Notre invité de ce dimanche est Raj Ramlagun, ancien cadre d’Air Mauritius et ancien porte-parole des petits actionnaires de la compagnie d’aviation nationale. Dans l’interview qui suit, il propose son analyse sur la situation à MK et commente la récente conférence de presse du président du conseil d’administration de la compagnie.
l La mainmise du gouvernement sur Air Mauritius a-t-elle toujours existé ou est-elle en train d’augmenter ?
— Elle a toujours existé, dans la mesure où ce sont des politiciens qui, en général, ne connaissent rien à l’aviation et donnent carte blanche à des nominés qui font ce qu’ils veulent. Ces nominés politiques ne sont pas là pour veiller aux intérêts de la compagnie, mais aux avantages personnels qu’ils peuvent tirer de leur position, ce qui a conduit la compagnie là où elle se trouve aujourd’hui. C’est un système que certains syndicalistes et certains journalistes ont protégé et consolidé jusqu’à son effondrement. Les politiciens sont forts pour promettre un changement drastique, mais quand il s’agit de changer, ils font pareil, sinon pire, que ceux qu’ils ont remplacés. C’est après avoir mis à la porte ceux qu’ils ont dénoncés qu’ils se mettent à la recherche de remplaçants et, dans certains cas, ne les trouvant pas, ils embauchent leurs copains et leurs copines non expérimentes, et on revient au point de départ. Ils dénoncent les erreurs de leurs prédécesseurs sans régler les problèmes qui continuent à exister et s’accumulent. Si depuis quatre mois on se contente de dénoncer les erreurs du passé tout en les répétant, c‘est déjà trop. Le changement, c’est aussi dans l’action, dans le choix des personnes crédibles, compétentes et intègres qui donnent l’exemple et motivent les autres en termes de comportement. Mais à MK, ce n’est pas le cas jusqu’à maintenant.
l Pourquoi le principal actionnaire de MK, le gouvernement, semble-t-il déterminé à faire appel à des personnes qui ont participé, au cours des années passées, à l’écroulement de la compagnie, comme le démontre la composition de son actuel conseil d’administration ?
— Nos dirigeants politiques n’ont pas de contact avec l’île Maurice profonde et ses attentes, leur lien passant par des intermédiaires. Ces intermédiaires, qu’ils écoutent aveuglément, sont des personnes qui leur ont rendu des services ou financé leurs campagnes, et leurs conseils sont loin d’être désintéressés et dans l’intérêt de la compagnie. Question : est-ce que si MK appartenait à Navin Ramgoolam il choisirait pour la gérer ceux-là mêmes qui l’ont fait du temps où Pravind Jugnauth était PM ? Pas du tout. Il mettrait à la tête de la compagnie des personnes d’expérience, dont le passé et l’intégrité ne peuvent être mises en doute pour faire marcher la compagnie et rapporter des profits. Il ne le fait pas parce que ce n’est pas son argent personnel qui est en jeu, donc, il nomme des gens en se basant sur leur loyauté, leur fidélité avant leur expérience. Tous les Premiers ministres ont fait la même chose et c’est pourquoi depuis 2000 Air Mauritius a eu une saga de CEO.
l C’est quoi la saga des CEO de MK ?
— Le Mauricien a la mémoire courte ! Il a oublié que de 2000 à 2025, Air Mauritius a eu douze CEO, sans compter ceux qui ont fait l’intérim entre un renvoi et une nomination ! Car tous ces CEO ont été tous renvoyés avant la fin de leur mandat. Voici la liste : Vijay Poonoosamy ; Vinod Sidambaram ; Megh Pillay ; Nirvan Virasamy ; Manoj Ajodah — qui avait comme un ex-CP un contrat renouvelé tous les mois ; Raj Bunsgraz qui n’est resté que quelques semaines ; André Viljoen qui a d’abord fait l’intérim puis nommé CEO, avant d’être renvoyé, suivi par le retour de Megh Pillay, que Lakwizinn fait partir après six mois ; Somas Appavoo arrive puis repart, c’est le Covid et MK entre en administration volontaire, et c’est Sattar Abdoolah qui prend les commandes avec le soutien de Sherry Singh, alors membre de Lakwizinn. En 2021, on crée Airport Holding Limited, qui englobe Air Mauritius, avec Ken Arian à sa tête. Suit alors Krešimir Kučko, qui sera suspendu, puis renvoyé avec un package, remplacé par Laurent Recoura, qui après avoir été aux Finances fait le job de CEO, et puis arrive Charles Cartier, nommé par Lakwizinn pratiquement à la veille des élections. Comment voulez-vous qu’une compagnie commerciale puisse fonctionner dans des conditions pareilles ! 12 CEO, sans compter ceux qui ont fait l’intérim entre deux nominations et qui ont tous été renvoyés en 25 ans. On a aussi eu un défilé de consultants, grassement payés dans tous les domaines — avec commission à la clef ? — pour expliquer au personnel ce qu’il fait depuis des années. Ils sont non seulement venus nous enseigner ce que nous savions déjà, mais chacune de leurs missions a coûté les yeux de la tête à la compagnie. Il ne faut pas oublier les présidents qui sont aussi révocables que les CEO, encore que certains savent très bien se débrouiller politiquement pour rester en place et profiter des avantages de la fonction sans jamais être inquiétés. Et malgré tout, tant bien que mal, grâce à son personnel, MK continue à voler
l Vous n’êtes pas sans ignorer que beaucoup disent que vous critiquez ouvertement la gestion d’Air Mauritius dans l’espoir d’être nommé là-bas. Ki pou pe rod ou bout. Est-ce que c’est ça le but de vos critiques et prises de position publiques ?
