Précarité menstruelle : Un bout de tissu quand on n’a pas Rs 30

–   C’est le prix (minimum) d’un paquet de serviettes hygiéniques

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–   Dans un environnement dénué de sanitaires adéquats, la rivière et la nature ont remplacé les poubelles pour les protections hygiéniques usées

Quelque part à la périphérie de Port-Louis, des jeunes filles et femmes pauvres n’ont pas accès (pour des raisons économiques) à des protections hygiéniques au moment de leurs règles. Un paquet de serviettes hygiéniques à usage unique coûte environ une cinquantaine de roupies. Comme alternative, beaucoup utilisent des bouts de tissu.  La précarité menstruelle comprend aussi les difficultés d’accéder à des antidouleurs, des soins, à des sanitaires adéquats et un environnement propre. C’est dans la rivière que certaines se débarrassent de leurs serviettes (quand elles en ont) usées.

« Quand je n’ai pas d’argent pour acheter des serviettes hygiéniques, j’utilise du tissu comme protection. Mo pa onte pou dir. Mo pena swa », confie Cathy, la quarantaine. Dans ce quartier en retrait, ancré dans un faubourg de Port-Louis, plusieurs femmes comme Cathy remplacent les serviettes ou tampons hygiéniques jetables par du tissu. « Enn pake serviet pli bomarse kout anviron Rs 30. Pa touletan ki mo kapav aste », poursuit Cathy. Les règles durent cinq jours et les femmes utilisent en moyenne quatre serviettes hygiéniques, sinon un paquet de huit protections les premier et deuxième jours des menstruations. À Maurice, la précarité menstruelle est une réalité pour de nombreuses femmes et jeunes filles.

Nous ne disposons pas de chiffres pour quantifier cette problématique. Mais ce qui est certain, c’est que les Mauriciennes qui n’ont pas ou peu accès à des protections hygiéniques jetables pendant leurs règles font partie des 500 millions de femmes (source: Médecins du monde) dans le monde qui n’auraient pas les moyens de s’en procurer régulièrement. Cathy, qui ne travaille pas, aurait souhaité ne plus utiliser du tissu comme protection de substitut. Même si celui-ci est réutilisable, Cathy trouve cette alternative peu pratique à cause du lavage. « Cela m’embête de laver les tissus que j’utilise. Je les mets à tremper dans l’eau de javel. L’autre jour ma fille de 8 ans les a vus et m’a posé des questions. Mo’nn. dir li ankor tro boner pou li servi sa », raconte Cathy en riant.

Acheter à manger à la place

Il est 8h30. Ce matin-là, Jenny Roopnarain et une enquêtrice de SAREPTA Mauritius ont donné rendez-vous à des femmes du quartier de Cathy. L’ONG Ripple Project a collecté des serviettes hygiéniques et celle de Jenny Roopnarain s’est engagée à les distribuer à travers le pays, dans des régions les plus affectées économiquement. 4 700 femmes ont ainsi été soutenues depuis 2020. Jenny Roopnarain est arrivée les bras chargés. La distribution se fait tôt pour que les représentantes de SAREPTA puissent rencontrer les bénéficiaires encore présentes chez elle à cette heure de la mâtinée. Dans des boîtes en carton, des protections hygiéniques à usage unique de qualité. Natacha, 17 ans, a le sourire. Tous les mois, elle utilise, dit-elle, deux paquets de serviettes hygiéniques. Ce qui représente une petite centaine de roupies. Qu’elles travaillent ou pas, pour faire face aux dépenses liées aux menstruations, les femmes du quartier doivent trouver, disent-elles, au minimum Rs 25 pour des serviettes hygiéniques de bas de gamme et au plus une centaine de roupies pour acheter de bonnes protections. Mais parfois, nous disent-elles, même quand elles ont cet argent dans le porte-monnaie, elles préfèrent le dépenser autrement, comme acheter de quoi faire un repas ou pour garnir le pain des enfants.

Jenny Roopnarain (à gauche) et une enquêtrice de l’ONG SAREPTA Mauritius allant distribuer des
serviettes hygiéniques à des femmes en situation de précarité économique

L’aide des ONG se fait sur une base ponctuelle. Mélinda, 38 ans, bénéficiaire, vient de trouver du travail comme agent de nettoyage. Et c’est sans faire dans la dentelle qu’elle partage son opinion. « Les serviettes que nous recevons vont nous aider pendant un mois ou deux. Ce n’est pas rien pour moi. Mais quand je vais travailler, je vais acheter mes serviettes hygiéniques. C’est quelque chose que nous devrions toutes pouvoir faire. Nous devons faire un effort, il est question de notre corps et de notre hygiène. Je suis consciente que ce n’est pas facile de trouver de l’argent, même quand il s’agit que de quelques roupies. Mais beaucoup de femmes dépensent le peu qu’elles ont sur des futilités, apre zot dir zot pena kas pou aste serviet !«  dit-elle sans détour. L’achat de protections hygiéniques pour les jeunes filles en Grade 6 à 13 ne se pose pas pour des parents dont les enfants sont concernées par les règles.

