Radhakrishna Sadien (président de la State and Other Employees Federation) : « Implication des travailleurs dans la prise de décision à tous les niveaux »


Dans une interview accordée à Le-Mauricien cette semaine, le président de la State and Other Employees Federation, Radhakrishna Sadien, plaide en faveur de l’implication des travailleurs dans la prise de décision à tous les niveaux. « Lorsque nous abordons les grands problèmes qui affectent la société mauricienne, tels que l’environnement, la drogue, le changement climatique, la digitalisation dans la fonction publique…, tout cela concerne les travailleurs. Or, le syndicat a un rôle à jouer dans tout ce qui touche les travailleurs. Il est malheureux que jusqu’à maintenant, les syndicats n’aient pas encore été Taken on Board. C’est pourquoi je plaide pour l’implication des travailleurs dans la prise de décision à tous les niveaux », lance-t-il.

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Il propose par ailleurs que le budget 2025-26 corrige ce qu’il considère être une injustice causée aux employés touchant plus de Rs 50 000 et qui n’ont reçu ni de 14e mois, ni de compensation salariale. Il demande que le plafond soit porté à Rs 100 000. Il demande finalement que la lettre-circulaire émise dans la fonction publique pour annoncer qu’aucun nouveau poste ne sera créé durant la prochaine année financière soit revue.

Cela fait déjà trois mois que le gouvernement est en place. Quel est votre constat ?

Il est indéniable que la population voulait un changement. Les résultats des élections le démontrent clairement. La grande majorité des Mauriciens n’en pouvait plus avec le système institué par l’ancien gouvernement et en était exaspérée. L’autocratie avait remplacé la démocratie. De plus, la gestion du pays péchait par l’absence de bonne gouvernance, par des ingérences gouvernementales dans les institutions, la corruption rongeait le pays. Les Mauriciens avaient le sentiment que leurs droits fondamentaux n’étaient plus respectés.
À Maurice, lorsque la population atteint ce niveau d’exaspération, elle se tourne vers une alternative en vue de changer le système. Les personnes qui la composent importent peu. Beaucoup de députés élus n’étaient pas nécessairement connus des électeurs. Une fois qu’ils étaient satisfaits avec le leadership de cette alternative, notamment le leader et le leader adjoint de cette alternance, en l’occurrence Navin Ramgoolam et Paul Bérenger, ils n’ont pas hésité à condamner l’ancien régime.
L’arrivée du nouveau gouvernement a été accueillie comme une bouffée d’oxygène. La population peut désormais respirer. Elle ne craint plus de parler alors qu’auparavant sa voix était étouffée par un climat de suspicion et de peur. Même lorsque certains fonctionnaires adressaient leurs doléances concernant leur travail, ils voulaient garder l’anonymat par peur d’être victimisés. Nous avons vu comment des syndicalistes ont été suspendus dans certaines institutions. Il s’agit maintenant de sécuriser la population et de la rassurer en lui montrant que le système est différent de celui qui existait auparavant.
Tout se passe pour le mieux jusqu’ici. Lorsqu’un gouvernement arrive au pouvoir, il lui faut un peu de temps pour s’installer, bien comprendre son environnement et mettre en place son programme d’autant qu’il y a plusieurs partis au pouvoir. Le changement intervient graduellement. Une institution aussi importante que celui du Directeur des Poursuites Publiques a retrouvé sa totale indépendance. La démocratie parlementaire est désormais rétablie, les élections municipales auront lieu bientôt et les nouveaux électeurs et ceux dont les noms ont été enlevés de la liste électorale ont la possibilité de se faire enregistrer après la publication du Writ électoral.
Le gouvernement doit assurer la population quant à sa volonté de changer le système. Il doit également veiller que les personnes placées à la tête des organisations gouvernementales et des institutions publiques ne manifestent pas de signes d’arrogance. Cela risquerait d’effrayer les fonctionnaires et les Mauriciens en général. Les messages transmis par le Premier ministre dans le cadre des débats parlementaires sur le programme gouvernemental, dans son intervention de fin d’année ou encore à l’occasion de la fête nationale du 12 mars, sont clairs. Il a parlé de démocratie participative et dit qu’il compte gouverner dans la transparence en promettant de faire un rapport régulier sur l’évolution de la situation dans le pays.