— Je ne suis pas à la recherche d’un bout, sinon, j’aurais accepté les propositions qu’on m’a faites dans le passé. Savez-vous qu’à un moment on m’a déjà proposé un job de consultant pour me faire taire, pour me museler. Je ne dirai pas non à une proposition pour aider à faire redécoller Air Mauritius, mais avec beaucoup de conditions.
l Avec votre expérience d’ex-employé, de porte-parole des petits actionnaires minoritaires, quelle est la principale maladie de la compagnie Air Mauritius ?
— Le fait que les gouvernements successifs ne comprennent pas l’enjeu et l’importance de MK pour le pays — à travers l’argent des contribuables — et ses employés. Je pense qu’ils le font de manière délibérée parce que MK c’est une vache à lait qui rapporte énormément en termes de commission, car l’achat d’un Airbus se chiffre en milliards. Il en est de même pour l’achat de tous les équipements et matériaux nécessaires au fonctionnement d’une compagnie aérienne. C’est une chaîne de contrats à distribuer, ce qui explique qu’on se batte pour avoir le contrôle sur leur attribution. Est-ce une coïncidence si au début et à la fin de chaque mandat on ouvre le dossier des achats d’avion ?
l Que pensez-vous de la nomination de Kishore Beegoo, qui aurait refusé le poste de CEO, à celui de président du conseil d’administration ?
— Je n’ai rien contre M. Beegoo, qui est un excellent businessman, dans sa compagnie privée, pas à Air Mauritius. Une compagnie nationale d’aviation ne se gère pas comme une compagnie privée capable de faire beaucoup de choses pour augmenter son chiffre d’affaires. Une compagnie comme MK ne peut prospérer sans une stabilité certaine entre sa direction et son personnel. Il faut réinstaurer la confiance des employés et des passagers de la compagnie. Il faut empower le personnel, lui permettre de travailler dans les meilleures conditions possibles pour qu’il donne de meilleurs résultats. Il faut un changement d’attitude et de valeurs pour éviter de replonger dans la pourriture des dernières années. Il faut aussi que l’information circule en interne, ce qui n’est pas le cas. Est-ce qu’en interne on sait à quel point la situation financière de MK est critique ? Est-ce qu’on sait que MK n’est pas en convalescence, elle encore en ICU et il faut prendre rapidement des mesures face à la situation ?
l N’existe-t-il pas parmi les employés d’Air Mauritius des employés jeunes ayant suffisamment d’expérience et de talent pour faire le travail que l’on est en train d’offrir à des retraités ?
— Des retraités dont, il faut le souligner, certains ont été renvoyés d’Air Mauritius ! Le délestage de 2020 a créé un problème parce que dans l’aviation, il y a une expérience qu’on ne peut acquérir que sur le terrain, dans la pratique, pas uniquement sur les bancs d’une université. Les retraités peuvent donner un coup de main certes, mais il faut que ce soit dans des domaines précis et pour une durée déterminée. Il ne faut pas donner le sentiment qu’ils reviennent prendre leurs postes et que ceux qui les occupaient depuis ne servaient à rien. Vous pensez que ça va encourager les employés à donner le meilleur d’eux-mêmes ? MK c’est une pépinière, pour s’en convaincre, il suffit de regarder le nombre d’anciens employés qui occupent des postes de responsabilité dans les compagnies internationales. Il y a peu de compagnies qui, comme Air Mauritius, ont autant de compétences parmi ses employés, mais au fil des années, grâce à la complicité des politiciens et des nominés politiques, ce personnel a été réduit à un rôle de subalterne, qui les a démotivés, les a poussés à ne plus prendre des responsabilités et d’initiatives.
l Dass Thomas a été annoncé, par le Premier ministre, comme CEO de MK. Puis, on a découvert qu’il avait commis un acte dans un tournoi de golf qui lui interdisait cette nomination, tout en étant membre du conseil d’administration d’Air Mauritius. Il a été ensuite nommé à la tête d’une compagnie qui contrôle Air Mauritius ! Vous comprenez la logique de cette opération ?
