Vassen Kauppaymuthoo : “La relance de l’extraction de sable des lagons est une menace pour l’écosystème et un risque controversé”

Dans cette interview avec Vassen Kauppaymuthoo, l’expert en développement durable évalue les mesures environnementales du budget 2024-2025 de Maurice, en mettant un accent particulier sur la relance controversée de l’extraction de sable des lagons. L’oceanographe analyse les implications écologiques et économiques de cette décision, tout en proposant des alternatives basées sur la nature pour protéger l’île contre l’érosion côtière et l’impact du changement climatique. Il appelle à une approche respectueuse de la biodiversité marine et critique les solutions destructrices qui pourraient aggraver la situation environnementale et compromettre le secteur touristique essentiel de Maurice.

- Publicité -

l Quand vous faites une lecture du Budget 2024-2025, pensez-vous qu’une place suffisante a été faite pour couvrir la protection de l’environnement et le changement climatique ?

Le budget 2024-2025 est le reflet des préoccupations et des inquiétudes majeures auxquelles notre petit État insulaire en développement fait face : comment allier développement économique avec la protection de nos avoirs environnementaux et de notre société. Les événements majeurs de cette année – dont les inondations et l’effondrement d’un bâtiment suite aux pluies torrentielles, les épidémies de leptospirose et de fièvre Dengue, et l’érosion des plages – sont tous liés aux impacts du changement climatique. Ces événements remettent en question notre modèle économique et fragilisent un des piliers majeurs de notre économie : le tourisme, tout en affectant la population avec des pertes en vies humaines et des pertes économiques. Le budget 2024-2025 semble adresser ces problématiques en partie.

l Comment le Budget vient-il encadrer la réponse à cette problématique ?

Le budget se décline principalement à travers des mesures financières, ainsi que dans le dévoilement de politiques et de propositions de lois. Dans ce contexte, une taxe supplémentaire a été mise en place sous forme de Levy pour alimenter un Climate and Sustainability Fund avec une allocation initiale de Rs 3,2 milliards, financé par une taxe de 2% sur les profits des entreprises ayant un chiffre d’affaires de plus de Rs 50 millions, et co-géré par le secteur privé et le gouvernement. Ce fonds pourra également recevoir les contributions des donateurs internationaux. La mise en place de ce fonds montre bien la difficulté du financement des mesures d’adaptation dans un contexte économique morose.

l Quid de l’érosion côtière ?

Le budget met également l’accent sur la réhabilitation du littoral, critique avec le relèvement du niveau de la mer qui dépasse les 5,8 mm par an à Maurice – presque le double de la moyenne mondiale de 3,3 mm par an, avec près de 9 mm à Rodrigues. Notre île principale ainsi que les îles faisant partie de notre République subissent les effets de l’érosion côtière, affectant directement le secteur touristique et notre capitale Port-Louis, comblée sur la mer, ainsi que les résidents côtiers. Les mesures de restauration annoncées dans le budget couvrent 26 km de littoral sur les 37 km sévèrement affectés par l’érosion.

l Les mesures sont-elles adaptées ?

La replantation des coraux, si elle est effectuée correctement et en respectant la biodiversité, est une bonne mesure. Cependant, il faut aborder le problème de manière globale en traitant également les sources de pollution qui affectent les lagons – absence de réseau de tout à l’égout dans les zones côtières, utilisation de pesticides et de fertilisants qui ruisellent à la mer, déchets plastiques dans les rivières, surexploitation des lagons par les activités nautiques… De plus, l’annonce de la reprise de l’extraction de sable des lagons, interdite en 2001 en raison de ses effets néfastes sur la biodiversité marine, est en contradiction avec cette approche.

l Pourquoi l’extraction de sable dans les lagons est-elle néfaste ?

Le sable est une ressource non-renouvelable à l’échelle humaine. Il est composé de morceaux de corail, d’algues calcaires, de foraminifères, de mollusques et d’échinodermes. Extraire le sable de zones de lagon – où la biodiversité s’est développée sur des milliers d’années – augmente l’érosion et détruit la capacité de régénération de ces lagons. Cela aura des effets catastrophiques sur notre environnement, accélérant les impacts négatifs du relèvement du niveau de la mer.

l Mais l’extraction de sable ne se fait-elle pas aux Maldives pour engraisser les plages ?

Nous faisons souvent l’erreur de comparer l’écosystème d’autres îles au nôtre et de vouloir répliquer les mesures d’autres pays. Les Maldives sont des atolls qui se sont formés sur des volcans qui n’ont pas émergé avec le développement d’un socle corallien et de bancs de sable très dynamiques qui renferment une biodiversité benthique moins developpée que celle de nos lagons. Appliquer cette approche à Maurice serait dangereux. De plus, l’extraction de sable des lagons contredit le développement des fermes de corail.

l Quelle solution pour le secteur touristique à Maurice ?

Je travaille avec un groupe hôtelier dans le sud-ouest de Maurice pour appliquer des solutions basées sur la Nature que j’ai moi-même recommandées et qui ont été approuvées dans les différents rapports officiels d’adaptation par rapport au changement climatique. Nos lagons, développés sur des milliers d’années, sont le meilleur outil pour dissiper l’énergie des vagues et produire du sable corallien. Il faut enlever les structures artificielles, protéger et développer les herbiers marins, et promouvoir des activités touristiques durables. Les rapports de la JICA affirment que l’extraction de sable des lagons augmente l’érosion et détruit la biodiversité. Les carrières de sable sur l’île peuvent servir à engraisser les plages sans recourir à des méthodes destructives.

l Le mot de la fin ?

Les défis liés au changement climatique sont majeurs. Apprenons à respecter la Nature avec humilité, à nous départir des techniciens qui préconisent des méthodes destructives sans prendre en compte les effets à moyen et long termes, et faisons la paix avec la Nature. Cette Nature que nous avons chassée dans le passé et qui revient aujourd’hui au galop nous rappeler notre place réelle dans cet écosystème.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -