Les pilotes et le personnel navigant d’Air Mauritius, à travers leurs associations respectives, la Mauritius Air Line Pilots’ Association (MALPA) et l’Air Mauritius Cabin Crew Association (AMCCA), ont interpellé le Premier ministre, Pravind Jugnauth, sur les décisions des administrateurs volontaires de la compagnie, Sattar Hajee Abdoula et Arvind Gokhool, de Grant Thornton, depuis leur entrée en fonction, et principalement la récente décision de reporter une nouvelle fois le Watershed Meeting au début de l’année prochaine. Cette incertitude quant à l’avenir de la compagnie, et encore plus sur les emplois, a fait monter l’adrénaline de ces deux corps de métiers indispensables de l’aviation civile mauricienne et qui, « en janvier 2022, auront eu pendant 545 jours cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête ». Au bout du compte, le silence de Pravind Jugnauth à leurs récriminations les touche au plus haut point.
Les pilotes déplorent, entre autres, le manque de communication et de transparence de la part des administrateurs sur le travail accompli jusqu’à présent, de même que le flou le plus total dans lequel se retrouvent les employés de MK. Eux, qui sont aussi des créanciers de la compagnie, n’ont aucune nouvelle de la situation économique actuelle d’Air Mauritius Ltd.
La MALPA regrette ainsi que Pravind Jugnauth n’ait donné aucune suite à ses courriers des 12 février et 16 avril 2021 demandant que le gouvernement rende publics les travaux effectués jusqu’à ce jour par les administrateurs et explique pourquoi, à l’instar de compagnies comme Virgin ou encore South African Airways, qui sont sortis sous administration, Air Mauritius ne l’était pas, et quel était le plan de relance pour la compagnie après une éventuelle réouverture des frontières. Ils pointent également du doigt les questions laissées sans réponses de la part des administrateurs et du Premier ministre et qui, même à l’Assemblée nationale, « reste très vague, notamment sur la question concernant la rémunération des administrateurs », qui est en démesure avec la situation économique d’Air Mauritius.
Les pilotes rappellent qu’en tant que membres du Creditors’ Committee, les administrateurs se doivent de répondre à leurs interrogations, comme le prévoit l’article 225 (2) de l’Insolvency Act. Sauf que, jusqu’ici, rien n’a été fait, bien que sous cette loi, les administrateurs sont personnellement responsables des salaires des employés, sauf préavis de licenciement donné dans les 21 jours, prévus par cette même loi.
Enquêtes à plusieurs volets exigées du PM
Le personnel navigant n’est pas en reste, puisqu’il s’appuie sur une réponse de Pravind Jugnauth au Parlement le 18 mai dernier sur le Government Wage Assistance Scheme (GWAS) de mars 2020 à avril 2021 pour affirmer qu’au moins 200 de leurs membres ont été totalement ou partiellement exemptés de cette aide financière. Pour l’AMCAA, cette situation révèle « une véritable discrimination » et une entorse au principe de bonne gouvernance. Ainsi, le syndicat du personnel navigant demande au Premier ministre d’ouvrir une enquête sur cet impair concernant le GWAS à leur égard et de rétablir la situation.
Mais l’AMCCA ne compte en rester là, car l’association demande aussi à Pravind Jugnauth d’ouvrir une enquête approfondie sur l’état de la caisse de retraite et des affaires d’Air Mauritius Ltd. L’association estime que les « nombreux sacrifices consentis » par leurs membres pour sauver la compagnie nationale d’aviation n’ont pas été la norme par les gestionnaires. Concernant la caisse de retraite, l’AMCCA explique que les 130 employés ayant été mis à la retraite par les administrateurs ne sont pas assurés que le fonds de pension, soit en mesure d’assurer le paiement de leur “lumpsum”, qui dépendra uniquement de l’issue du Watershed Meeting, repoussé désormais à janvier 2022. Il est important de prendre note, selon le syndicat, que les employés concernés n’ont été avertis de cette incertitude qu’après avoir signé leur lettre de départ.
Pour ce qui est de l’état des affaires de la compagnie, l’association du personnel navigant pointe du doigt les administrateurs, qui ont omis, selon eux, de la divulguer aux employés jusqu’ici, avec pour résultat de faire monter l’inquiétude quant à la viabilité même de la compagnie. L’AMCCA rejette avec force que le blâme sur l’état actuel de l’entreprise soit rejeté sur les employés, qui ont continué à honorer leurs contrats de travail et ont assumé leur devoir pour assurer le bon fonctionnement de l’entreprise à leur niveau de compétence, et ce, en toute bonne foi, estime le syndicat. Ce dernier demande ainsi au Premier ministre de mettre en place « une enquête transparente avec des personnes indépendantes pour établir qui sont les vrais responsables de la faillite » d’Air Mauritius, et, ainsi, « enlever ce traumatisme sur le dos des employés, déjà très stressés par la situation » économique de leur entreprise et du Covid-19.
Le vrai problème de la mauvaise gestion
Il est rappelé au chef du gouvernement que depuis le fameux épisode du “Hedging”, les employés d’Air Mauritius n’ont fait qu’accepter de nombreux sacrifices pour aider à surmonter les difficultés de l’entreprise, comme l’arrêt des recrutements ou l’augmentation de leurs heures de travail, sans rémunération supplémentaire ou autres indemnités. Par contre, l’AMCAA dénonce les nombreuses dépenses « injustifiées » décidées par le management depuis 2018, alors que la compagnie était déjà en difficulté : augmentation de salaire de 100% pour le CEO, nouveaux uniformes, remise à neuf et relooking de l’intérieur des avions de MK, nouveaux équipements de restauration, certification Skytrax, renouvellement de la flotte… « Tout cela a été décidé par le CEO et le board d’Air Mauritius, qui savaient pertinemment que la situation financière de MK était dans le rouge vif », dit le syndicat.
La MALPA et l’AMCAA veulent savoir où en est l’avancée de l’administration d’Air Mauritius à ce jour et quel rôle l’État, actionnaire majoritaire, a joué pour assurer la survie de la compagnie. De même, ils souhaitent être informés du devenir des fonds alloués lors du budget pour la sauvegarde du transporteur national et sous quelle forme et quand ces fonds seront injectés. Et, surtout, comment s’assurer que ces fonds soient utilisés à bon escient.
Enfin, les deux syndicats sont unanimes pour que les administrateurs se penchent sur « le vrai problème de la mauvaise gestion » qui a conduit Air Mauritius là où elle se trouve aujourd’hui, « au lieu de s’attaquer aux seuls employés, qui veulent plus que jamais que la compagnie reprenne au plus vite ses activités normales ».