Pour le syndicaliste Narendranath Gopee, la population a déjà fait son choix pour les prochaines élections générales. Celui-ci, dit-il, se fera entre L’Alliance Lepep et l’Alliance du Changement. Dans l’entrevue qui suit, il évoque la façon de voter des fonctionnaires, les attentes des travailleurs, la suspension des réseaux sociaux, les révélations des Moustass Leaks et le paiement d’un 14e mois en décembre prochain. Pour lui, le paiement d’un 14e mois contribuera à dévaluer la roupie davantage, car il y aura trop d’argent en circulation.
Quel regard portez-vous sur la campagne électorale ?
Une bonne campagne électorale doit d’abord être équitable. Jusqu’à présent, je trouve que la campagne se déroule de façon civilisée, à l’exception de certaines actions qui ont suscité les commentaires du public en général. Je cite, en exemple, la décoration des ronds-points avec des oriflammes qui gênent la visibilité des automobilistes et, en sus de cela, quelqu’un qui a tenté de retirer une banderole a eu des démêlés avec la police. Une banderole ou une oriflamme n’est pas a priori une propriété du gouvernement et je ne comprends pas sur quelle base finn met enn case lor li.
Je constate aussi que chaque parti politique fait son travail sur le terrain de manière disciplinée et je n’ai pas vu de bagarre jusqu’ici. Cependant, nous sentons que la tension est palpable sur le terrain en ce moment. Je pense que la campagne électorale est devenue plus compliquée pour le Premier ministre par l’avènement de Missie Moustass où des allégations sont portées à l’encontre du gouvernement.
Pris de panique, le chef du gouvernement a dû faire des annonces comme le paiement d’un 14e mois en décembre pour faire oublier ces allégations et pour laver un peu l’image ternie du MSM. Pour moi, certaines de ces annonces sont irresponsables.
Globalement, la campagne se déroule dans le calme et le jeu démocratique est en marche. Jusqu’à présent, je ne vois pas un 60-0 dans l’un ou l’autre camp. Les élections générales se déroulent en tout cas entre ces deux blocs politiques. Les autres partis auront certes une Nuisance Value pour ces deux blocs. La marge de manœuvre pour le troisième bloc politique n’est pas significative.
Qu’est-ce qui vous a choqué le plus dans les Moustass Leaks ?
Toutes les révélations sont choquantes. Ses révélations viennent démontrer les manigances, les jeux qui se pratiquent au sommet de l’État dans le dos des innocents, du public. C’est un jeu très dangereux et cela fait peur dans la mesure où si quelqu’un est arrêté demain et qu’il est incarcéré dans une cellule quelque part, cela équivaut à dire qu’il n’a aucune garantie qu’il sera sain et sauf.
Le public dit maintenant que si Missie Moustass dit la vérité, il doit venir dire ouvertement qu’il est l’auteur de ces enregistrements audio. Je ne crois pas que c’est une bonne idée de pourchasser la personne qui a donné une information. J’apprécie quand même le Premier ministre qui a eu le courage d’avouer que c’est bien sa voix dans un enregistrement. Mais les autres n’ont pas eu ce courage.
S’il y a des allégations graves à l’encontre du commissaire de police, Anil Kumar Dip, et qu’il est chargé de la sécurité de la nation mauricienne, je pense que, si j’étais à sa place, j’aurais juré un affidavit en Cour suprême pour dire que ces allégations sont fausses. Lorsque nous écoutons les enregistrements audio de Missie Moustass, nous ne pouvons dire lequel est le plus choquant. Tout est choquant et cela impacte la confiance des Mauriciens dans nos institutions.
Est-ce que vous allez donner une consigne de vote pour ces élections générales ?
La consigne est déjà là. Les travailleurs ont beaucoup souffert pendant dix ans. Il y a eu certes une nouvelle loi du travail, mais il n’y a rien pour protéger les travailleurs du secteur privé. Le comité disciplinaire dans sa forme actuelle n’a pas changé et les employeurs détiennent toujours le monopole de Hire and Fire, et cela fait peur aux syndicalistes et aux salariés. La consigne est claire, donc surtout lorsque nous constatons que trois dirigeants syndicaux ont été mis à la porte.
