divers endroits stratégiques, à voir le broyage de la canne, sauf que la récolte en ce moment est prévue pour juin. Le guide expliquera en cours de route, en faisant appel à l’imagination du visiteur de visualiser que la canne après le broyage génère un jus qui est filtré, puis fermenté par de la levure suivant un contrôle de température pour suivre le développement de ses arômes.
Le visiteur apprend aussi que la distillation est effectuée dans une colonne à plateau en cuivre pour l’obtention du rhum blanc, et dans deux alambics pour le rhum de double distillation. Autre facteur important qui fait la fierté de notre île est que la Rhumerie de Chamarel a remporté plusieurs médailles à des compétitions internationales en Allemagne et à Bruxelles. Après la visite, le visiteur sera convié à une dégustation du rhum, avant de découvrir le restaurant l’Alchimiste qui lui propose un menu issu du terroir dont le cochon marron, la viande de cerf.
La visite qui se passe sous la houlette de Dany Ramsamy, Center Manager de la rhumerie de Chamarel, permet d’être au cœur d’une expérience unique. Ici, le visiteur découvre la conception du rhum tout en profitant du paysage pittoresque qui s’offre à ses yeux. La Rhumerie de Chamarel plaît par son cachet architectural authentique avec ses pierres brutes, et tout le mérite de ce concept dans tout son ensemble revient à la famille Couacaud qui a su mettre à l’honneur le rhum agricole tout en faisant de ce lieu un attrait touristique.
Si la visite guidée est payante, soit Rs 400, le visiteur a aussi droit à une halte qui le mène vers un panneau de dégustation de ces rhumes agricoles. « Un rhum fait à partir de la canne à sucre et qui, pour les connaisseurs, aura un goût exquis en bouche de par son procédé de fermentation et de distillation », explique-t-on en guise d’invitation.
Et Dany Ramsamy de préciser : « Le Mauricien a toujours connu le rhum industriel fait à base de mélasse et quand on a commencé à faire du rhum agricole à base de jus de canne, l’accueil a été des plus favorables. » En période de coupe, ce sont 20 000 tonnes de cannes qui sont écrasées. La production et la récolte débutent à partir du mois de juillet à décembre. Pendant les mois creux, les machines sont nettoyées et entretenues pour être d’aplomb.
Incursion dans la zone de fermentation
À Maurice, il existe 12 variétés de canne à sucre, mais on ne cultive à Chamarel que deux variétés similaires par le goût. Les saisonniers coupent la canne manuellement sur le coup de 4h du matin et, avant même le lever du soleil, parviennent à ramasser jusqu’à 20 tonnes de cannes par jour, avant de les déposer dans la machine. Le guide indique : « On a besoin d’une coupe neutre et d’une canne avec de la levure pour faciliter la fermentation. » Quand les cannes sont placées dans des broyeurs, Dany Ramsamy indique qu’elles seront découpées en petits morceaux à partir des 14 couteaux rotatifs, et, 24 marteleurs se trouvant à l’extérieur vont marteler les cannes.
Après avoir été martelée, la canne à sucre va monter et redescendre au moulin, ce qui facilitera l’obtention du premier broyage. Avec les quelques jus restant dans les fibres, il faudra les asperger d’eau tiède qui se fait au travers de six robinets du haut. La canne subira au total trois broyages pour faciliter la récupération d’un maximum de jus. Ce même jus qui remontera dans des filtres rotatifs sera filtré de nouveau, soit deux fois et dès que le jus tombe dans la cuve, on le pompe directement à la fermentation. La bagasse sert à l’énergie renouvelable, après avoir séché au soleil, on le brûle avec de l’eau bouillie qui permet d’obtenir de la vapeur. Cette vapeur sera envoyée dans des serpentins pour chauffer les alambics pendant la distillation. Le jus brun qui est doux dans la bouche se nomme le fangourin.
On comprend que la levure accélère le rythme de la fermentation qui nécessite une température ambiante d’une durée de 48h. Sans la levure, le jus va mettre deux semaines pour se fermenter. Si la fermentation se passe de manière naturelle, elle développe plus d’arômes. Il suffit d’un seul arôme pour le rhum, d’où la levure pour développer un seul arôme et accélérer la fermentation. « Avec la fermentation, il y a la formation du sucre en alcool et des arômes qui vont être produits. Plus la canne a du sucre, plus on aura les arômes au goût de bananes caramélisées ou flambées », indique Dany.