Quel rôle les syndicats sont, selon vous, appelés à jouer dans le nouveau système ?

Il faut reconnaître que le nouveau gouvernement a hérité d’une situation économique catastrophique. L’état de l’économie présenté par le Premier ministre dès la fin de l’année dernière l’a bien démontré. Les ministres et parlementaires en ont parlé au Parlement. Il faut maintenant encourager les Mauriciens à travailler. Nous sommes tous en faveur d’un changement de paradigme et de système, mais cela doit se faire dans le dialogue en ligne avec la politique annoncée du gouvernement. Il est important que la société civile, les employeurs, les syndicats soient impliqués.
Lorsque nous abordons les grands problèmes qui affectent la société mauricienne tels que l’environnement, la drogue, le changement climatique, la digitalisation dans la fonction publique, tout cela concerne les travailleurs. Or, le syndicat a un rôle à jouer dans tout ce qui touche les travailleurs. Il est malheureux que jusqu’à maintenant les syndicats n’aient pas encore été Taken on Board. C’est pourquoi je plaide pour l’implication des travailleurs dans la prise de décision à tous les niveaux.

Comment se passent les relations entre les nouveaux ministres et les fonctionnaires ?

Avec l’arrivée d’un nouveau gouvernement au pouvoir, beaucoup de ministres n’en comprennent pas le fonctionnement. Dans un mémoire adressé au gouvernement dans le passé, nous avions l’idée d’introduire une forme d’Induction afin de permettre aux ministres et aux chefs de département de se familiariser avec le système gouvernemental. Un ministre doit savoir où commence et où prend fin son rôle. Il existe une délimitation bien claire concernant les attributions ministérielles.
Les ministres doivent savoir qu’il y a un administrateur et des techniciens dans l’administration publique qui ont un rôle et des responsabilités. Si un ministre pense qu’il peut interférer dans l’administration publique et faire transférer des fonctionnaires pour leur faire plaisir, il fait fausse route. Je connais un cas où, après que l’administration a procédé au transfert d’une personne, le ministre est intervenu pour que cette dernière retourne à sa place. Tout monde s’attend qu’il y ait une transformation dans la fonction publique afin d’offrir un meilleur service.
Malheureusement, la nouvelle Public Service Commission (PSC) n’a pas encore été reconstituée. Il faut savoir que depuis la publication des Writs of election en octobre dernier, soit depuis six mois, il n’y a eu ni recrutement ni promotion dans la fonction publique. Certains sont partis sans obtenir la promotion à laquelle ils avaient droit. Je compte écrire au gouvernement pour demander qu’une décision administrative soit prise pour que ces personnes ne perdent pas ce qui leur est dû.
Globalement, beaucoup de choses ont été faites. Le DPP a retrouvé ses pouvoirs qui avaient été remis en question par l’ancien gouvernement. Une nouvelle institution a remplacé la Natresa au niveau du bureau du Premier ministre parce que la drogue est un problème national qui affecte tout le pays. On a annoncé la présentation de certaines législations dont la Freedom of Information Act.
J’ai toujours mené une campagne en faveur de la présentation d’un Public Service Bill. Un tel projet de loi responsabilisera les fonctionnaires ainsi que les politiciens. Si un fonctionnaire prend une décision pour faire plaisir à un ministre et qu’ensuite le rapport de l’Audit pointe du doigt cette décision qui a causé un gaspillage abusif des fonds publics, il devrait y avoir un système pour savoir qui est à l’origine de cette mauvaise décision de manière à ce que le responsable puisse répondre.
Le Financial Reporting Bill, annoncé par le gouvernement, doit prendre cela en considération. Il y a actuellement un système de deux poids deux mesures. Certaines personnes qui font l’objet d’une enquête sont maintenues en fonction alors que d’autres sont partis tout en bénéficiant des avantages d’une Full pension. C’est une pratique discriminatoire ! Nous insistons pour que toutes les instructions données à un fonctionnaire soient mises en écrit. Il est inacceptable qu’un fonctionnaire soit tenu pour responsable d’une décision imposée par un ministre.

