Notre invité de ce dimanche est Ramalingum Maistry, président du conseil d’administration de la Mauritius Port Authority (MPA). Dans cette interview réalisée mercredi dernier, le président de la MPA donne sa version des faits concernant l’affaire du Wakashio, vante son bilan du port et répond, du bout des lèvres, à certaines critiques sur son administration.
Pourquoi est-ce que la Mauritius Port Authority a attendu douze jours, du 25 juillet au 6 août, pour envoyer des remorqueurs et des barges pour essayer de renflouer le Wakashio échoué sur les récifs de Pointe d’Esny et pouvant potentiellement provoquer une catastrophe écologique ?
– Avant tout, il faut faire ressortir que la MPA n’a absolument aucun lien et aucune responsabilité avec le Wakashio. La MPA est responsable des soixante kilomètres carrés d’eaux portuaires et de 410 hectares de partie terrestre du port, de Baie-du-Tombeau à Albion, ni plus ni moins. La MPA n’est pas responsable des eaux territoriales de Maurice et de sa zone maritime exclusive. Tout ce qui se passe en dehors de ce périmètre est sous le contrôle du ministère de la Marine.
Mais la MPA est la seule autorité locale qui possède des remorqueurs, des barges et le matériel — dont les flotteurs — pour intervenir dans le cadre d’un sauvetage en mer ou d’une marée noire…
– Premièrement, nos remorqueurs ne sont pas des bateaux de sauvetage en mer. Ils sont utilisés pour guider les bateaux, les transporteurs de conteneurs et les navires de croisière sur les chenaux de navigation et les faire accoster à quai, selon les dispositions sécuritaires que nous avons mises en place en suivant les règles internationales de l’International Maritime Organisation. Les remorqueurs de la MPA sont uniquement adaptés pour des activités maritimes dans l’espace portuaire. Deuxièmement, les équipements antipollution, dont les flotteurs, dont nous disposons ne sont utilisés que dans l’espace portuaire spécifiquement et ne sont pas adaptés en haute mer. En ce qui concerne le Wakashio, nous n’avions pas les équipements nécessaires pour essayer de le remorquer en haute mer. Néanmoins, comme il est normal en cas de problème national de collaborer, de soutenir les autorités dans la mesure du possible, dans le cas du Wakashio, nous avons décidé…
D’attendre douze jours pour intervenir.
– Mais pas du tout ! Une éventuelle intervention ne relevait pas de la responsabilité de la MPA. Ce n’est pas nous qui décidons d’envoyer ou de ne pas envoyer des équipements.
Qui a décidé dans ce cas précis ?
– Le ministère du Shipping, qui a fait appel à la MPA.
On peut vous demander quand ?
– Le 6 août. On a nous a demandé ce que nous pouvions faire pour aider dans ce problème concernant l’État mauricien. La MPA a donc déployé 310 mètres de barrage flottants, conçus pour être utilisés dans l’espace portuaire ; un craft recovery ; trois de nos quatre steamers et nos ressources humaines à travers le Port Master et son équipe. Dès que nous avons été sollicités, nous avons réagi. Nous avons reçu la demande le matin, nous étions prêts dans l’après-midi.
Mais avant d’avoir été sollicité, est-ce que face à la situation du Wakashio et la possibilité d’une marée noire dans le lagon, la MPA n’a pas pensé à proposer ses services et ses équipements pour faire face à la situation qui s’annonçait catastrophique pour le pays ?
– Depuis le 25 juillet, le CEO de la MPA était en contact avec les autorités concernées. Moi qui suis un non executive chairman, je ne pouvais pas intervenir.
Vous n’êtes pas en train de faire un grand numéro de « pa mwa sa, li sa » ?
– Absolument pas ! Le CEO de la MPA était en contact permanent avec les autorités concernées : le Shipping, l’Environnement et les garde-côtes qui suivaient l’évolution de la situation du Wakashio pour dégager une stratégie. La MPA était là pour aider, pour collaborer et apporter son expertise dans la mesure du possible avec le Port Master et son équipe. Nous avons fait ce qui devait et pouvait être fait. Notre conseil d’administration est entièrement satisfait de la collaboration de la MPA dans la gestion de l’affaire Wakashio, tout comme je le suis.
Êtes-vous également satisfait qu’on a laissé le Wakashio pendant douze jours sur le récif de Pointe d’Esny après son échouage ?
