Cela aurait pu être un matin comme un autre pour Valérie et son père Robert. Mais ce jeudi-là, peu après 8 heures, tout bascule. Robert, âgé et diabétique, s’effondre brutalement. Il est en hypoglycémie sévère, ses mains tremblent, son souffle est court, son regard devient vide. Il perd progressivement connaissance. Valérie, prise de panique, sait qu’il faut agir vite : dans son état, chaque minute compte. Son premier réflexe est d’appeler le SAMU au 114, numéro censé garantir une assistance immédiate en cas d’urgence vitale.
Première tentative : au bout du fil, ce n’est pas un médecin ni même un standard du SAMU qui décroche, mais… la station de police de la localité. Incompréhension totale. Aurait-elle fait une erreur de numéro ? Non, elle vérifie, c’est bien le 114 qu’elle a composé. Confuse, elle explique l’urgence. Mais à l’autre bout, aucune précipitation, aucun empressement. On lui répond, d’une voix nonchalante : « Essayez encore madame, refaites le même numéro jusqu’à ce que ça passe… » Refaites le même numéro ?
Son père est au sol, inerte, en danger de mort, et la seule réponse de ceux censés assurer la sécurité est un renvoi poli, comme si elle essayait de joindre une hotline pour un abonnement téléphonique ? Elle s’exécute. Nouvel appel. Même scénario. Elle tombe encore sur la police locale. Même ton détaché, même indifférence glaciale. On lui conseille, une nouvelle fois, de rappeler. Pas une seule proposition d’aide, pas une seule alternative suggérée. Deux appels perdus, deux occasions manquées de sauver une vie.
Finalement, au troisième appel, une avancée : une voix automatisée du SAMU. Elle respire, enfin ! Mais l’espoir est de courte durée. Le message demande de laisser nom, adresse, numéro de téléphone et raison de l’appel. Elle obéit machinalement, pensant que c’est la procédure pour accélérer la prise en charge. Mais la réalité est tout autre. À 9h30, soit une heure et demie après le début de la crise, une voix masculine se fait entendre. Un médecin ? Elle l’espère. Mais au lieu de précipiter l’envoi de l’ambulance, l’homme lui lance, d’un ton détaché : « Pran so tension ek so diabet apre mo pou avoy lanbilans… »
Valérie croit halluciner. Elle est en ligne avec un médecin du SAMU, face à une urgence vitale, et on lui demande de prendre elle-même les constantes médicales avant d’envoyer du secours ? Comment ? Avec quel matériel ? Qui fait ça en pleine crise ? La colère explose : « Ou pou avoy lanbilans la wi ou non ? Mo pa nurse mwa, mo so tifi ! Si mo ti kone fer sa, mo pa ti a a telefonn ou b… ! » À cet instant, Robert est toujours inconscient, et aucune ambulance n’a été envoyée.
C’est seulement après ce coup de gueule que quelqu’un d’autre reprend l’appel. Une voix féminine, cette fois plus calme. « Nou pe avoy li madam, pa traka » Il est 9h35. L’ambulance n’arrivera que plus d’une heure plus tard, à 10h45. Pendant tout ce temps, Robert, plongé dans son malaise, n’a reçu aucun soin, et son état ne cesse d’empirer.
Le trajet de St Pierre à Port-Louis prend plus de 45 minutes, en raison des embouteillages monstres de la capitale. Il est 11h30 quand Robert arrive enfin à l’hôpital Jeetoo. Mais l’horreur continue. Dès la sortie de l’ambulance, un nouveau problème surgit : pas assez de personnel pour sortir Robert du trolley. C’est donc Valérie elle-même, aidée d’un autre patient, qui s’occupe de dégager son père du brancard.
Enfin, après plus de trois heures d’attente et une arrivée en état comateux, un médecin se penche sur son cas. Le diagnostic est immédiat : Robert doit être hospitalisé d’urgence. Un frisson parcourt Valérie. Le médecin lui glisse, presque en confidence : « Heureusement que vous êtes venue à temps. S’il avait attendu encore un peu… il n’aurait pas survécu. » Il est 12h30.