Y a-t-il des « chatwas » parmi les fonctionnaires ?

Un fonctionnaire est recruté par la PSC sur la base de ses compétences. Il faut maintenant qu’il y ait un système transparent afin d’assurer que le recrutement se fasse sur la base des compétences par PSC. Il existe des fonctionnaires qui savent manigancer pour tirer profit dans tous les systèmes. Ce n’est pas correct parce que cela démotive ceux qui travaillent. Je reconnais qu’il se peut que ce genre de personnes existent dans la fonction publique. Je dois toutefois souligner que d’après la loi, un fonctionnaire n’a pas le droit de faire de la politique. Il a un droit de réserve et doit respecter les dispositions de l’Official Secrets Act.
Un fonctionnaire est là pour servir le gouvernement du jour. Il ne faut pas confondre le gouvernement du jour avec le parti politique. Pa kapav ena chatwa dan gouvernman. Cela ne doit pas être encouragé par aucun parti politique.

Vous avez déjà occupé la présidence du National Economic And Social Council. Comment avez-vous accueilli le projet de relance de cette organisation ?

J’accueille l’annonce de la relance du National Economic and Social Council (NESC) favorablement et avec beaucoup de satisfaction. Cette institution, lancée en 2002-03, a été présidée à l’époque par des personnalités, dont feu Mohamad Vayid. J’ai également eu l’occasion de présider cette organisation.
Le NESC était une organisation indépendante réunissant des représentants du gouvernement, du secteur privé, des syndicats et de la société civile, entre autres. Il a publié de nombreux rapports et documents qui sont encore pertinents aujourd’hui, notamment sur le secteur de l’eau, le chômage parmi les jeunes, la sécurité alimentaire et l’éducation. Il avait la possibilité de se pencher sur certains textes de loi en préparation ou ayant été publiés en première lecture et faisait des commentaires et des propositions au gouvernement. Au sein de cette organisation, les représentants syndicaux ont eu l’occasion d’apporter une contribution positive à la société mauricienne dans de nombreux secteurs.
À l’heure où le pays a beaucoup de défis à relever, le NESC est appelé à jouer un rôle important et peut être une instance de consultation avec tous les secteurs de l’économie. En attendant la création d’une deuxième chambre, cette instance peut se pencher sur les textes de loi avant qu’ils ne soient débattus et adoptés au Parlement. C’est cela la démocratie participative.

Qu’attendez-vous du prochain budget ?

En tant que représentant des employés du secteur public, je m’attends que gouvernement accorde une attention à ceux qui touchent plus de Rs 50 000. L’octroi d’un 14e mois uniquement à ceux qui touchent moins de Rs 50 000 est injuste. En 2009, la définition des travailleurs bénéficiant de la protection des travailleurs concernait ceux qui touchaient Rs 30 000 en 2019. Ce montant est passé à Rs 50 000. Depuis 2019, la roupie s’est dépréciée de 46%. Le montant de Rs 50 000 devrait par conséquent être revu.
Le ministre du Travail et des Remations industrielles, Reza Uteem, a fait comprendre que la législation pourrait être revue. Nous estimons qu’il ne faut pas attendre la révision de la loi pour compenser ceux qui touchent plus de Rs 50 000. Il n’est pas normal qu’une personne touchant Rs 51 000 ne bénéficie ni du 14e mois ni de la compensation salariale. La classe moyenne souffre beaucoup dans la mesure où elle ne bénéficie pas de projets sociaux. Il faudrait pouvoir faire quelque chose pour la classe moyenne, surtout ceux touchant jusqu’à  Rs 100 000. J’espère que cette injustice sera corrigée dans le budget.
Par ailleurs, une lettre-circulaire du ministère des Finances affirme qu’il n’y aura pas de création de nouveaux postes dans le gouvernement et que le budget couvrira les trois prochaines années financières. Si nous voulons avoir un bon service civil qui réponde à l’aspiration de la population, il est important que chaque ministère fasse un Human Resource Audit et voie quelles sont les ressources dont il a besoin pour opérer normalement. Cela figurait déjà dans le rapport Pay Research Bureau (PRB). En 2021, il a répété que cet audit est obligatoire. Nous ne pouvons pas obtenir un service de haut niveau du secteur public et avoir des résultats probants en faisant les choses au petit bonheur.
Je lance donc un appel au gouvernement pour qu’il procède à cet examen des ressources humaines et à prendre les mesures nécessaires. Sinon, nous risquons d’avoir une forte pression sur les petits employés, les techniciens, la classe ouvrière. Il ne faut pas oublier que le nombre de fonctionnaires est passé de 82 000 à 42 000 dont 13 000 officiers de police. Le Service Delivery dépendra des investissements engagés en termes de personnel nécessaire, de formation et d’outils nécessaires.
Le ministre de la Santé, Anil Bachoo, s’est offusqué récemment en voyant des chirurgiens travailler dans une salle d’opération sans climatisation. Je pense que l’austérité dont parlent certains à des limites qu’il ne faudrait pas dépasser. Aussi, la lettre-circulaire diffusée dans la fonction publique doit être revue.