– Je ne vais pas répondre à cette question.
Elle aura été quand même posée ! Si la MPA n’est responsable que de ce qui se passe dans l’espace portuaire comme vous l’avez souligné, pourquoi est-ce qu’elle a envoyé le remorqueur Sir Gaëtan et la barge Ami Constant à Pointe d’Esny ?
– Si le remorqueur Sir Gaëtan n’était pas approprié pour stabiliser le Wakashio ou le tirer vers la haute mer, il pouvait, par contre, aider autrement dans le transfert de carburant ou aider à transporter les membres d’équipage, etc. De par la loi, le Port Master est habilité à envoyer les remorqueurs du port faire certains types d’opérations en dehors de la zone portuaire. C’est dans ce cadre que le Sir Gaëtan a été déployé à Pointe d’Esny.
Ce type de travaux n’aurait-il pas pu avoir été effectué par le remorqueur et la barge avant le 6 août ?
– Il faut savoir que contrairement aux opérateurs privés du port, la MPA ne possède pas de barge. Ils ont fait savoir au comité national de coordination qu’ils pouvaient déployer des logistiques dont une barge non motorisée et le Sir Gaëtan l’a transporté à Pointe d’Esny. Toujours dans un esprit de collaboration. Pour le retour du remorqueur et de la barg,e une enquête étant en cours en sus d’une affaire en cour de justice, je ne pourrai pas en dire plus à ce stade.
On vous pose quand même la question : qui a décidé de faire remorquer la barge la nuit de Pointe d’Esny à Port-Louis par mauvais temps ? Quelle était l’urgence qui a motivé cette opération ?
– Je viens de vous dire que je ne peux pas faire de commentaires sur cette opération pour les raisons expliquées. Je souligne aussi que sous la Port Act le capitaine du port a les pleins pouvoirs pour gérer le port et ses remorqueurs, et que je n’ai pas à fourrer mon nez dans ses affaires. Je suis là pour appliquer la politique du gouvernement et je suis responsable de la mise à exécution des projets enclenchés, pas pour surveiller le travail journalier du Port Master.
Si vous n’êtes pas responsable du travail journalier du port, pourquoi êtes-vous allé à la télévision, mardi soir, expliquer comment on pompait l’essence de l’épave du remorqueur le Sir Gaëtan? Ces explications ne tombent sous la responsabilité du président de la MPA !
– Tout ce que j’ai dit à la télévision, je l’ai fait à partir des informations données par ceux qui sont responsables de l’opération. La MPA a communiqué les informations travaillées par l’équipe technique. J’ai été son porte-parole.
Si nous ne pouvons pas parler des circonstances du drame de Poudre d’Or, qui a fait trois victimes et un disparu pour cause d’enquête en cours, nous pouvons parler d’autre chose. Par exemple, de l’interview qu’Alain Malherbe a accordée la semaine dernière à Week-End critiquant plusieurs aspects de la gestion du port. Que lui répondez-vous ?
– Premièrement et malgré tout le respect que j’ai pour lui, M. Malherbe n’est pas une référence en matière portuaire…
l Ça, c’est votre opinion personnelle sur M. Malherbe. On vous interroge sur ses propos concernant la gestion du port.
– Ses propos ne sont pas fondés. Il ne connaît pas la réalité du port.
Où pourtant il travaille depuis quarante ans ! Il disait, entre autres, dimanche dernier dans nos colonnes, que Port-Louis est beaucoup plus cher que ses concurrents dans la région
– Nous sommes le port le plus compétitif de la région parce que nous avons mis en place un programme de modernisation de nos infrastructures avec les investissements adéquats et avons de grands projets pour l’avenir. Depuis 2015, nous avons fait d’énormes progrès en creusant en profondeur le chenal de navigation, en agrandissant le quai de conteneurs ainsi que l’aire de stationnement des conteneurs. Tout cela a augmenté notre compétitivité et nous a permis d’atteindre des chiffres records en matière de transbordement. Nous ne sommes pas forcément plus chers que nos concurrents. Si c’était le cas, nous n’aurions pas enregistré une croissance soutenue depuis les cinq dernières années, dans tous les secteurs d’activité : segment croisière, segment transbordement, segment conteneurs captifs et segment pêche.
À vous écouter, Port-Louis est un port exemplaire, un port modèle sans aucun problème !