— Comme tout le monde, je me pose des questions. En sus de celle que vous venez de poser, je constate que l’actuel président d’Air Mauritius est propriétaire d’une compagnie qui travaille avec MK, ce qui peut mener à un potentiel conflit d’intérêts. Tout cela ajoute à la confusion et à la mauvaise image de la compagnie. Le Premier ministre doit dire de façon claire que MK est une compagnie, un fleuron de l’État et que toutes les décisions prises doivent l’être dans l’intérêt de la compagnie, des intérêts du pays et de ses employés. Je sais que le gouvernement est entouré de lobbies, qui sont experts dans les caresses dans le sens du poil et qui, après avoir aidé pour les élections, réclament leur part, leur bout. C’est aux politiciens qui ont fait du changement et de la rupture avec le passé leur thème de campagne électorale de faire ce qu’ils ont promis. Ils doivent walk the talk. Sinon, le prix politique sera très lourd à payer.
l Que pensez-vous du fait que l’on ne puisse pas poser des questions au gouvernement sur MK au Parlement ?
— C’est inacceptable ! Il faut que les députés puissent poser des questions sur MK sans qu’on leur réponde que c’est une compagnie d’État et pour des raisons stratégiques, etc. Il faut amender les lois pour que les députés puisent poser des questions sur le fonctionnement de la compagnie nationale. Rezistans ek Alternativ, qui est le fleuron du militantisme, de la démocratie et de la transparence, devrait initier une action pour amender la loi et rendre les compagnies d’État accountable au moins deux fois par an face à un comité de parlementaires et, poussons plus loin la transparence et le démocratie, auquel le public intéressé et les syndicalistes pourraient assister et participer.
l Il y a beaucoup de cas d’employés suspendus par la direction. Prenons celui de Yogita Baboo, qui a été renvoyée dans des conditions inacceptables…
— Mais il n’y a pas seulement Yogita, qui a été victime du management. Ils sont plusieurs dans ce cas. Il faut faire des enquêtes pour savoir pourquoi ils ont été suspendus et comment les réhabiliter, s’ils le désirent. Pour ce faire, il faut un département de HR engagé qui fasse son travail, car l’aviation c’est une people intensive industry. Puisque nous parlons de suspensions… Chaque CEO a nommé son protégé et, bien souvent, pour ne pas dire toujours, en le faisant passer sur la tête d’employés plus compétents et avec de longues années de service. Je pense en particulier à celui qui avait été nommé par Ken Arian comme CO Manager et contre qui de nombreuses plaintes ont été faites, sans aucune suite. Cette personne est suspendue depuis deux ans et touche son salaire en attendant une enquête en cours et il paraît qu’il y ait un lobby pour le blanchir et le faire revenir à MK ! Il faut un changement d’attitude et de valeurs pour éviter de replonger dans la pourriture des dernières années.
l Une valise d’une VVIP de l’ancien gouvernement a été retrouvée parmi les bagages d’un équipage de MK à Londres. La direction de MK a fait publier un long communiqué pour dire qu‘il n’y avait de problème…
— C’est un problème grave. Il ne suffit pas de faire publier un long communiqué pour dissiper les doutes, au contraire. Cette affaire révèle une carence inacceptable dans la ligne de sécurité d’une compagnie aérienne et d’un aéroport international. Ce n’est pas qu’un problème de procédure non respectée, mais une grave atteinte à la sécurité et à la sûreté, et elle est suivie de près par les instances de l’aviation internationale.
l Quelques jours après, à Paris, au cours d’un test de routine, un chef de cabine de MK est testé positif pour avoir ingurgité des médicaments interdits…
— On me dit que ce membre du personnel prend des médicaments sous ordonnance médicale. Si c’est le cas, cela devrait avoir été signalé aux autorités compétentes. Est-ce que cela a été fait ? Dans les deux cas cités, des enquêtes s’imposent, car les faits touchent à l’image de la compagnie. Il faut que ces enquêtes soient menées de manière professionnelle par le département des ressources humaines afin que ses conclusions soient respectées.
l Un nouveau responsable de communications vient d’être nommé à Air Mauritius en la personne de Joël Toussaint. Que vous inspire cette nomination ?
