Barlen Munisami : « Un mal nécessaire, un élément psychologique et dissuasif, mais il faudra revoir tout son fonctionnement »
La réintroduction du permis à points, si cher à Navin Ramgoolam, mais mis au placard par le gouvernement MSM/ML/PMSD, en mars 2015, sera bientôt une réalité. Son come-back marque une volonté de renforcer les règles de la route et de réduire le nombre d’accidents meurtriers sur les routes. Il s’agit là d’un défi de taille que le Premier ministre est déterminé à relever. Les débats vont bon train entre les partisans de la réintroduction du permis à points, d’un côté, et ceux qui pensent, de l’autre, que ce procédé n’a pas produit l’effet escompté durant ses 18 mois d’existence. Le ministre des Transports, Osman Mahomed, a esquissé les premiers contours du projet, vendredi, au Parlement (voir plus loin). « Il faudra bientôt passer par quatre étapes avant de décrocher un permis de conduire », dit-il.
Le permis à points, lancé le 10 mai 2013, avait, dès l’annonce de son introduction, suscité une vague de mécontentement parmi de nombreux automobilistes. La crainte était que cette mesure n’impacte sérieusement ceux dépendant de leur permis de conduire pour travailler. L’entrée en opération des Speed Cameras en parallèle – dont la gestion avait été confiée, dans la controverse, à la compagnie Proguard Ltd – a exacerbé ce climat de frayeur, certains usagers de la route estimant avoir été flashés bien qu’ayant roulé à une vitesse en dessous de la limite autorisée, un excès de vitesse étant sanctionné par 2 ou 4 points de pénalité et une amende de Rs 2,000. À l’époque, un maximum de 15 points de pénalité amenait à une première suspension du permis, avant d’être restitué après six mois. Toutefois, si le même conducteur franchissait de nouveau le seuil des 15 points, il perdait son permis et devait le repasser. Le système prévoyait que le compteur des points soit remis à zéro tous les 36 mois.
À l’heure du premier bilan, le 10 mai 2014, soit un an après l’introduction du permis à points, les statistiques recensées par la Road Safety Management Unit, placée sous la férule de l’ex-haut gradé de la police, Ben Buntipilly, attestent, pourtant, d’une baisse tant dans le nombre d’accidents fatals sur nos routes que le nombre de morts. De 144 accidents fatals (156 morts) enregistrés entre janvier et décembre 2012, ce chiffre était passé à 119 accidents fatals (136 morts) pour la même période en 2013. Cette statistique (20 morts en moins) apporte de l’eau au moulin de Navin Ramgoolam et du ministre des Infrastructures publiques et du Transport, Anil Baichoo, chantres de ce système. En une année, 3 permis avaient été suspendus (15 points), alors que 5 conducteurs s’étaient mis dans une position délicate, « border line » même, en perdant 14 points. Au hit-parade des infractions : 22,105 contraventions pour excès de vitesse, suivies de l’usage du téléphone au volant avec 1,898 contraventions.
Sauf que l’arsenal mis sur pied pour faire baisser le nombre de morts, dont la traque par les radars automatiques, considéré comme des « pièges à rats » ou des « machines à sous » par ses détracteurs, peine à faire l’unanimité parmi les automobilistes. L’Alliance Lepep, sous la houlette de Sir Anerood Jugnauth, flaire le bon filon et fait de l’abolition du permis à points un de ses thèmes majeurs lors de la campagne électorale de 2014, qu’elle mettra en œuvre après sa victoire. Le permis à points est suspendu le 31 décembre 2014, avant d’être abrogé en mars 2015. Nando Bodha, alors ministre du Transport & des Infrastructures publiques, avait annoncé cette mesure qui s’est traduite par des amendements à la Road Traffic Act, avec comme toile de fond l’introduction d’ « un système plus simple et compréhensible pour les automobilistes, une baisse des amendes et la reconfiguration des radars. »
Des drames s’ajoutent aux drames
Contrairement au constat dressé le 10 mai 2014, le dernier bilan chiffré, avant le couperet, dévoilé en décembre 2014, faisant état de 21 suspensions de permis de conduire (15 points), donne du grain à moudre aux farouches opposants du système mis sur pied par le régime travailliste. Si en 2013, le nombre de morts sur nos routes s’élevait à 136, en 2014 il est passé à 137, avec 50% des victimes s’avérant être des utilisateurs des deux-roues. Durant ces mêmes périodes, le nombre de véhicules impliqués dans des accidents avait atteint 42,089 et 51,396, respectivement.
Les compteurs du permis à points ont, donc, été remis à zéro dès le 1er janvier 2015 avec une amnistie accordée aux quelque 70,000 automobilistes flashés dans le passé par des Speed Cameras, exception faite aux amendes qu’ils devaient régler. Sauf que les années se suivent et se ressemblent. L’hécatombe continue sur nos routes. Des drames s’ajoutent aux drames. Il suffit de consulter les statistiques mortifères compilés au cours de la dernière décennie pour s’en convaincre : 139 morts en 2015, 144 en 2016, 157 en 2017, 141 en 2018 et… 131 en 2020.
