Questions à Arnaud Poulay, Agaléen exilé : « Je suis celui qui a été trahi »

Son nom, son visage et sa voix sont connus pour les revendications qu’il a toujours menées dans l’intérêt des siens, les Agaléens. Jusqu’au dernier moment, soit quelque temps avant de quitter Maurice pour s’installer en Angleterre, Arnaud Poulay a manifesté, pancarte en main dans les rues de Ports-Louis, pour exprimer sa crainte sur la nouvelle piste d’atterrisage à Agaléga. Il y a bientôt trois mois, il a posé les armes pour mettre le cap sur Manchester. Arrière petit-fils d’une Chagossienne, Arnaud Poulay détenteur du British Overseas Territories Citizenshipexplique pourquoi il a fait le choix de s’exiler pour un certain temps seulement, dit-il. À 40 ans, l’employé de l’Outer Islands Development Corporation a pris un congé sans solde pour mieux envisager l’avenir de ses cinq enfants sous d’autres cieux.

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Pourquoi avez-vous quitté Agaléga et Maurice pour vous installer à Manchester ?

Partir vivre ailleurs n’était pas dans mes projets. J’ai toujours voulu développer un projet d’élevage à Agaléga. Mais il y a eu une goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Cette goutte de trop est arrivée le 29 février dernier, le jour de l’inauguration de la piste d’atterrissage à Agaléga. Ce jour-là, quand j’ai vu la liesse réservée à cette inauguration, je me suis senti… comme amputé. J’étais à genoux. J’ai eu le sentiment que je n’avais plus rien à faire à Agaléga. Plito mo elwagn mwa pou enn letan, mo ale. Ma déception découle aussi de la réaction de la plupart des Agaléens. Je me suis rendu compte que seule une poignée de personnes, dont mon frère Franco Poulay, Laval Soopramanien et moi-même… défendent haut et fort les droits des Agaléens. Il n’y a pas de solidarité entre nous. Plus les années passent, plus chacun pense à ses propres intérêts et se laisse aussi berner. Je ne pense pas avoir mené un combat pour la reconnaissance des Agaléens sur leur île pour rien, même si parfois j’ai eu cette impression. Me li pa normal ki etranze inn vinn Agalega pran later-la pou zot. Alor ki nou Agaleen, nou pa ankor gagn drwa gagn enn lakaz pou nou. Devant cette situation, continuer à travailler pour l’Outer Islands Development Corporation serait faire preuve d’hypocrisie. Ce n’est pas normal que l’OIDC Act reste statique pendant 40 ans et que la condition pour vivre à Agaléga soit de devoir y travailler !

 Il y a des Agaléens, ceux qui vous dites ont accueilli joyeusement l’inauguration de la piste et de la jetée, qui ont le droit de ne pas être d’accord avec vous. Et être favorable au développement de l’île. Votre avis ?

Une base militaire à Agaléga n’est pas synonyme d’un vrai développement. La question des vols commerciaux est toujours en suspens. Comment profitent-ils de cette piste et du nouvel hôpital ?

Dans quelle optique avez-vous réclamé le British Overseas Territories Citizenship et le passeport qui va avec si vous n’aviez pas l’intention de partir ?

Mon arrière-grand-mère est d’origine chagossienne — elle est née à Peros Banhos — et en tant que descendant, je suis éligible au passeport britannique. J’ai obtenu ce passeport sans pour autant avoir l’intention de me rendre en Angleterre pour y vivre pendant un certain temps. Comme je l’ai dit, cette inauguration a précipité les choses. Un mois auparavant, j’étais à Maurice. Il y a eu quatre départs pour Agaléga. J’ai appris de source sûre qu’on faisait en sorte que je ne puisse embarquer pour être à Agaléga au moment de l’inauguration. Mon frère et moi-même avions annoncé que nous allions manifester symboliquement avec nos pancartes ce jour-là pour dénoncer une base militaire à Agaléga. Je dérange. Il ne faut pas oublier que j’ai failli être déporté d’Agaléga.

Est-ce que vous ne trahissez pas votre combat, votre identité et ceux qui ont cru en vous en partant pour l’Angleterre ?

Non ! Je suis celui qui a été trahi. Mo santi ki mazorite Agaleen inn servi mwa pou zot lintere. C’est une trahison qui a commencé il y a longtemps, même avant les premiers travaux de la jetée de Saint James et de la piste d’atterrissage. Tout ce que nous dénoncions était mal vu par certains à Agaléga. Et en 2018, quand j’ai commencé à déplorer des travaux qui défiguraient notre île dans une absence de transparence avec des photos à l’appui, cela n’a pas plu à bon nombre de personnes. Elles ont préféré croire aux paroles des dirigeants qui les bernent ! Aujourd’hui, une fois que je suis loin d’Agaléga, on m’appelle pour me dire qu’il y a des problèmes sur l’île, comme des collégiens qui doivent participer aux examens de School Certificate de Cambridge et sont bloqués là-bas. Zot pe santi mo labsans. Parfwa mo demann mwa si mo pa finn amenn tou sa konba-la pou nanie. Mo finn fight avek mo leker.

Vous dites que vous dérangiez. Pensez-vous que vous n’êtes plus un obstacle pour ceux que vous dérangiez ?

Je n’arrêterais pas de parler d’Agaléga. Rien ne m’empêchera de mener un combat à l’international. Ici, je pense être en sécurité. J’ai eu pas mal de menaces et de représailles dans le passé. Mo santi ki si mo res dan Moris ou Agalega koma ninport kan mo ti pou kapav gagn enn planting !

Hormis Agaléga, votre île, qu’avez-vous eu à sacrifier pour commencer une autre vie à Manchester ?

Mes enfants ! J’en ai cinq. Me séparer d’eux est une chose difficile. Cela n’aurait pas été possible pour que toute ma famille se déplace pour l’Angleterre. J’ai pris le parti de m’en aller avant pour travailler et ouvrir la voie à mes enfants. Dans la balance, il y avait aussi leur éducation.

À quoi ressemble votre nouvelle vie en Angleterre ?

J’ai été accueilli par la famille de mon cousin et je vis entouré de personnes que je connais. Comme il y a une communauté d’Agaléens d’origine chagossienne à Manchester, j’ai retrouvé des connaissances, ce qui est réconfortant. J’ai passé les premières semaines qui ont suivi mon arrivée à compléter les formalités administratives. Je ne suis pas resté les bras croisés. Il y a un nouveau départ dans ma vie. Entre-temps, j’ai pu constater par moi-même que l’Angleterre offre des possibilités d’évoluer, ce qui me motive à me réveiller chaque matin. Aussi, je sais que tout n’est pas rose et que l’herbe n’est pas plus verte ailleurs. Mais au moins, le gouvernement anglais reconnaît que je suis un Agaléen d’origine chagossienne, alors qu’à Maurice, aucun gouvernement n’a accordé cette reconnaissance à notre identité agaléenne.

S. Q

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