– Nous avons évidemment des contraintes et des défis à relever. Pour nous, le plus important est de maintenir notre compétitivité pour que le port de Port-Louis devienne, effectivement, une passerelle par excellence pour les activités de transbordement, d’où de gros investissements dans plusieurs domaines. Si, comme certains le disent, le port n’était pas compétitif, nous n’aurions pas enregistré une croissance soutenue au cours des dernières années. Nous sommes en train de nous organiser pour diminuer le poids de l’administratif dans les démarches pour les navires qui viennent se ravitailler en fuel ou changer d’équipage à Maurice. Pour le moment, il faut suivre plusieurs formalités et s’adresser à plusieurs guichets/ministères/autorités, ce qui augmente le temps que les bateaux passent dans l’espace portuaire. Nous allons diminuer ce temps en mettant en place un système de guichet unique — le single maritime window — pour ce type de démarches, ce qui va faire que nous allons diminuer nos coûts et devenir plus compétitifs encore.
Revenons-en au journal parlé de la MBC de mardi où, avant vous, le Premier ministre faisait une déclaration. Il a reconnu que malgré le confinement, la drogue continuait à arriver à Maurice dans des conteneurs. Conclusion logique : les systèmes de contrôle de la MPA laissent à désirer…
– Ah non ! Comme je vous l’ai dit initialement, la MPA est une institution régulatrice, de contrôle et d’aménagement des infrastructures, de la sécurité et des services maritimes du port. Après, il y a la Cargo Handling Corporation, le CCID, l’Anti Drug Smugling Unit, la MRA, tout ça pour faire le scanning des conteneurs.
Encore une fois, on a l’impression que vous êtes en train de me faire un numéro de « pa mwa sa, zot sa ». Qu’a fait la MPA pour lutter contre l’introduction de la drogue à Maurice par voie maritime, dans des conteneurs, comme le disait le Premier ministre ?
– Notre travail consiste à mettre les security fencing pour clôturer l’espace portuaire et placer des caméras de surveillance. D’ailleurs, je vous signale qu’une nouvelle génération de caméras va être bientôt installée dans l’enceinte portuaire. Le problème de l’introduction de la drogue dans le pays est l’affaire de tous et chacun doit assumer la part de responsabilité qui lui revient. Nous faisons la nôtre.
Revenons sur l’interview d’Alain Malherbe. Il disait que la MPA semble avoir une préférence pour accorder des contrats dans le port à Dive Solutions, une compagnie avec des capitaux étrangers, aux dépens d’Imersub, une compagnie totalement mauricienne. Votre explication ?
– Depuis 2012, le ministère de l’Environnement est venu avec une nouvelle loi sur le contrôle des activités qui se font sous l’eau. Dans la méthodologie d’Imersub pour nettoyer les coques de bateau, utilisée depuis 2004, tous les résidus sont déversés dans la mer. À partir de 2012, nous avons mis en application la nouvelle loi du ministère de l’Environnement pour protéger l’habitat marin. Mais comme on ne pouvait pas demander à Imersud de changer de méthode de nettoyage du jour au lendemain, le responsable du port a donné à l’entreprise un délai pour acquérir un nouveau système et l’autorisation de faire deux opérations par mois, selon l’ancienne méthode. La compagnie a eu des problèmes pour investir dans un nouveau système et a pris du temps, que la MPA a accepté pour des raisons humanitaires jusqu’en 2017. Cette année-là, Imersud a proposé un nouveau système de nettoyage. À la MPA, nous avons la responsabilité d’attribuer le permis d’opération à condition d’avoir un clearance du ministère de l’Environnement. Le ministère a refusé d’attribuer le clearance à Imersub parce que son système ne correspondait aux normes établies.
Mais est-ce que l’autre compagnie, qui a obtenu tous les contrats, dispose d’un système qui correspond aux normes du ministère de l’Environnement ?
– Pour nous à la MPA, plus il y a d’opérateurs, plus cela est dans l’intérêt du port et augmente sa compétitivité. L’autre compagnie a présenté son projet avec son système et a obtenu son permis après le clearance du ministère de l’Environnement. C’est tout ce que peux vous dire sur cette affaire. Si vous me posez d’autres questions sur l’autorité portuaire, je vous réponds sans hésiter en assumant mes responsabilités.