— On dirait que la nouvelle direction de MK met l’accent sur la communication, car elle sait qu’elle a une mauvaise image. Je constate que lorsqu’Atma Bumma avait été nommé à ce même poste, cela avait provoqué un tollé et une levée de boucliers qui n’a pas eu lieu dans le cas de Joël Toussaint. On dirait qu’en bon communiquant, il soigne bien son image sur les réseaux sociaux. Je pense que la priorité d’une compagnie qui n’a qu’une dizaine d’avions ne doit pas être de nommer un directeur de communication. D’autant qu’il faut rappeler que Joël Toussaint a travaillé pour Air Mauritius de 2001 à 2005, sans laisser un souvenir impérissable dernière lui, et que c’est le régime travailliste de l’époque qui l’avait renvoyé de la compagnie.
l Vous dénoncez les membres du board qui bénéficient de billets d’avion gratuits. Mais est-ce que vous-même, en tant qu’ex-employé d’Air Mauritius, vous ne bénéficiez pas de certains avantages en termes de billets ?
— Merci pour cette question que l’on chuchote derrière mon dos. Les billets dont disposent le personnel de MK font partie d’une politique pratiquée par toutes les compagnies aériennes du monde, selon des règles bien précises. Par rapport à mon statut d’ancien employé, je dispose d’un quota que j’utilise en suivant des conditions précises, la première étant que le client qui a payé son billet a priorité sur l’employé. Si MK veut jouer la transparence, elle n’a qu’à publier les conditions dont bénéficient les employés en termes de billets d’avion, mais aussi celles du management et des membres du board qui ont cet avantage d’office et à vie. Il faut souligner que jeter le blâme sur les petits employés est une tactique souvent utilisée pour faire oublier de gros manquements de la direction de la compagnie.
l Cette interview a été réalisée jeudi et lendemain, le président du conseil d’administration d’Air Mauritius a tenu une conférence de presse. Quel est votre commentaire sur cet exercice de communication ?
— Il serait intéressant que le grand communicant qui vient d’être recruté dise ce qu’il pense de la prestation de son président. Il y a trois personnes qui sont censées gérer Air Mauritius en attendant la nomination d’un CEO, le secrétaire du Cabinet, M. Seebaluck, Dass Thomas et Kishore Beegoo. C’est le dernier nommé qui a animé la conférence, donnant l’impression qu’il est de facto le PDG de la compagnie et que le board n’a rien à dire. Cette conférence était censée annoncer un plan de relance pour le sauvetage d’Air Mauritius. À la place j’ai entendu dire que des anciens allaient venir donner un coup de main, que des blâmes ont été faits contre ceux qui ont quitté la compagnie mais, curieusement, une médaille a été attribuée à Charles Cartier, qui avait été invité à prendre la porte de sortie. Alors que l’aviation est une industrie où le HR et ceux qui sont au frontline jouent un rôle de premier plan, des paroles blessantes ont été dites contre cette catégorie de personnel. Elle n’a eu droit à aucun mot pour reconnaître le travail qu’elle fait dans des conditions de plus en plus difficiles.
l En fin de compte, vous n’avez pas été impressionné par cette conférence de presse ?
— Il aurait fallu présenter le nouveau CEO, motiver les troupes, ce qui n’a pas été fait, l’accent ayant été mis sur ce qui ne marche pas. Après cette conférence de presse, il y aura plus de démotivation et de désillusion dans la mesure où M. Beegoo donne l’impression que c’est seulement le Top Management qui fait bien le boulot à Air Mauritius. Je ne comprends pas comment il a pu révéler le montant des allowances des équipages sans faire la même chose pour les avantages du Top Mangement. Comme je l’ai dit avant, nous n’avons pas besoin d’un Elon Musk à Air Mauritius, mais de quelqu’un qui comprend la compagnie, l’industrie de l’aviation, les enjeux pour la survie tout en sachant motiver et encourager le personnel. Cette conférence de presse a créé beaucoup d’indignation au niveau des employés qui ont été blessés par le ton et les propos du président du conseil d’administration. J’ai été choqué par son arrogance et j’espère que les syndicats vont réagir. J’ai l’intention d’écrire au Premier ministre pour dire mon sentiment sur le nouveau board de MK, la structure de la compagnie et le fait qu’on est en train de répéter les erreurs du passé. C’est à lui qui nous a promis le changement et la rupture avec le passé de prendre les décisions qui s’imposent à Air Mauritius. La balle est dans son camp : c’est le moment pour lui de walk the talk !