L’alambic et la colonne, deux méthodes de distillation
Il y a deux méthodes de distillation, l’alambic utilisé pour la double distillation et la colonne pour la seule distillation. Concernant la méthode alambic, qui date de la Seconde Guerre mondiale, la Rhumerie de Chamarel est la seule à pratiquer cette méthode dans l’océan Indien. La première chauffe se fait entre 30°et 90. La vapeur alcoolisée qui remonte se concentre dans la boule en forme d’oignons, passe par les tuyaux et redescend dans la colonne. Et, au milieu de la colonne, il y a un petit tuyau et tout autour, de l’eau glacée y réside.
Quand la vapeur alcoolisée se fraye un chemin dans les tuyaux, avec l’eau glacée, elle va se condenser et redescendre en forme de liquide. Ce liquide contient 35° d’alcool, pas assez fort pour la consommation et pas suffisamment en quantité pour faire la deuxième chauffe. Le rhum va alors être stocké sur une durée d’une à deux semaines.
La deuxième chauffe se fait entre 80°et 90°, la vapeur alcoolisée va remonter, passer par la boule et redescendre. Quand le rhum redescend, sa teneur en alcool sera doublée. De 35°, elle sera ramenée de 70° à 72° d’alcool mais ne peut être consommée. D’où la nécessité de stocker le rhum pendant trois mois. À noter qu’un rhum doublement distillé est très fort en teneur d’alcool. Ce qui a permis à la rhumerie de Chamarel d’être primée en Allemagne pendant le Rhum Festival. La raison est simple : pendant la double distillation, ce rhum développe des arômes naturels de banane flambée.
Dans le jargon du rhum, on appelle les premiers litres qui descendent de la colonne, la « tête » du rhum entre 85 et 100° d’alcool qui est toxique et non buvable. Donc, les 20 premiers litres de la journée recueillis vont être stockés séparément sans utilisation. Le milieu, connu comme le « cœur » sera utilisé pour en faire du rhum, et les 20 derniers litres de la journée recueillis qui descendent de la colonne, soit la « queue » contient entre 15 et 25° d’alcool, pas assez forte pour la consommation car elle n’a pas eu assez de temps pour se développer en teneur d’alcool. Elle va donc être remise dans des cuves de fermentation.
Les vieux rhums sont fabriqués à la méthode alambic et colonne. Deux types de fûts sont utilisés pour le vieux rhum, celui connu comme le chêne français plus dosé, plus boisé, alors que le fût américain se veut plus floral.
« On a 800 à 1 000 bouteilles aujourd’hui pour chaque type de rhum. Ceux qui viennent pour la dégustation du rhum après la visite peuvent voir le rhum blanc qui sort de la colonne, le double distillé qui est très rare, un autre vieilli en tonneau pendant 18 mois. C’est le bois qui donne de la couleur avec 42° d’alcool. De là, on a fait le rhum vanille et le rhum épicé. Dedans, on a mis les gousses de vanille et 50 grammes de sucre macérés et des épices. Il y a aussi des liqueurs de mandarine, des liqueurs de vanille et de coco. On l’appelle liqueur parce qu’il vient en grammes de sucre, par litre d’alcool et dès qu’on dépasse les 80 grammes, ce n’est plus du rhum, il y a tellement de sucre qu’on l’appelle des liqueurs. Il y a aussi différentes variantes d’alcool allant du 40, 42, 44 en termes degré d’alcool. »
Dany Ramsamy désigne aussi une bouteille de rhum à 300 d’âge (very superior), un 400 d’âge, (very superior old care), un XO, (extra old). Il indique aussi une bouteille en cristal de rhum de dix ans d’âge, très esthétique au niveau de sa présentation qui fait penser aux grandes maisons de parfumerie. La Rhumerie de Chamarel, un produit Made in Moris existant depuis 2008, continue en 2022 à être une attraction à la fois touristique et pédagogique.