- Me Pazhany Rangasamy, avoué, et Parmesh Pallanee, expert en téléphonie, contrent les arguments des autorités
À l’appel hier matin de la contestation de l’obligation imposée aux abonnés de téléphonie mobile de se soumettre au réenregistrement des Sim Cards, la cheffe juge, Rehana Mungly-Gulbul, qui avait à ses côtés le juge David Chan Kan Chong, a réitéré que le statu quo est maintenu dans cette affaire. De ce fait, les abonnés qui ne sont pas encore pliés aux directives de l’Information and Communication Technologies Authority (ICTA) ne devront entretenir aucune crainte de déconnexion des services de téléphonie cellulaire. D’ailleurs, le régulateur du secteur de la technologie des communications a fait part de sa décision à l’effet qu’il n’y aura aucune désactivation des cartes SIM qui n’auront pas été réenregistrées jusqu’à ce que la Cour suprême ait tranché ce litige. Par ailleurs, Me Pazhany Rangasamy, avoué et initiateur de cette contestation sur le plan constitutionnel de cette obligation imposée par l’ICTA, et un expert en téléphonie, Parmesh Pallanee, ont été appelés à la barre des témoins hier. Le témoignage de cet expert a le plus retenu l’attention, vu qu’il a étalé des dangers que représente le réenregistrement des cartes SIM.
Me Pazhany Rangasamy, avoué comptant une trentaine d’années d’expérience, a été interrogé par Me Sanjeev Teeluckdharry. Il dit aussi être engagé dans diverses causes sociales et dans la politique. Il a d’emblée fourni une explication sur le retard qu’il a pris pour loger sa plainte. En l’occurrence, c’est parce qu’il n’y a eu aucune suite à la plainte logée par Me Rama Valayden et l’activiste Ivor Tan Yan contre les Regulations de 2023 rendant obligatoire le réenregistrement obligatoire des cartes SIM qu’il s’est engagé à saisir les instances judiciaires compétentes.
Détenteur de deux portables, dont il dit se servir pour ses activités professionnelles et politiques, Me Rangasamy ne veut pas réenregistrer ses cartes SIM une nouvelle fois en fournissant aux autorités sa photo en couleur, vu que cette démarche porterait atteinte à ses droits constitutionnels, dont sa liberté d’expression, son droit à la vie privée et son droit inaliénable qu’il n’y ait aucune ingérence dans sa correspondance privée.
L’avoué affirme que sa photo et ses autres données seront conservées dans une base de données, qui est caractérisée par l’opacité la plus totale, et il craint que de tierces parties puissent y avoir accès. Il appréhende de fait une interception de ses communications privilégiées et confidentielles avec ses clients, ou une telle interception dans le cadre de ces activités politiques. Il fait ressortir que les Regulations contestées ne mentionnent rien sur la responsabilité légale d’une quelconque entité s’il y a fuite de ces données. Et ajoute qu’en cas de préjudice, il lui serait impossible d’obtenir réparation.
Me Rangasamy a également dénoncé l’absence de débats parlementaires sur ces Regulations de l’ICTA. Il a par ailleurs expliqué que le rapport Lam Shang Leen sur le trafic de drogue, utilisé comme prétexte par le gouvernement pour mettre en application ces Regulations, ne mentionne nulle part qu’il fallait procéder au réenregistrement des cartes SIM invariablement. Pour lui, il aurait été plus rationnel que le gouvernement diligente une enquête sur la manière dont des portables se retrouvent aux mains des détenus en prison, et comment ils arrivent à les recharger.
Il a ensuite été contre-interrogé par Me Geereesha Topsy-Sonoo, représentant les intérêts de l’État. Il a réitéré qu’aucune entité n’est venue de l’avant pour expliquer pourquoi il fallait une photo en couleur, qui est plus facile à manipuler, et que tout porte à croire qu’il y a un Hidden Agenda de la part du gouvernement.
À une question de l’avocate, lui demandant s’il était au courant que les opérateurs de téléphonie doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher tout accès non autorisé, comme préconisé par la Data Protection Act, et que ces entités ne peuvent fournir ces données aux autorités que sur l’ordre d’un juge en Chambre, Pazhany Rangasamy a rétorqué que ces mesures ne sont pas suffisantes. Il réitérera le fait qu’après une fuite de données, il sera trop tard pour réparer tout préjudice subi, vu que les Regulations ne font nullement mention de la responsabilité légale des opérateurs.
Pazhany Rangasamy a ensuite été contre-interrogé par Me Ravind Chetty, Senior Counsel, dont les services ont été retenus par Mauritius Telecom. Ce dernier a demandé au témoin s’il savait que MT était un Landline Operator (lignes fixes) et que les opérations de téléphonie mobile sont gérées par une subsidiaire. Ce à quoi le témoin a admis qu’il ignorait ce détail.
Il a également été contre-interrogé par l’avocate représentant Emtel, Me Jennier Konfortion. Celle-ci a argué que Emtel et les autres opérateurs ne conservent que les données qui leur ont été fournies par leurs abonnés et qu’ils ne transmettent pas ces données à d’autres opérateurs. Pazhany Rangasamy a néanmoins démenti qu’il y aura cloisonnement des données, et maintenu que l’authentification de la photo de l’abonné ne peut se faire qu’à partir de la Central Population Database sous le contrôle du gouvernement.
Ensuite, un expert en téléphonie, à savoir Parmesh Pallanee, a été appelé à la barre des témoins. Ce Software Engineer a expliqué qu’un portable comporte deux identifiants : l’IMEI (International Mobile Equipement Identity), qui est Inbuilt dans chaque portable, et la carte SIM. Si un abonné passe un appel, il peut être identifié par l’opérateur en téléphonie grâce à ces deux identifiants.
Or, la photo en couleur qui est désormais requise lors de l’exercice de réenregistrement constitue un troisième identifiant. Et avec les caméras du Safe City Network, il peut être possible de Monitor les mouvements de tout abonné de la téléphonie mobile.
Pourquoi faut-il une photo en couleur ? L’expert a expliqué qu’une telle photo permet l’identification biométrique de la personne. En outre, le processus d’identification des photos impliquera des entreprises étrangères. Dans toutes ces procédures, à aucun moment le consentement de l’abonné concerné n’est requis.
Les détails fournis par l’abonné lors de l’exercice de réenregistrement, photo comprise, sont soumis par l’opérateur en ligne à l’intergiciel (Middleware) de l’ICTA, basé au Government Online Centre, qui authentifie la photo à partir de la Central Population Database. Or, il faut des préposés pour maintenir cet intergiciel. Et à partir de là , il est à craindre que ces données ne soient « rerouted » ou « siphoned off » vers un usage malveillant. Les Hackers peuvent aussi être de la partie, vu qu’aucun système ne s’avère être Foolproof à 100%.
De son point de vue, l’expert souligne que l’opacité entourant cet intergiciel et le manque de sécurité sont des plus dérangeants. Une situation que l’expert a résumée comme étant « very dangerous ». L’affaire a été renvoyée au 22 mai, date à laquelle l’expert sera contre-interrogé par les avocats des autres parties.