17 décès (14 accidents mortels) ont été enregistrés depuis le 1er janvier 2025 contre 9 durant la même période l’année dernière. 579 accidents ont été recensés depuis le nouvel an. Parmi les véhicules impliqués, figurent 9 voitures, 6 poids lourds, un autobus et 11 deux-roues. Les 441 contraventions enregistrées le 31 décembre 2024 et le 1er janvier 2025 – dont 17 pour conduite en état d’ivresse et 150 pour excès de vitesse – sont symptomatiques du défi colossal qui attend l’Alliance du Changement dans sa quête d’inverser cette spirale négative.
« Ce n’est pas un remède miracle… »
Navin Ramgoolam n’a jamais fait grand mystère de sa volonté de réintroduire le permis à points, affirmant que son abolition était une erreur, en se fondant sur l’ « augmentation du nombre d’accidents de la route après l’abolition de ce système. » La série noire de ce début d’année l’a conforté dans cette idée. Il prend un pari politique risqué, mais le permis à point renaîtra bel et bien de ses cendres. Quand bien même, il évoque « les lacunes de l’ancienne version, notamment en ce qui concerne la récupération des points », l’ex-sergent Barlen Munisami, expert en sécurité routière, demeure un ardent défenseur du permis à points. Il salue la décision du gouvernement, en soutenant que « ce système est en vigueur dans de nombreux pays à travers le monde. Il est un mal nécessaire, un élément psychologique et dissuasif, mais il faudra revoir tout son fonctionnement avant son fonctionnement avec comme toile de fond, la hiérarchisation des offenses pour l’octroi des points. Se kinn fote gravman fode pas inkli dan permi a pwin. Il faut aussi des mesures pour inciter à la récupération des permis de conduire. »
Bien qu’il soutienne cette initiative, Alain Jeannot, président de l’association Prévention routière, souligne, pour sa part, que « la réintroduction du permis à points, qui a fait ses preuves dans de nombreux pays, ne devrait pas pour autant être considérée comme un remède miracle aux maux qui affligent nos routes. » L’ancien président du National Road Safety Council ajoute que « le système du permis à points ne sera véritablement efficace que s’il est accompagné d’une amélioration des infrastructures routières et d’un changement de comportement des conducteurs. Pour que le système réussisse, sa mise en œuvre doit être adaptée à la réalité des routes mauriciennes. »
Jayen Chellum, secrétaire général de l’Association des Consommateurs de Maurice (ACIM), soutient que « nos routes continueront de tuer si les différentes causes qui produisent les accidents ne sont pas identifiées et les solutions appropriées implémentées. Les causes sont multiples, dont le manque d’éducation des jeunes. Il faut faire en sorte que les radars soient aménagés dans les endroits appropries. »
Un nouveau système de permis progressif en 4 phases sera introduit
Le permis à points est encore au stade embryonnaire, mais on commence déjà à y voir un peu plus clair sur la batterie de mesures qui devraient être implémentées en vue de constituer la pierre angulaire du projet. À la lumière des réponses fournies par le ministre Osman Mahomed, vendredi, à la PNQ du leader de l’opposition, Joe Lesjongard, il ressort l’introduction d’un nouveau système de permis progressif en 4 phases, combiné à un tout nouveau système de radars capables de détecter de nombreuses infractions.
La PNQ axée sur les accidents de la route à Maurice a été instructive à plus d’un titre. « Au cours des 10 dernières années, le nombre de fatalités sur nos routes s’élève à 1482, un chiffre alarmant, hérité du gouvernement précédent dû à un manque d’engagement », a fait ressortir Osman Mahomed, en détaillant, dans la foulée, 16 mesures prévues pour mettre un terme à ce marasme, dont une révision immédiate des politiques de sécurité routière, avec l’appui de l’envoyé spécial des Nations Unies, Jean Todt.
Après avoir de nouveau tiré à boulets rouges sur l’ancien régime qui, dit-il, a « privilégié le populisme en retirant notamment le permis à points, au détriment de la sécurité routière », le ministre de tutelle a annoncé la mise en place d’un système de permis gradué en 4 phases pour mieux former les conducteurs. Les 4 étapes comprennent la période de préformation, un permis apprenti, un permis probatoire et un permis définitif.
La modernisation du système de radars et des caméras de surveillance était aussi au cœur du discours d’Osman Mahomed. Si le pays compte 63 radars pour détecter les excès de vitesses, 4 d’entre eux, hors service, ont été envoyés au Royaume-Uni pour réparation et devraient être opérationnels d’ici avril 2025. Un nouveau dispositif de détection sera mis en place pour non seulement sanctionner les excès de vitesse mais aussi d’autres infractions telles que le non-respect des feux-rouges et le non-port des ceintures.