Alors, dites-nous pourquoi le CEO de la MPA ne s’exprime pas sur toutes les questions d’actualité dans le port en vous laissant, vous, le non executive chairman, le faire sa place ?
– C’est à lui que vous devez poser la question.
Depuis samedi, le ministre de l’Agroalimentaire est également ministre de la Marine, donc de la MPA
– Pas du tout. Il ne faut pas confondre les choses. La partie maritime du ministère du Shipping et de l’Économie bleue a été confiée à Maneesh Gobin. La MPA relève du ministère du Port, portefeuille qui est détenu par le Premier ministre. Ma responsabilité est de mener à bien la politique décidée par le gouvernement pour moderniser et rendre plus attractif et compétitif le port de Maurice. Tout est fait pour promouvoir le port de Maurice, qui a un gros potentiel. Tout est fait pour augmenter la visibilité, l’audibilité, la lisibilité et la connectivité du port de Maurice. Je voudrais ajouter que je suis, depuis deux ans, le président de l’association des ports de cette région de l’océan Indien et hier, à l’assemblée générale, j’ai été reconduit dans cette fonction pour un nouveau mandat de deux ans. C’est une reconduction qui signifie que mes confrères de la région ont confiance dans mon travail et mes convictions.
Est-ce que ce qui s’est passé à Pointe D’Esny et à Poudre d’Or ne risque pas de porter atteinte à l’image du port de Port Louis et ses responsables ?
– Ces accidents et leurs conséquences peuvent malheureusement se passer n’importe où dans le monde. Nos partenaires et nos utilisateurs sont au courant de tout ce qui s’est passé. Notre remorqueur a été chartered par le ministère du Shipping pour remorquer une barge non motorisée. Quand à l’accident et à ses circonstances, cela relève de l’enquête qui est en cours et sur laquelle, comme je l’ai déjà dit, je ne peux faire aucun commentaire.
Une question personnelle pour continuer : vous êtes surtout connu pour avoir changé de couleur politique, passant du bleu à l’orange, pour garder votre poste de président de la MPA. Ça vous gêne quand on vous rappelle cet épisode de votre parcours ?
– Absolument pas, mon cher ami. Je ne renie rien de mon passé. J’ai agi démocratiquement. Je n’étais pas d’accord avec les raisons évoquées pour que le PMSD quitte le gouvernement en 2016. D’ailleurs, j’avais organisé une conférence de presse pour expliquer en long et en large mes raisons pour ne pas quitter le gouvernement. Et les faits m’ont donné raison par la suite. Cela étant, je ne voudrais pas entrer dans le domaine politique en raison des fonctions que j’occupe.
Ce qui ne vous empêche pas d’être membre du MSM !
– Je suis un simple membre du MSM, je ne fais pas partie de ses dirigeants. Mais j’ai le droit d’avoir des convictions politiques…
Changeantes puisqu’elles peuvent passer du bleu à l’orange, du PMSD au MSM, du jour au lendemain !
– Mais il y a eu d’autres choses dans ma vie politique, tout de même ! Je suis un enfant de la classe laborieuse qui a travaillé dans divers ministères, qui a été maire de Beau-Bassin/Rose Hill. Je viens de loin et je crois qu’une des choses les plus importantes dans la vie c’est la volonté d’apprendre. Et je l’ai encore, cette volonté. Quand j’ai été nommé à la tête de la MPA, je suis allé suivre des cours de management stratégique à Londres pour me préparer en suivant un crash course.
Avez-vous l’intention, le désir, de revenir un jour à la politique active ?
– L’avenir nous le dira. Je n’ai que 56 ans et un bon parcours derrière moi depuis 1983.
Ajoutons cette toute dernière question. Samedi matin suite à votre déposition à la police, contre les syndicalistes de la MPA qui ont manifesté à Port-Louis et réclamé votre démission. Seriez-vous contre les manifestations syndicales, vous qui venez de nous dire que vous êtes un démocrate ?
– Pas du tout. Dans une démocratie, il est tout à fait normal que les syndicats revendiquent et manifestent. Mais dans le cas qui nous occupe, le conégociateur du syndicat a tenu lors de cette manifestation des propos diffamatoires à mon égard. Ces propos portent atteinte à mon intégrité, à ma réputation et à celle de la MPA, ce que je trouve inconcevable, et j’ai réagi en allant faire une déposition contre cette personne à la police.