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Précarité sociale : Pleins feux sur l’état de la pauvreté dans le Sud

Priscilla Bignoux, travailleuse sociale, propose la mise sur pied School Feeding Programme dans les écoles en faveur des démunis

Marie-Lise, âgée de 58 ans, une habitante du Sud, a sous sa charge trois petits-enfants, âgés de dix, sept et cinq ans, depuis que sa fille qui vivait séparée de son époux, et qui souffrait d’une maladie rare, est décédée le mois dernier. Elle reçoit une allocation d’environ Rs 2 500 mensuellement du ministère de la Sécurité sociale pour subvenir aux besoins de ses trois petits-enfants, dont un qui fréquente une école maternelle et un autre un établissement primaire de la localité.

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La quinquagénaire recevait de l’aide du National Empowerment Fund, qui avait construit sa maison il y a trois ans. « Avek sa ti pansion Rs 2 400, mo mem kone ki mo pase toulezour pou nou kapav manze ek lavi ser, toulezour pri komision ek legim pe monte », confie-t-elle.  Auparavant, Marie-Lise cultivait des herbes fines qu’elle vendait à ses voisins. Ce qui l’aidait financièrement. « Je me sens fatiguée de jour en jour, je ne pourrais plus continuer. Je suis obligée d’arrêter. On dirait qu’un mauvais sort s’abat sur moi. Heureusement que je reçois de l’aide de Caritas et que des voisins m’aident de temps en temps. Sinon mo pa kone kouma nou ti pou fer », dit-elle.

Priscilla Bignoux

Marie-Anne, mère de trois enfants, une fille de neuf ans, un garçon de quatre ans et un bébé de sept mois, et dont l’époux cumule de petits boulots, tantôt comme maçon, tantôt comme laboureur ou pêcheur, éprouve toutes les peines du monde à joindre les deux bouts.

Elvina, elle, dépend de sa mère qui est une employée de maison et de sa sœur, qui habite non loin de chez elle, pour nourrir son bébé en lui offrant une boîte de lait pour le nourrisson. « Parfois, lorsqu’on n’a rien à mettre sous la dent, on cueille de feuilles de papaye qu’on prépare pour assouvir notre faim. L’allocation de Rs 2 400 est nettement insuffisante », insiste cette mère de famille. Elle éprouve les plus grandes difficultés à s’en sortir. Elle ajoute : « mon époux a emprunté à maintes reprises de l’argent à des amis. Il faut leur rembourser. Nous avons des factures à régler. C’est la misère noire ! »

La voisine de Marie-Anne, Simla, est une retraitée. Elle souffre aux genoux et n’a pas d’argent pour acheter des médicaments dont les prix ont considérablement augmenté. « À l’hôpital, les médecins ne me prescrivent que du Panadol. Li nepli servi nanye », déplore-elle.

Priscilla Bignoux, travailleuse sociale qui s’est engagée depuis plus de 20 ans au sein du Groupement social de Souillac et qui se présente « comme une béquille pour ceux ou celles qui chutent », est quotidiennement à l’écoute des plus démunis dans la région. Elle est choquée par la misère et la détresse dont laquelle sont plongés certains pères et mères ces derniers jours, suivant la hausse du coût de la vie. « Des gens s’appauvrissent davantage. Ena fami ek zanfan manz la mwatie vant », se désole-t-elle.

Cette habitante de Souillac relève que bon nombre de familles se passent de certains produits essentiels, faute de moyens. Pour arrêter cette paupérisation, elle  est d’avis qu’il faut une vaste étude pour déterminer qui sont les pauvres à Maurice. Car le Covid-19, croit-elle, a entraîné la perte d’emplois pour beaucoup de pères de famille. « Lotorite pa pe fer tro atansion sa problem lanplwa. Je suis témoin chaque jour de cette descente aux enfers des pères de famille qui ont perdu leur emploi. Un licencié souffre non seulement parce qu’il se retrouve sans emploi, sans argent et qu’il a des dettes, mais parce qu’il sait aussi que ce licenciement signe l’arrêt de mort éducatif de ses enfants et de sa propre socialisation », rappelle-t-elle.

Les autorités disent que Maurice n’est pas le seul pays affecté par le Covid-19 et par la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Mais pour la travailleuse sociale, cela ne justifie pas tout. « À mon avis, les poches de pauvreté augmentent chaque jour à Maurice, à cause du coût de la vie qui est en hausse. Kouma ou desann lor lili ou aprann ki pri pe ogmante. Des enfants ne mangent plus à leur faim. Le gouvernement n’écoute plus personne », regrette-t-elle.

La travailleuse sociale fait comprendre que les députés de tous bords, les responsables de la Sécurité sociale doivent délaisser leurs pantoufles pour connaître la réalité sur le terrain et voir à quel point certaines familles sont durement touchées par la pauvreté. Elle dira qu’ils doivent faire du porte-à-porte comme ils le font pendant la campagne électorale, mais pour écouter, comprendre, avant de faire un suivi pour mieux accompagner leurs mandants dans leurs démarches. « Il faut aussi mettre sur pied des structures et encourager les jeunes à se tourner vers le potager familial de manière professionnelle. »

Priscilla Bignoux croit qu’il faut encourager des initiatives telles que Boutique solidaire pour les familles en détresse un peu partout dans l’île. Il faut, suggère-t-elle, remettre en place le School Feeding Programme dans les écoles en faveur des démunis. Ce programme avait démarré en 1970 sous l’égide du World Food Programme pour améliorer la présence et la performance des enfants à l’école. Ces derniers recevaient un verre de lait, du pain, du fromage et des fruits secs.

En 1996, ce programme avait pris fin, mais le gouvernement a décidé de subventionner le don d’un pain à chaque écolier par jour dans les 247 écoles du pays, touchant 104 613 enfants à cette époque. Cette distribution de pains était favorablement accueillie par les enfants issus de familles pauvres, se rappelle Roland, un ancien enseignant du primaire qui en avait profité, lui aussi. « Aujourd’hui, il y a beaucoup qui ont besoin de cette aide », renchérit Anil un ancien enseignant.

« On préfère investir aujourd’hui dans des projets qui coûtent des milliards comme le stade de Côte-d’Or. Avec la cherté de la vie, les enfants ont plus besoin de pains. Pourquoi a-t-on mis un terme à une telle initiative ? N’est-il pas temps de reconsidérer ce projet sous une autre forme ? » se demande la travailleuse sociale.

En décidant d’interrompre la distribution de pains dans les écoles en 2001, l’ancien ministre des Finances Rama Sithanen mettait de fait fin à une pratique bien établie par le Programme alimentaire mondial.

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