Mais le calvaire ne s’arrête pas là. Robert ne peut pas être hospitalisé immédiatement, car les salles sont pleines. Les patients qui doivent être libérés attendent encore leurs décharges, faute de médecins disponibles pour les signer. Les heures passent. Robert, toujours affaibli, n’a rien mangé depuis la veille. Dans la salle d’attente, des dizaines d’autres visages hagards étaient là, suspendus dans le temps, échoués dans un no man’s land médical où le temps s’étirait sans promesse de soulagement.
Certains, recroquevillés sur des fauteuils roulants, d’autres allongés sur des trolleys grinçants, tous tenaient bon par la seule force de l’instinct de survie. La faim, la fatigue, l’angoisse les tenaient prisonniers. À bout, Valérie explose. Elle réclame un lit, elle veut que son père soit traité dignement. Mais au lieu d’un soutien, elle se fait rabrouer par un infirmier : « Ki ou pe vinn fer tapaz la ? Nou ena pou okip boukou dimounn ! » Son indignation ne faiblit pas. Elle refuse de voir son père, et d’autres comme lui, abandonnés. Elle exige une réaction immédiate et menace d’alerter les médias.
Dans cette atmosphère délétère, le surintendant de l’hôpital et le manager interviennent. Leur solution ? Pas de lit, bien sûr, mais… un repas chaud offert aux patients qui attendent. Voilà le remède miracle pour masquer une gestion chaotique et des défaillances systémiques, sans doute hors de leur contrôle. Il était 13h30.
Finalement, après une interminable bataille et attente, Robert obtint une place et un lit. Ce qui suivit fut presque irréel après tant de chaos. Les médecins qui prirent le relais furent à la hauteur. Professionnels, attentionnés, efficaces, ils accomplirent en deux jours ce que l’administration n’avait pas su faire en six heures : soigner, vraiment soigner.
Au bout de 48 heures, Robert reprenait des couleurs. Ses constantes étaient stabilisées, son souffle posé, et son regard, qui vacillait encore la veille entre l’inconscience et la peur, était de nouveau plein de vie. Il a pu rentrer chez lui… en meilleur santé.
Des soignants compétents et dévoués existent. Mais cela ne suffit pas, car la chaîne des soins et de la vie ne devrait pas être laisse aux mains du hasard. Un hasard qui tue, parfois en silence, dans les couloirs bondés d’attente, dans les appels sans réponse, dans l’indifférence d’une administration qui se noie dans ses propres lenteurs.
Cette fois, tout s’est bien fini. Mais la prochaine fois ?Battre le mal systémique faites en une urgence nationale !
Le ministre Anil Baichoo, dynamique et agile depuis son arrivée à la tête du ministère de la Santé, n’aura pas le luxe du répit. Ce drame évité de justesse n’est pas un cas isolé. Il est le symptôme d’une crise bien plus profonde, d’un système malade qui vacille sous son propre poids.
Partout, les mêmes histoires se répètent. Des urgences saturées, des ambulances qui n’arrivent pas, des patients laissés à l’abandon, des dossiers médicaux égarés, des examens à refaire, des files d’attente sans fin. Et derrière ces chiffres, des vies en suspens.
Même les médecins, pourtant en première ligne, ne sont pas épargnés. Exténués, démoralisés, abandonnés par une administration qui les broie autant qu’elle broie les patients, ils ne peuvent que colmater les brèches dans un navire qui prend l’eau de toutes parts.
Les excuses sont bien rodées : dix ans d’un ancien régime, des réformes en cours, des moyens limités… Peut-être. Mais il faudra bien plus pour ressentir un vrai changement. Le temps des constats est révolu. La nouvelle équipe au pouvoir a une responsabilité historique : celle d’agir au plus vite, car chaque minute de retard coûte des vies. Les défis sont colossaux. Il faut les surmonter !
La question n’est plus politique, elle est vitale : Jusqu’à quand faudra-t-il hurler, supplier, se battre pour que les services censés nous protéger soient à la hauteur d’un service public digne de ce nom ? Bon courage M. Le ministre…