« Zet dan pit-latrinn »

Depuis l’année dernière, le ministère de la Sécurité sociale, à travers ses case management officers, distribue des serviettes hygiéniques à usage unique aux adolescentes. 2 100 jeunes Mauriciennes et Rodriguaises scolarisées en sont bénéficiaires. Le budget 2022-23 a fait provision d’une enveloppe de Rs 2,5 M pour ce projet. Toutefois, l’absentéisme scolaire lié aux règles reste un souci. Dans ce quartier où les sentiers de terre, en pente, sont glissants et davantage les jours de pluie, marcher pendant de longues minutes avant d’accéder au transport public est un supplice pour celles qui ne peuvent porter de bonnes protections pendant leurs menstruations. L’impact de la précarité menstruelle sur la scolarité des filles, rappelle Jenny Roopnarain, n’est pas des moindres. Cette dernière évoque même « le traumatisme des jeunes filles qui doivent aller à l’école sans serviette de protection. »

En moyenne, une femme a ses règles 450 fois dans sa vie. Au total, elle utilisera environ 10 000 protections hygiéniques à usage unique. S’en débarrasser devient un autre problème lorsque les conditions de vie sont aussi précaires. En parler relève des tabous autour des règles. Ajouté à cela l’absence de toilettes et salle de bain adéquates pour garder des poubelles hygiéniques ne facilite pas le débarras des serviettes et tampons usagés. D’aucuns concèdent « zet dan pit-latrinn. » Elles affirment que « les protections hygiéniques n’obstruent pas la canalisation des latrines. »

Marie, rencontrée pendant la distribution par SAREPTA, confie : « Je garde mes serviettes dans un sac et j’attends le passage du camion poubelle pour m’en débarrasser. » Plus tard, et loin d’elle, d’autres femmes la contrediront. Le quartier, situé en hauteur et accessible principalement à pied, n’est pas desservi par le service de ramassage d’ordures ménagères. Des poubelles à ciel ouvert, un peu partout, en attestent.  « Le jour du passage du camion, nous ne le voyons même pas. Il passe dans les rues en contrebas. Et cela fait quand même une certaine distance.  Personn pa pou galoup derier enn kamion pou al zet zot serviet. Selman kan zet isi mem, deor, lisien vinn ris bann sak-la, sarie-sa partou », s’empressent-elles de faire ressortir.

Quelque chose d’intime

Une autre femme confie : « Je lave les serviettes hygiéniques avant de les brûler. » Et quand nous lui demandons pourquoi les laver au préalable, elle répond de manière catégorique : « C’est mon sang, voyons! Je ne peux pas m’en défaire comme ça ! » De son côté, Natacha laisse comprendre qu’elle ne s’embarrasse pas. “Ayo, mwa mo gard tou dan enn sak plastik apre mo zet-sa dan larivier mwa”, reconnaît la jeune fille. Et c’est ainsi depuis plusieurs années. Natacha n’est pas la seule à se débarrasser de ses serviettes sales dans le cours d’eau qui traverse le quartier. Maryline, âgée d’une quarantaine d’années, travaille à Port-Louis. Elle confie : « Les règles, c’est quelque chose d’intime. Ici, il n’y a pas de ramassage d’ordures. Je préfère apporter mes serviettes sales, bien emballées, dans un sac et je m’en défais dans une poubelle à Port-Louis. »

La précarité menstruelle ne se limite pas à la difficulté d’accéder à des protections hygiéniques. Jenny Roopnarain note que celle-ci implique aussi des contraintes financières qui font obstacle à l’hygiène corporelle. D’autre part, des femmes en situation de pauvreté sont privées d’une prise en charge médicale lorsqu’il y a nécessité, voire l’achat des antidouleurs. « Que voulez-vous que je fasse quand j’ai des crampes et des douleurs pendant mes règles ? Je ne prends pas de médicaments. J’attends que les douleurs se calment », explique Cathy.  La compréhension des partenaires, importante dans ces moments-là, n’est pas toujours de mise, dit-elle.

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