J’ai eu l’occasion d’évoquer personnellement cette affaire avec le Premier ministre, Pravind Jugnauth. La consigne pour moi est claire. Il faut rétablir la confiance dans la population, il faut redonner aux employées et aux employeurs leurs lettres de noblesse dans le monde du travail, il faut revoir la loi du travail. Il faut garantir la sécurité des travailleurs du secteur privé, à moins qu’il y ait une charge très bien fondée qui justifie sa comparution devant un comité disciplinaire.
D’autre part, il y a la hausse du coût de la vie qui ne cesse, le prix du carburant qui n’a pas accusé de baisse, un meurtre maquillé en suicide, le suicide d’une fonctionnaire au bâtiment d’Emmanuel Anquetil, une autre fonctionnaire qui s’est retrouvée pendue à son domicile, etc. Lorsque nous ajoutons tout cela ensemble, il est évident que la consigne est claire.
Pensez-vous que nous aurions pu éviter la suspension des réseaux sociaux ?
Le Premier ministre a parlé de cyberattaque terroriste à son bureau. Cela ne justifie pas en tout cas la suspension de tous les réseaux sociaux. On a intercepté des conversations et on a constaté des conversations très vulgaires. Ce ne sont pas des cyberattaques qui ont été faites. Le chef du gouvernement est impliqué dans diverses conversations et il reconnaît aussi sa voix.
Nous ne pouvons continuer avec des attaques contre la bonne gouvernance et se servir du sceau de la confidentialité pour dire que le peuple n’a pas le droit d’en savoir plus. Les réseaux sociaux sont d’abord un moyen très efficace pour diffuser des informations. Si les informations ne sont pas fondées, il revient à la personne concernée d’assumer ses responsabilités et ceux qui sont visés doivent venir démentir. C’est ce que nous appellons la liberté d’expression, même si elle est restreinte. Les réseaux sociaux sont des moyens de communication pour de nombreux commerçants et businessmen. La fermeture des réseaux sociaux a eu aussi un impact négatif sur la Bourse de Maurice.
Je pense que le Premier ministre aurait dû penser à deux fois avant de donner le feu vert pour la fermeture des réseaux sociaux. Il aurait dû s’adresser à la nation au lieu d’aller directement vers la fermeture des réseaux sociaux. La suspension des réseaux sociaux a créé une très mauvaise image parmi les jeunes et auprès des touristes et des pays étrangers.
Que pensent les fonctionnaires de cette joute électorale ?
Les fonctionnaires sont d’abord une communauté silencieuse. Dans la pratique, nous avons constaté que, quel que soit le gouvernement en place, la majorité des fonctionnaires ne se prononcent pas en faveur d’un gouvernement sortant. C’est une tendance qui a perduré dans le temps. Je ne dis pas que cela sera le cas cette fois-ci également. Mais il faut savoir que les fonctionnaires sont confrontés à beaucoup de pressions politiques de la part des ministres. Il y a même des ingérences politiques dans leur travail. Les fonctionnaires sont agacés, car ils ne sont pas pour prendre des décisions. Dans certains ministères, il y a des attachés de presse qui se prennent pour des PS et cela impacte le choix des fonctionnaires lors d’une joute électorale.
Quel regard portez-vous sur le paiement d’un 14e mois aux fonctionnaires ?
L’annonce du paiement d’un 14e mois a été faite dans la panique. Un 14e mois ravit certes les salariés. Mais en retour, nous devenons de plus en plus un peuple assisté. Les travailleurs, non plus les syndicalistes, n’ont jamais réclamé un 14e mois. C’est une proposition de Xavier-Luc Duval. Le 14e mois va peser lourd dans la balance pour le gouvernement. Si le gouvernement réussit à nous convaincre que le Consolidated Fund est rempli, nous pourrons alors envisager le paiement d’un 15e mois, pourquoi pas ?
En tant que syndicaliste, j’accueille favorablement la décision pour le paiement d’un 14e mois, car cela permettra aux travailleurs de souffler un peu, car le début d’une nouvelle année est marqué par beaucoup de dépenses. La dépréciation de la roupie va s’accentuer avec le 14e mois, car il y aura trop d’argent en circulation.
Propos recueillis par Jean-Denis Permal