Aussi, parmi les 16 mesures :
• La conversion de routes à voie unique en voies doubles, comme cela a été fait pour le tronçon La Vigie-SSR, sera également appliquée.
• La reconstitution du Conseil national de sécurité routière avec des experts et un programme visant à éliminer 45 zones qui pourraient provoquer des accidents de la route, ainsi qu’à réhabiliter 300 km de routes.
• La Traffic Management Road Safety Unit (TMRSU) sera modernisée et transformée en une agence nationale dédiée à la sécurité routière, avec l’utilisation de drones pour modéliser les embouteillages et l’introduction de campagnes de sensibilisation sur les comportements responsables.
• L’éducation routière sera renforcée avec l’introduction d’un programme obligatoire dans les écoles secondaires.
• Le National Road Safety Council sera réorganisé pour inclure des experts en sécurité routière.
• Une évaluation complète de la signalisation routière sera menée, dans l’optique de réinstaller les panneaux et marquages manquants.
• Les motocyclistes ne portant pas de gilet rétro-réfléchissant seront contraints de se rendre au poste de police, avant de pouvoir reprendre la route avec un équipement conforme.
Les taxis, les plus vulnérables
Noorruddeen Bahadoor (TPU) : « Le PM ne doit pas se précipiter »
Pour les taxis, la limitation de vitesse est un réel problème. Souvent, ils sont appelés à transporter des malades ou des touristes à l’aéroport. La question du permis à points revêt, donc, une importance capitale pour les taximen. Noorruddeen Bahadoor, représentant du Taxi Proprietors Union, demande au PM Navin Ramgoolam de ne « pas se précipiter pour réintroduire ce système sans avoir consulté les syndicats du transport, qui sont majoritairement des parties prenantes concernant ce projet. » Il prône l’ouverture de négociations collectives dans les plus brefs délais avec les autorités en vue de trouver une solution à l’amiable.
Noorruddeen Bahadoor dit comprendre que « la situation sur le taux des accidents mortels a pris des proportions alarmantes », sauf qu’il souligne que « Navin Ramgoolam réagit dans l’émotion sans évaluer les conséquences que le permis à points pourraient avoir sur notre secteur d’activité. Il y a d’autres solutions. Le système de cumulative offences est une bonne alternative. La 5ème infraction cumulative commise sur une période de 24 mois entraîne une interdiction de détenir ou d’obtenir un permis de conduire ou l’annulation de votre permis de conduire. Je propose de renforcer la période afin de conscientiser les automobilistes. Ce serait un signal fort. »
Les férus des deux-roues dans l’expectative
En première ligne du classement des chauffeurs qui risquent de récolter des points, on trouve les motocyclistes qui sont nombreux à ne pas croire dans la thèse selon laquelle le permis à points changera fortement le comportement des usagers de la route. Deux férus des deux-roues, Richard Gourel de Saint-Pern et Giovanni Alfred, président du Daimlers Moto Club, abondent dans le même sens sur la nécessité d’une refonte complète du système.
Giovanni Alfred, président du Daimlers Moto Club :
« Refonte du système, programme régulier et approche empathique »
« Il faudra une refonte complète du système. Il ne faut pas se voiler la face. Face aux sévères sanctions, ils seront quand même nombreux à rouler sans permis. Je pense que la réintroduction du permis à points doit s’accompagner d’un programme régulier visant à inculquer une culture de sécurité à ceux qui ont récolté un nombre de points conséquents, voire la totalité. Il est important de privilégier cette approche empathique car cette campagne de sensibilisation peut non seulement leur permettre de récupérer des points, mais également d’instiller la droiture sur nos routes. Un tour de vis radical des lois, se traduisant par obligation pour les motocyclistes d’être équipés de A à Z, est un must. Le permis à points n’a pas fait ses preuves ni à Maurice, ni à l’étranger, mais nous allons dire que ce n’est pas un pas vers un changement de mentalité. »
Richard Gourel de Saint-Pern, féru de moto :
« Il rendra les gens vigilants, sauf que… »
« Le permis à point rendra les gens vigilants. Très bien. Sauf qu’il y a fort à parier que cela n’arrivera que lorsqu’ils flirteront avec une éventuelle suspension de leur permis. Du coup, les écarts de conduite débouchant sur des accidents, graves ou pas, il y en aura avant que ne tombent les sanctions. Apres la mort la tisane, comme dirait l’autre. Si des lois elles-mêmes sont inaptes, le retrait des points n’a pas de sens à ce stade. D’autres questions méritent qu’on s’y attarde, comme la sensibilisation et l’éducation, avant la conduite et tout au long de la vie d’un usager de la route. Aussi, les motards de la police devraient être plus souvent mobiles, au lieu de se planter à chaque fois le long des routes munis de radars.»