Quid du Performance-Based Budget ?

Nous ne sommes pas contre le projet mais les responsables des ministères doivent avoir le courage de dire aux ministres qu’il y a un manque de personnel et bien expliquer les problèmes qui se posent. Nous savons qu’il y a un problème de staffing aux ministères de la Sécurité sociale, de l’Égalité des genres, du Commerce et au ministère de la Santé, entre autres. Il y a des changements à ce niveau.

Comment avez-vous accueilli le lancement de l’Atal Bihari Vajpayee Institute of Public Service and Innovation ?

La formation est importante et le PRB recommande que chaque employé doit avoir au moins 40 heures de formation chaque année. Un budget consacré à la formation a été adopté pour chaque ministère. Durant les années précédentes, beaucoup de ministères ont retourné le montant budgété faute d’avoir pu organiser une formation. Nous avons connu le Mauritius Public Institute of Public Administration and Management. Cette institution est devenue par la suite l’UTM.
Maintenant, nous avons l’Institute of Public Service and Innovation. Toute formation doit permettre à un fonctionnaire de devenir plus compétent pour améliorer le service, et non pas uniquement pour avoir un certificat. Il est important qu’il y ait un plan de formation, d’avoir les ressources et de faire les évaluations. Je profite de l’occasion pour déplorer que le Collective Bargaining n’existe que dans le secteur privé, et pas dans le gouvernement. Une réforme doit être apportée dans ce domaine. Il faut par conséquent donner plus de moyens et d’indépendance au PRB pour qu’il fasse son travail et, en même temps, permette que les conditions de travail soient sujettes à des négociations entre le ministère du Travail et le management de la fonction publique.

Les municipales et le décompte des voix auront lieu le même jour à partir de cette année. Comment avez-vous accueilli cette mesure ?

Je vous ai dit que le nombre de fonctionnaires a été réduit sensiblement. Ceux qui travaillent d’habitude pour les élections sont appelés à signifier leurs intentions de travailler ou pas. Pour les élections générales, sur 18 000 fonctionnaires nécessaires, seuls 13 000 avaient répondu à l’appel. Il n’était pas possible dans ces conditions de faire le dépouillement le jour des élections.
Pour les élections municipales, seules les villes sont concernées. Il y aura moins d’électeurs, par conséquent nous aurons besoin de moins d’officiers. Il y aura moins de pression sur le commissaire électoral. Il y a une marge de manœuvre donc pour que le dépouillement se déroule le jour des élections. Ceux qui acceptent de travailler devraient avoir une allocation raisonnable. Il faudra rassurer les employés que toutes les dispositions concernant la sécurité ont été prises. Il faudra le coup de main des candidats, des partis politiques et de tout le monde indistinctement, et un système de transport pour tous ceux qui travailleront pour les élections. Si toutes les conditions sont réunies, le dépouillement le même jour est faisable. Les élections municipales serviront de base pour les autres élections. Nous pourrions voir ce qui doit être amélioré.

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